Consécration internationale pour la collection The Wedge du Dr Kenneth Montague

Art et culture
Présence communautaire

Corrie Jackson, première conservatrice à RBC, s’entretient avec le Dr Kenneth Montague, qui nous parle du besoin de s’investir avec passion, de sa vie entourée d’art et de l’importance de la communauté artistique noire.

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Personne ne saura jamais si The Wedge, une des plus grandes collections privées d’art contemporain au Canada consacrées à la culture de la diaspora africaine et à la vie des Noirs, aurait vu le jour si son propriétaire avait choisi d’étudier la musique plutôt que la dentisterie.

« Mes parents, des immigrés jamaïcains, considéraient que je devais devenir médecin, dentiste ou avocat », explique M. Montague, fervent collectionneur d’œuvres d’art et propriétaire de la collection The Wedge. Après avoir été admis au cours de la même semaine à l’école de musique de l’Université McGill et à la faculté de médecine dentaire, il a répondu aux espoirs de ses parents malgré son immense talent pour l’art et la musique.

Heureusement, la dentisterie s’est révélée un bon choix pour M. Montague et le monde artistique. À Word of Mouth Dentistry, la clinique qu’il a créée à Toronto en 1992, la musique est partout présente et les murs sont ornés de pièces choisies parmi les quelque 400 œuvres qu’il a acquises pendant plus de 25 ans.

« Je pense que si vous laissez le bonheur – ou disons plutôt la satisfaction – vous guider, vous finirez quand même par devenir ce que vouliez être dans la vie. J’ai toujours aimé l’art. Et dans cet écosystème, j’ai trouvé ma place comme collectionneur parce que je disposais des revenus et des moyens nécessaires pour acquérir quelques-unes des œuvres que j’aimais », précise M. Montague.

En plus d’être un collectionneur, M. Montague est le fondateur de Wedge Curatorial Projects, un organisme sans but lucratif qui met l’accent sur l’identité noire dans l’art contemporain. Il siège au conseil d’administration du Musée des beaux-arts de l’Ontario, dont il conseille le département des arts de l’Afrique et de la diaspora. Il est membre de de la Black Trustee Alliance for Art Museums, un organisme d’administrateurs noirs dont le but est de rendre les établissements artistiques plus équitables. Et plus tôt cette année, il s’est joint au conseil d’administration de la Aperture Foundation.

Corrie Jackson, première conservatrice et responsable de la collection d’œuvres d’art RBC , s’est entretenue avec M. Montague, qui nous parle de sa passion et de sa vie entourée d’art dans une maison où les enfants ont toute leur place. Il nous fait aussi profiter de quelques conseils à l’intention des collectionneurs débutants.

Corrie Jackson : Des pièces de votre collection font partie d’une exposition itinérante qui se rendra dans plusieurs musées au cours des années à venir. Qu’est-ce que ça vous fait de voir ces œuvres exposées ailleurs dans le monde ?

Kenneth Montague : J’en suis très heureux. Je veux que les gens apprécient ces œuvres qui ont tant enrichi ma vie. Je veux qu’ils voient des œuvres d’artistes, comme la Canadienne Sandra Brewster. Et aussi de jeunes artistes prometteurs comme Bidemi Oloyede, Jalani Morgan ou Erika DeFreitas.

L’exposition As We Rise est inspirée du livre du même nom [As We Rise: Photography from the Black Atlantic]. Elle se rendra à Toronto et à Vancouver, puis à Boston au cours de l’été 2023. Ces artistes, peu connus, dialoguent avec d’autres artistes comme Kehinde Wiley, Ming Smith et Gordon Parks. Ils font partie de l’équipe, avec Carrie Mae Weems et d’autres.

Pour moi, c’est ce qui compte : faire venir des artistes, les faire entrer dans l’équipe. Je suis ravi que les gens voient ces œuvres et ces artistes canadiens noirs que j’apprécie tellement.

 Photo d'œuvres d'art de la collection du Dr Kenneth Montague.

J’ai l’impression que la collection The Wedge est le fruit d’une passion personnelle qui s’appuie sur le lien que vous avez noué avec les œuvres et les artistes. Qu’est-ce qui est à l’origine de cette passion ?

Je suis né dans les années 1960 à Windsor, en Ontario… en face de Detroit, de l’autre côté de la rivière, à l’époque du mouvement des droits civiques. Mes parents étaient des immigrants jamaïcains, qui sont arrivés au Canada dans les années 1950.

J’ai grandi en étant le seul enfant noir de la classe. Pourtant, de l’autre côté de la rivière il y a une ville qui est un bastion de la culture noire, avec la Motown et la techno de Detroit, puis le hip-hop. C’était fascinant d’être si proche, et en même temps si éloigné de cette culture.

Vous acquérez des œuvres inspirées de pièces que vous avez vues en grandissant et vous accueillez chez vous toute la collection. Qu’en pense votre famille à ce propos ?

Ma partenaire, Sarah, qui est éducatrice dans un musée, savait ce qu’il en retournait quand nous nous sommes mariés, parce que nous nous sommes rencontrés en travaillant ensemble. C’est une artiste. Nous avons deux fils, âgés de huit et cinq ans. Je suis très conscient de les faire vivre avec l’art.

