Les marchés boursiers affrontent la pire conjoncture possible

Analyse
Perspectives

Les difficultés rencontrées dans cette période sans précédent déconcertent les investisseurs. Paradoxalement, lorsque la confiance se dégrade nettement, il ne faut pas abandonner le marché.

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19 mai 2022

Kelly Bogdanova
Vice-présidente et analyste de portefeuille
Services-conseils en gestion de portefeuille – États-Unis

Par Kelly Bogdanova

Les épisodes de forte volatilité sur les marchés boursiers ne disparaissent généralement pas du jour au lendemain, comme le démontre encore une fois le repli actuel, qui dure depuis des mois.

Les indices boursiers ont donné des signes de stabilisation en début de semaine. Mercredi, l’indice S&P 500 et l’indice Dow Jones des valeurs industrielles ont toutefois reculé respectivement de 4,0 % et de 3,6 %. Il s’agit là des baisses les plus importantes en une seule séance depuis le deuxième trimestre de 2020, en pleine phase aiguë de la COVID‑19.

L’inflation, les problèmes persistants touchant les chaînes logistiques, les préoccupations relatives à la croissance économique et la méfiance quant à la capacité de la Réserve fédérale (Fed) de redresser le navire continuent de hanter le marché.

Cependant, mercredi dernier, pour la première fois depuis le début de cette longue dépréciation, ces inquiétudes se sont manifestées en grand pour les sociétés, plus particulièrement dans les résultats trimestriels d’un important détaillant américain.

Target a dévoilé des résultats inférieurs – et de loin – aux prévisions générales de son bénéfice et revu à la baisse les bénéfices prévisionnels et les estimations de sa marge bénéficiaire, entraînant ainsi le titre dans une chute de 25 % en une seule séance, soit sa pire journée depuis le Lundi noir de 1987. Le sous‑indice des ventes au détail du S&P 500, qui comprend Target et 20 autres détaillants d’envergure, a suivi la tendance en chutant de 7,4 %. Le reste du marché n’a pas été épargné non plus.

Difficultés pour les bénéfices

Les nouvelles concernant Target ont exacerbé les préoccupations quant aux turbulences économiques et mis en relief le fait qu’il s’agit effectivement d’une période particulière qui déborde largement le cadre d’un cycle économique ordinaire.

Alors que la période de publication des résultats du premier trimestre est presque terminée, les sociétés du S&P 500 ont dévoilé une croissance plus vigoureuse des bénéfices par action que les prévisions moyennes formulées avant le début de la période (11,8 % comparativement à 4,7 %) et une progression plus importante des revenus (13,8 % contre 10,8 %) sur 12 mois. Les taux de dépassement et l’ampleur des surprises ont été considérables. En outre, le recul des marges de profit s’est avéré moins important que prévu (‑3,0 % plutôt que ‑7,3 %). Même si l’on en retire les données du secteur ultradynamique de l’énergie, la croissance des bénéfices et des revenus pour le S&P 500 a été respectivement de 6,4 % et de 10,5 %, ce qui n’est pas si mal compte tenu des chiffres particulièrement élevés de la même période l’an dernier. Si l’on se fiait seulement à ces données pour le trimestre, tout aurait l’air parfait.

Le portrait des bénéfices au premier trimestre est cependant incomplet, comme le démontrent la déception causée par Target, les problèmes éprouvés par les détaillants Walmart et Lowe’s, ainsi que les difficultés dévoilées au début de la période de publication des résultats par Texas Instruments, Alphabet (Google), Boeing, Whirlpool, JPMorgan Chase, Netflix, PayPal, Harley‑Davidson et Baker Hughes, entre autres.

La situation de Target illustre le mieux la problématique. L’entreprise a rejeté la faute sur la brusque transition inhabituelle des dépenses de consommation consacrées aux biens vers les services. Elle s’est ainsi retrouvée avec des montagnes de stocks de biens et d’appareils ménagers exigeant de l’espace additionnel à prix fort dans les entrepôts. Les stocks indésirables ont incité Target à réduire le prix d’un certain nombre d’articles plus que d’habitude ; malgré tout, les stocks de l’entreprise sont toujours démesurés. Target a également mentionné que les coûts élevés du carburant et du transport des marchandises ont posé problème au premier trimestre.

