Nous pensons que la majeure partie des risques de marché sont chose du passé, mais nous demandons si les cours des actions ont pleinement intégré la vulnérabilité des bénéfices.
5 août 2022
Kelly Bogdanova Vice-présidente et analyste de portefeuilleServices-conseils en gestion de portefeuille – États-Unis
Le marché boursier américain a déjà tenu compte d’un flot de mauvaises nouvelles jusqu’à maintenant cette année : la montée de l’inflation à son plus haut niveau en 40 ans ; le début de la campagne de hausse des taux la plus musclée de la Fed depuis le début des années 1980 ; l’affaiblissement de l’activité économique nationale et mondiale ; le scepticisme à l’égard de la croissance des bénéfices des sociétés ; le conflit armé en Ukraine ; la flambée des prix des marchandises résultant des sanctions du monde occidental contre la Russie ; l’amorce d’une crise énergétique en Europe ; et les nouvelles préoccupations concernant les chaînes logistiques et la croissance à la suite des mesures strictes de lutte contre la COVID-19 prises par la Chine.
Il n’est donc pas étonnant que le S&P 500 et l’indice composé Nasdaq aient perdu respectivement 23 % et 32 % entre le début de l’année et la mi-juin. Ils ont par la suite entrepris une belle remontée dans le sillage des bénéfices du deuxième trimestre, supérieurs aux prévisions pessimistes, et parallèlement au recul des taux des obligations du Trésor depuis leurs récents sommets.
Graphique linéaire montrant le rendement de l’indice S&P 500 du 1er janvier 2022 au 25 juillet 2022 par rapport à son niveau du 31 décembre 2021. Le sommet record établi par l’indice le 3 janvier a été suivi d’un repli jusqu’à la fin de janvier compte tenu des préoccupations générées par l’inflation et les hausses de taux d’intérêt de la part de la Réserve fédérale. Le 11 février, le marché a commencé à prendre en compte le risque lié au conflit entre la Russie et l’Ukraine, et a cédé 5,6 % entre cette date et le 8 mars, lorsqu’il a atteint son creux. Dans l’ensemble, le 8 mars, le marché avait reculé de 13,1 % en cumul annuel. Il a ensuite rebondi et en date du 18 mars, il avait dépassé son niveau du 11 février, annulant toutes les pertes subies au moment du lancement de l’opération militaire. Entre avril et la mi-juin, le marché a enregistré son recul le plus marqué jusqu’à présent cette année, atteignant un creux le 16 juin, en baisse de 23,1 % par rapport au cumul annuel. Depuis, il a rebondi et regagné une partie du terrain perdu. Au 1er août, le S&P 500 avait perdu 13,6 % en cumul annuel.
Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg ; données quotidiennes prises en compte jusqu’au 1er août 2022
Bien que les pires pertes du marché boursier semblent déjà avoir été essuyées, nous nous demandons si une nette diminution des bénéfices des entreprises, généralement associée à des périodes de récession, a été pleinement prise en compte dans le S&P 500 et d’autres indices importants.
Lorsque la Réserve fédérale augmente les taux d’intérêt, il s’écoule normalement quelques mois avant que la hausse des coûts d’emprunt commence à entraver l’activité économique des États-Unis ; toute autre régression des segments de la consommation et des services de l’économie pourrait compromettre la croissance des bénéfices du S&P 500 au cours des prochains trimestres. Étant donné que nous venons de connaître deux trimestres consécutifs de baisse du PIB et que les risques d’une récession généralisée officielle se sont accrus, nous pensons que la prudence devrait inciter les investisseurs à évaluer divers scénarios de bénéfices, y compris l’incidence habituelle d’une contraction de l’économie sur les bénéfices des entreprises.