Nous ne sommes pas très regardants quant aux choses. Si un objet est très précieux et je sais que mes fils vont s’amuser à se lancer un ballon de football autour de la maison, je ne vais pas installer ce tableau-là à ce moment précis. Jusqu’à présent, nous n’avons jamais eu de vitres brisées ou de toiles déchirées.

Ce qui est important pour moi, et c’est intentionnel, c’est que mes fils grandissent en voyant des images dans la maison et qu’ils aient ce sentiment d’être entourés par la beauté de la vie ordinaire des Noirs.

Je ne suis pas sûr qu’ils seront collectionneurs ou même artistes, mais ils sauront apprécier.

En tant que personne vivant avec une collection à la maison et, je suppose, en en entreposant une partie, vous sentez-vous à l’aise de vous départir d’un objet ?

Parfois, une œuvre devient impossible à gérer, parce qu’elle a atteint une valeur où il devient difficile pour un collectionneur de mon niveau de s’en occuper.

J’ai plusieurs pièces dans ma collection pour lesquelles je paie maintenant des milliers de dollars par an en assurance. J’ai de jeunes enfants, donc je ne peux pas mettre ce tableau très sérieux à un endroit de la maison où il pourrait être endommagé.

Peut-être devrait-il se trouver dans un endroit plus public ou dans un grand établissement qui a les ressources pour s’occuper de la conservation de l’œuvre. Faites-vous un don ? Ou vendez-vous et utilisez-vous le produit pour acquérir plus d’œuvres qui s’inscrivent dans le cadre de la mission que vous vous êtes lancée ?

La propriété d’une œuvre est une relation qui se distingue, d’une certaine façon, de l’appréciation de l’art ou du fait d’être un amateur d’art. Quelles stratégies avez-vous suivies pour investir dans des œuvres d’art ?

Je suis dentiste, donc j’ai un bon revenu, mais pas le genre de revenu net permettant d’être l’un de ces grands collectionneurs qui achètent une exposition tout entière. Pour la plupart des œuvres de ma collection [acquises au cours des 25 dernières années], j’ai dû être très stratégique et prudent sur le plan des coûts.

J’ai pu acquérir ces œuvres quand, disons, les choses allaient bien. J’ai été impressionné par la hausse exponentielle des prix de tant d’œuvres d’artistes noirs de ma collection. Le marché de l’art a reconnu l’importance des œuvres.

Pour moi, ce n’était jamais une question d’argent, mais plutôt une question d’amour.

Photo du Dr Kenneth Montague à la maison avec des peintures.

Photo par Aaron Clarke

Comment en êtes-vous venu aux œuvres d’un artiste et, à partir de là, comment avez-vous décidé de les acquérir ?

J’étais, et je suis toujours, très fort sur les visites des studios. Je sais que c’est la même chose pour vous. Il a toujours été important pour moi de rencontrer les artistes dans la mesure du possible. Apprendre à mieux les connaître. Découvrir un éventail plus large de leurs œuvres avant de jeter mon dévolu sur l’une d’elles.

Je m’intéresse autant à ce jeune artiste qui présente son exposition de fin d’études à l’université OCAD qu’à cet artiste en vogue qui est allé à Yale et qui connaît un grand succès.

Il est évident que c’est un investissement plus judicieux d’acheter cette œuvre et de l’intégrer à votre collection avant cette notoriété.

Il s’agit – je sais que cela peut paraître ringard – de l’idée de « s’élever comme on se lève » (la devise de la famille de mon défunt père, Spurgeon Montague). C’est une phrase que nous avons toujours entendue. Quand vous réussissez, vous devez attirer les gens de votre communauté. C’est une influence sur la façon dont je pense à intégrer des artistes dans la collection.

Comment quelqu’un qui commence à collectionner peut-il aborder une galerie ? Il peut s’agir d’une expérience intimidante.

J’ai appris à la dure, comme la plupart des collectionneurs, qu’il faut faire des recherches si l’on veut poser les grandes questions comme « combien ça coûte ? ».

Si vous allez simplement voir une exposition et que vous n’avez jamais entendu parler de l’artiste, c’est excitant. Entrez dans la galerie, faites-en l’expérience.

Mais si vous y allez en tant que collectionneur avec l’intention d’acheter quelque chose, vous devez montrer à la galerie que vous êtes sérieux. Pour cela, il faut se documenter, étudier l’artiste, afin qu’il engage la conversation avec vous et ne vous rejette pas.

Les incontournables du Dr Kenneth Montague pour les nouveaux collectionneurs d’art

Touchez les livres. Je ne suis pas allé à l’école des beaux-arts. J’avais besoin de faire de la recherche, parce que c’est un gros investissement, financièrement. Il n’y avait pas d’Internet quand j’ai commencé, alors j’ai dû acheter des livres et aller à la bibliothèque.

Consultez les journaux. Je suis un grand adepte de Artforum, que je reçois chaque mois depuis la fin des années 1990. J’ai aussi lu des magazines comme Aperture, Frieze et des journaux de grands établissements publics comme le musée Tate.

Trouvez des voix locales. Nous avons C Magazine et Border Crossings, entre autres, qui sont des magazines très bien écrits. Je pense qu’il y a de la place au Canada pour une autre grande revue artistique. C’est quelque chose qui doit se produire.

Photo principale de Ebti Nabag.

L’entrevue a été condensée et modifiée à des fins de clarté.

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