Nous pensons que les problèmes de Target – et les difficultés moindres mais tout de même considérables de Walmart – ont été exacerbés par les défis relatifs à l’inflation et aux chaînes logistiques, qui se sont manifestés durant les périodes de confinement et les restrictions liées à la COVID‑19 à l’échelle mondiale, ainsi que par les habitudes d’achat singulières des ménages durant cette période.

Après la pluie de mesures d’aide des gouvernements fédéral et étatiques durant la pandémie, les ménages américains ont dépensé sans compter et fait des achats importants. Maintenant que les mesures d’aide et les dépenses démesurées en biens sont essentiellement terminées et que l’inflation a des répercussions plus graves, les dépenses des ménages sont davantage consacrées aux services discrétionnaires (ce qui comprend les hôtels luxueux et les tarifs aériens élevés) et aux biens de base plus coûteux, comme la nourriture, l’essence et les services publics.

Il faudra des mois pour que les déséquilibres économiques s’estompent et pour que le marché et les entreprises absorbent les changements. L’évolution de la situation dépendra largement de la demande des consommateurs et des entreprises en réaction aux hausses de taux de la Fed, ainsi que de la durée des contraintes auxquelles sont soumises les chaînes logistiques et de la persistance de l’inflation. Ces deux derniers défis sont devenus plus complexes dernièrement du fait de la reprise des mesures de confinement liées à la COVID‑19 en Chine, des problèmes relatifs à l’approvisionnement agricole en Ukraine et des lourdes sanctions imposées par l’Occident à la Russie, qui ont entraîné une hausse des prix des marchandises à l’échelle mondiale.

Les déséquilibres économiques et la grande déception causée par Target nous révèlent que les prévisions générales des bénéfices du S&P 500, qui s’établissent à 227 $ par action pour 2022, pourraient s’avérer trop élevées.

Le cortège du pessimisme

Étant donné ces obstacles et la baisse de 18,2 % du S&P 500 depuis son sommet de janvier, la détérioration considérable de la confiance dans les marchés boursiers ne devrait surprendre personne. Chez les investisseurs individuels, elle a diminué récemment pour atteindre l’un des niveaux les plus bas en près de 35 ans, selon un sondage hebdomadaire de l’American Association of Individual Investors (AAII).

Compte tenu de la moyenne mobile sur quatre semaines, l’écart entre optimistes et pessimistes, qui correspond au pourcentage d’investisseurs optimistes à l’égard des perspectives du marché pour les six prochains mois moins le pourcentage de pessimistes, a reculé à ‑31,7 au début de mai. Le nombre de pessimistes dépassait donc de 31,7 % celui des optimistes, ce qui correspond au quatrième point le plus pessimiste depuis le début des sondages de l’AAII au milieu de 1987, comme l’illustre le graphique à la page précédente.

Les investisseurs sont devenus très pessimistes, ce qui constitue habituellement un indicateur à contre‑courant

Écart entre optimistes et pessimistes de l’AAII* (moyenne mobile sur quatre semaines)

cart entre optimistes et pessimistes de l’AAII

Le graphique linéaire indique l’écart hebdomadaire entre optimistes et pessimistes (pourcentage des répondants se disant optimistes moins pourcentage des répondants faisant montre de pessimisme), établi en fonction des données recueillies dans les sondages menés par l’American Association of Individual Investors (AAII) entre le 13 août 1987 et le 19 mai 2022. Quand l’écart dépasse 30 (30 % plus d’optimistes que de pessimistes), la confiance est très grande ; quand il baisse sous -10 (10 % plus de pessimistes que d’optimistes), la confiance est très basse. Récemment, l’écart s’est établi à -31,7 pour atteindre le quatrième plus bas niveau depuis que l’AAII a commencé à recueillir des données. Dans le graphique, les trois écarts les plus bas sont les suivants : -41,0 en octobre 1990 ; -33,2 en janvier 2008 ; -36,0 en mars 2009.