Commençons par le commencement : Pensez aux événements survenus au cours de la saison des résultats du deuxième trimestre : on peut y trouver des indices de la trajectoire que les bénéfices pourraient suivre au cours des trimestres à venir. Jusqu’à présent, 64 % des sociétés du S&P 500 ont publié leurs résultats pour le deuxième trimestre…
Le graphique à colonnes présente le « rythme de croissance » trimestriel des bénéfices du S&P 500, soit le montant par lequel les bénéfices réels déclarés dépassent les prévisions générales pour le trimestre, en points de pourcentage, du premier trimestre (T1) de 2017 au deuxième trimestre (T2) de 2022 (résultats provisoires au 2 août 2022). Entre le premier trimestre de 2017 et le premier trimestre de 2020 (la période précédant l’incidence de la COVID-19 sur les prévisions des résultats), le taux de croissance a été en moyenne de 4,9 %. Le taux de croissance était bien plus élevé durant les confinements imputables à la pandémie et au lendemain de la pandémie où les estimations et les taux de croissance ont été faussés, variant entre 9,7 % et 23 % du T2 de 2020 au T3 de 2021 (moyenne de 17,5 %). Le taux de croissance a diminué depuis, se situant d’abord à près de 5,5 % au quatrième trimestre de 2021, avant de tomber à 4,5 % à ce jour au deuxième trimestre de 2022.
Sources : RBC Gestion de patrimoine, correspondant national de recherche, données du système I/B/E/S de Refinitiv et FactSet ; données en date du 2 août 2022. Les données du T2 de 2022 (barre verticale rouge) sont préliminaires.
Dans l’ensemble, il s’agit d’une solide saison de publication des résultats jusqu’à présent, surtout si l’on tient compte des vents contraires. Toutefois, lorsque les marges diminuent et que les écarts alarmants se multiplient dans divers secteurs pendant deux trimestres consécutifs, cela signifie habituellement que les estimations des analystes sont devenues élevées et plus difficiles à atteindre, ou bien que le cycle de croissance des bénéfices entre dans une phase ultérieure de plus grande maturité. Nous pensons que tous ces facteurs entrent en jeu et qu’ils témoignent d’une perte de vitesse du cycle. Une situation très normale compte tenu de la conjoncture économique plus difficile.
Notons que les prévisions générales de bénéfices des analystes sectoriels de Wall Street pour 2022 et 2023 supposent une croissante constante des bénéfices. Ces prévisions ne tiennent pas compte des événements tumultueux des derniers mois ni des conséquences possibles sur les bénéfices à l’avenir. Nous croyons que les estimations générales pour 2023 prévoient un atterrissage en douceur pour l’économie. Autrement dit, elles n’envisagent aucune récession.
Le graphique à colonnes montre les bénéfices par action trimestriels des sociétés du S&P 500 depuis 2019. Les résultats réels vont du premier trimestre de 2019 au premier trimestre de 2022 et les estimations générales, du deuxième trimestre de 2022 au quatrième trimestre de 2023. Les bénéfices ont légèrement augmenté jusqu’au quatrième trimestre de 2019, pour s’établir à près de 42 $ l’action. Ils se sont ensuite effondrés au premier et au deuxième trimestres de 2020, au cours desquels ils ont chuté à un creux d’environ 28 $ l’action en raison de la COVID-19. Depuis, ils ont régulièrement augmenté, atteignant près de 55 $ l’action au premier trimestre de 2022. Selon les prévisions générales, les bénéfices seront en hausse cette année et l’an prochain, et s’élèveront à 64 $ l’action au quatrième trimestre de 2023.
Sources : RBC Gestion de patrimoine, système I/B/E/S de Refinitiv ; données en date du 2 août 2022
Peut-on y voir un indice de retour à la normale ? Pas si vite – d’autres aspects complexes doivent être pris en compte.
Depuis la crise financière mondiale de 2008-2009, les équipes de direction se montrent plus prudentes dans leurs estimations prospectives des bénéfices. Elles n’ont pas intérêt à faire des projections risquées, en particulier quand les perspectives économiques deviennent plus incertaines. En outre, comparativement aux années passées, une proportion plus élevée d’entreprises sont réticentes à publier leurs prévisions au-delà du prochain trimestre, et encore moins pour l’année suivante. Il en résulte donc que les analystes sectoriels de Wall Street n’ont plus autant d’indications prospectives qu’avant de la part des sociétés. Ainsi, quand l’économie vacille, comme elle le fait actuellement, nous pensons que les estimations moyennes balisent moins bien la trajectoire.