Écart entre optimistes et pessimistes

Signal de vente (+30)

Signal d’achat (-10)

* L’écart entre optimistes et pessimistes repose sur le sondage hebdomadaire relatif à l’état d’esprit des investisseurs de l’American Association of Individual Investors (AAII). Il représente le pourcentage de répondants se disant optimistes moins le pourcentage des répondants éprouvant un sentiment pessimiste.

Sources : Stratégie sur actions américaines, RBC Marchés des Capitaux ; RBC Gestion de patrimoine ; AAII ; Bloomberg ; données hebdomadaires du 13 août 1987 au 19 mai 2022. Le point de données de ‑31,7 est en date du 5 mai 2022. La mesure la plus récente est ‑29,5 et elle a été prise le 19 mai 2022.

Il n’y a pas que les investisseurs individuels qui éprouvent de la morosité actuellement à l’endroit du marché. Au cours des dernières semaines, la confiance des investisseurs institutionnels (gestionnaires de fonds communs de placement, de caisses de retraite et de fonds de couverture) a aussi chuté à de très bas niveaux selon divers indicateurs.

Paradoxalement, en présence d’une humeur si négative, il ne faut pas à notre avis abandonner le marché. Les mesures extrêmes de la confiance sont souvent des indicateurs à contre‑courant pour le rendement du marché. Quand les investisseurs sont plutôt pessimistes, le marché connaît souvent une hausse dans les 12 mois qui suivent ; lorsqu’ils sont inhabituellement optimistes, le marché éprouve généralement des difficultés peu de temps après.

Selon une étude de RBC Marchés des Capitaux, lorsque l’écart entre optimistes et pessimistes est inférieur à ‑ 10, il s’agit normalement d’un signal d’achat à court terme ; en revanche, s’il dépasse +30, il envoie plutôt un signal de vente à court terme (ces niveaux sont représentés par les lignes verte et rouge du graphique de la page 2). Plus précisément, l’étude révèle que depuis 1987, année où l’écart entre optimistes et pessimistes est tombé sous le seuil de ‑ 10, le marché a rebondi peu de temps après et avait augmenté en moyenne de 15,5 % 52 semaines plus tard.

Le marché tend à progresser après une période de grand pessimisme

Rendement moyen du S&P 500 après que l’écart entre optimistes et pessimistes est devenu inférieur à ‑ 10*

Rendement moyen du S&P 500 après que l’écart entre optimistes et pessimistes est devenu inférieur à ‑10

* Les données représentent les rendements prévisionnels lorsque la moyenne mobile sur quatre semaines du pourcentage des optimistes moins le pourcentage des pessimistes provenant des résultats du sondage de l’American Association of Individual Investors (AAII) est inférieure à ‑10. Le sondage indique les données hebdomadaires sur la confiance du 13 août 1987 au 19 mai 2022.

Sources : Stratégie sur actions américaines, RBC Marchés des Capitaux ; RBC Gestion de patrimoine ; AAII ; Bloomberg

Pour nous, la morosité extrême à l’endroit du marché indique que, malgré la volatilité persistante et la possibilité de baisses supplémentaires à court terme, et si l’on se fie au passé, le marché pourrait bouleverser les attentes de la majorité et produire des gains intéressants dans les 12 prochains mois. Voilà l’une des raisons pour lesquelles nous croyons que les investisseurs à long terme devraient garder le cap. Pour connaître d’autres facteurs, consultez notre article récent intitulé « Le marché boursier peut‑il reprendre son élan malgré la volatilité ? ».


Au Québec, les services de planification financière sont fournis par RBC Gestion de patrimoine Services Financiers. qui est autorisé comme une société de services financiers dans cette province. Dans le reste du Canada, les services de planification financière sont disponibles à travers RBC Dominion valeurs mobilières.


Kelly Bogdanova

Vice-présidente et analyste de portefeuille
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