D’après la vaste gamme de recherches de stratégistes internes et externes du marché des actions que nous suivons, des indications anecdotiques nous portent à croire que les investisseurs institutionnels – gestionnaires de portefeuilles de fonds communs de placement, de caisses de retraite et de fonds de couverture – ne sont pas convaincus par les prévisions générales actuelles. Nous pensons que leurs attentes collectives se situent quelque part entre les prévisions consensuelles et les estimations récemment révisées de RBC Marchés des Capitaux, qui sont bien plus prudentes.
Le graphique à colonnes montre les bénéfices annuels historiques et estimés du S&P 500 par action. En 2021, le S&P 500 a généré des bénéfices de 208 $ par action. Les prévisions générales pour 2022 sont de 226 $ par action, et celles de RBC Marchés des Capitaux, de 214 $ par action. Les prévisions générales pour 2023 sont de 245 $ l’action, et celles de RBC, de 212 $.
Sources : système I/B/E/S de Refinitiv, Stratégie sur actions américaines, RBC Marchés des Capitaux ; données en date du 2 août 2022
Au chapitre du marché, nous croyons que le scepticisme des investisseurs institutionnels quant aux prévisions générales est en fait une bonne nouvelle, puisqu’il laisse entendre que les sociétés du S&P 500 anticipent déjà une croissance des bénéfices moins robuste que les niveaux prévus. Les doutes des investisseurs institutionnels quant à la croissance des bénéfices ont probablement contribué à la liquidation sur le marché d’avril à la mi-juin, ce qui signifie qu’un certain degré de pessimisme entourant les bénéfices a été pris en compte dans les prix des actions.
Il est bon d’examiner de plus près les estimations de RBC Marchés des Capitaux, en particulier les prévisions de bénéfice par action (BPA) pour 2023, qui s’élèvent à 212 $, étant donné qu’elles supposent que les bénéfices n’iront nulle part de 2021 à 2023.
Lori Calvasina, chef du groupe de la stratégie de placement en actions américaines de RBC Marchés des Capitaux, SARL, est parvenue à ces estimations en tenant compte d’un certain nombre de facteurs, dont les facteurs fondamentaux des sociétés et les facteurs macroéconomiques. D’abord, selon les prévisions établies par Mme Calvasina pour 2023, les revenus du S&P 500 devraient continuer à croître, mais les marges de profits seront durement touchées plus tard cette année et l’an prochain. Ses estimations prévoient également que l’économie américaine frisera la contraction au quatrième trimestre de 2022, avant de connaître une croissance stagnante de 1 % à 2 % en 2023. L’inflation devrait quant à elle diminuer par rapport à son sommet, mais devrait rester élevée pendant une bonne partie de l’année 2023. Mme Calvasina prévoit que la Réserve fédérale commencera à diminuer les taux d’intérêt au cours du premier semestre de la prochaine année.
Après un bon remarquable de 12,3 % depuis le creux de la mi-juin, le ratio cours/bénéfice prévisionnel (C/B) de l’indice S&P 500 se situe désormais à 19,4 x selon les estimations de Mme Calvasina. Nous croyons que ce ratio, sans être trop élevé, n’est pas bon marché, en plus d’être supérieur aux moyennes historiques. La moyenne du ratio C/B prévisionnel de l’indice S&P 500 des dix dernières années était de 16,2 x et de 15,3 x depuis 1990.
Lorsque nous considérons les prévisions de bénéfices, il est également utile d’étudier les tendances historiques de bénéfices lors de périodes de ralentissement économique ayant officiellement été déclarées comme des récessions par le National Bureau of Economic Research. Que l’épisode actuel soit officiellement désigné comme tel ou non, Tom Porcelli, économiste en chef, États-Unis, à RBC Marchés des Capitaux, SARL affirme que « la situation a déjà tout l’air d’une récession ».
RBC Gestion mondiale d’actifs a découvert que les bénéfices des sociétés du S&P 500 avaient reculé de 23,6 % en moyenne lors des 11 périodes de récession survenues depuis les années 1950. Mais des nuances s’imposent.
Abstraction faite des deux périodes associées à des bouleversements particuliers du système financier (1990 et 2007), qui ont entraîné un repli très marqué des bénéfices des sociétés du S&P 500, le recul moyen a été de 18,9 %. Nous pensons que plusieurs bonnes raisons justifient de faire abstraction de ces deux périodes : le système financier ne présente aucun signe de tension, si l’on se fie à un vaste éventail de mesures, et le bilan des banques américaines semble suffisamment solide pour résister à l’augmentation des pertes sur prêts qui accompagne la plupart des récessions.
Source : RBC Gestion mondiale d’actifs
Si nous nous concentrons sur les quatre périodes de récession associées aux chocs inflationnistes (1953, 1973, 1980 et 1981), nous constatons que les bénéfices ont diminué en moyenne de 17,7 % durant ces périodes. Étant donné que certaines sociétés profitent d’un pouvoir d’établissement des prix en raison de l’inflation au cours de ce cycle d’exploitation, et ce, malgré le ralentissent de l’économie, en plus de maintenir une robuste croissance des revenus, nous pensons que ces périodes constituent des repères utiles. Par conséquent, les investisseurs ne doivent pas exclure la possibilité que les bénéfices reculent de 10 % ou plus depuis leur sommet, de façon semblable aux replis observés durant les périodes inflationnistes passées.
Quand peut-on s’attendre à atteindre la prévision maximale pour les bénéfices ? Cela pourrait se produire au cours de la période actuelle de publication des résultats du deuxième trimestre, ou pendant celle du troisième ou du quatrième trimestre, ou même au début de l’année prochaine, en fonction du moment et de la manière dont l’activité économique ralentit.
Mme Calvasina a simulé un scénario de récession complet dans lequel l’économie se contracte pendant plusieurs trimestres en glissement annuel, mais à un rythme plus modéré que celui des trois dernières récessions. En pareil cas, elle prévoit que les bénéfices du S&P 500 baisseraient à 195 $ par action en 2023. Cette estimation s’inscrit dans un scénario similaire à celui des précédentes périodes d’inflation et de récession, où les bénéfices accusaient un recul et passaient d’un sommet à creux.
En résumé, même si nous croyons que la majeure partie de la liquidation boursière et des risques sur le marché sont probablement chose du passé, il faudra peut-être plus de temps pour découvrir si les cours boursiers refléteront complètement la vulnérabilité de l’économie et des bénéfices.
La bonne nouvelle pour les investisseurs, c’est que nous ne pensons pas que le marché s’attend à ce que les prévisions générales des bénéfices ambitieuses pour 2023 se réalisent ; il semble plutôt se préparer à un scénario un peu moins rose.
Nous sommes d’avis que les estimations bien plus prudentes de Mme Calvasina pour 2023 de 212 $ par action laissent peu de place à un potentiel de hausse. Autrement dit, ses estimations de bénéfices laissent présager une fluctuation du marché jusqu’à la fin de l’année, assortie d’un certain risque de baisse.
Les investisseurs devraient également envisager la possibilité qu’une récession généralisée puisse provoquer un repli plus important des bénéfices, semblable à ceux observés lors des précédentes périodes de récession dues à l’inflation.
Pour l’heure, nous recommandons de maintenir une pondération en actions américaines similaire à celle du marché. Le prix des actions semble refléter une grande partie des risques, mais les investisseurs doivent garder à l’esprit que la volatilité et les reculs pourraient être plus marqués à mesure que l’économie évolue et que le portrait des bénéfices des sociétés se précise.
Au Québec, les services de planification financière sont fournis par RBC Gestion de patrimoine Services Financiers. qui est autorisé comme une société de services financiers dans cette province. Dans le reste du Canada, les services de planification financière sont disponibles à travers RBC Dominion valeurs mobilières.