Le renforcement des institutions de la banque centrale devrait aider la zone euro à bien supporter ce cycle de resserrement. Nous examinons les implications pour le portefeuille.
10 février 2022
Frédérique Carrier Première directrice générale et chef, Stratégies de placement - RBC Europe Limited
Bien qu’elle n’ait pas touché à ses taux directeurs et au rythme de ses achats d’actifs, la Banque centrale européenne (BCE) a adopté une posture plus ferme lors de sa réunion de février, ce qui constitue une rupture avec son attitude de longue date. Les marchés tiennent maintenant compte d’une première hausse des taux d’intérêt dès juin, plutôt qu’en décembre comme ils le prévoyaient jusque-là, et s’attendent à une augmentation de 0,40 % d’ici la fin de 2022.
Ce revirement soudain tient à la bonne tenue de la zone euro face à la vague du variant Omicron, à la tension croissante des marchés de l’emploi et à la hausse de l’inflation.
Le PIB de la zone euro a gagné 0,3 % par rapport au trimestre précédent au 4e trimestre, malgré les restrictions liées à la COVID-19 et les pénuries dans la chaîne d’approvisionnement. Bien qu’il s’agisse là d’un coup de frein appuyé par rapport à la croissance trimestrielle de 2,3% enregistrée au trimestre précédent, ce gain témoigne, selon nous, d’une certaine résilience dans un contexte difficile.
Sur le plan régional, les locomotives de l’économie ont toutefois sensiblement changé, la croissance ayant notamment bénéficié des gains trimestriels respectifs de 0,7 % et de 0,6 % du PIB de la France et de l’Italie. À l’inverse, l’économie allemande, historiquement le moteur de la croissance de la zone euro, s’est contractée de 0,7 % pendant la période, en raison de difficultés d’approvisionnement dans l’industrie automobile. Si ce chiffre est décevant, certains signes montrent que la production manufacturière a commencé à prendre du mieux en décembre. Globalement, le PIB de la zone euro a progressé de 4,6 % en 2021, la France, l’Italie et l’Allemagne ayant vu leurs économies respectives croître de 7 %, 6,5% et, plus modestement, 2,8 %.
Le premier trimestre de 2022 a bien commencé, alors que les indicateurs de l’activité économique permettent tous d’espérer une poursuite de la croissance. L’expansion s’accélérera probablement dans le courant de l’année, lorsque les pénuries dans la chaîne d’approvisionnement s’atténueront. Pour l’heure, les analystes s’attendent à une croissance du PIB, supérieure à la tendance, de 4,1 % en 2022, à laquelle l’aide financière du fonds de relance de l’UE contribuera pleinement. La croissance économique de la zone euro dépassera ainsi vraisemblablement celle des États-Unis, pour la première fois depuis cinq ans. Il conviendra toutefois de surveiller de près deux facteurs, à savoir les marchés de l’emploi et la crise de l’énergie.
Les marchés de l’emploi ont continué de se redresser en décembre, et le taux de chômage global est tombé sous son niveau d’avant la pandémie, à 7 %, grâce à une forte demande. Le nombre de postes à pourvoir est aujourd’hui plus élevé qu’en 2019, du fait d’une baisse de la participation active au marché du travail et d’une diminution de la mobilité transfrontalière, toutes deux attribuables à la pandémie. Il semble que l’on manque aussi de personnes ayant les compétences nécessaires à la transition écologique.
L’indicateur des perspectives d’emploi dans la zone euro de la Commission européenne, qui mesure les prévisions d’embauche à trois mois des entreprises, s’établit légèrement en dessous de son niveau record, ce qui présage un important volume d’embauches à l’avenir. Si la reprise de la demande de main-d’œuvre reste vigoureuse, les augmentations de salaire, qui restent actuellement inférieures à 5 %, pourraient s’accélérer, du moins dans certains secteurs, et ainsi contribuer à l’inflation.
La hausse des prix de l’énergie, et en particulier du gaz naturel, gruge le pouvoir d’achat des consommateurs. Les prix du gaz naturel dans l’Union européenne ont progressé de près de 300 % l’an dernier. La plupart des gouvernements ont mis en place des mesures pour réduire l’impact des coûts élevés de l’énergie, notamment en plafonnant le prix du gaz pour les consommateurs en 2022, comme en France, ou en réduisant les taxes, comme en Italie et en Espagne, qui ont baissé leurs taxes de vente sur l’énergie pour les consommateurs. Si ces mesures peuvent apporter un baume face à la hausse vertigineuse des prix, les prix du gaz demeurent élevés, ce qui engendre un risque de voir les consommateurs réduire leurs dépenses ailleurs en réaction.
La crise de l’énergie a aussi une incidence majeure sur l’inflation, qui a été plus forte que prévu en janvier. L’indice harmonisé des prix à la consommation publié a atteint 5,1 %. Les prix de l’énergie en ont été le principal facteur, alors que l’inflation de base pour l’ensemble de la zone euro s’est établie à un niveau plus raisonnable de 2,3%.
Le rôle majeur de l’énergie dans l’envol actuel de l’inflation s’observe aussi dans l’écart important entre les inflations nationales, la France – qui a plafonné les prix de l’énergie – occupant la tête du classement avec une inflation de 3,3 %, loin devant la Lituanie, qui ferme la marche avec 12,2 %.
RBC Marchés des Capitaux est d’avis que l’inflation continuera de s’apaiser tout au long de 2022, à mesure que la contribution de l’énergie à cette dernière se normalisera, même si l’on ne s’attend plus à ce qu’elle tombe sous la cible de 2 % de la BCE avant 2023, soit plus tard que prévu initialement.
La dernière fois qu’elle a resserré sa politique monétaire, en 2011, après la crise financière mondiale, la BCE a causé une volatilité importante sur les marchés financiers et tué la reprise dans l’œuf. Elle a vite été contrainte de renoncer à cette politique. Depuis lors, d’importants progrès ont été réalisés dans le but de renforcer les institutions régionales.
Nous pensons en particulier que la mise en place du Fonds de relance de l’Union européenne de 750 milliards d’euros en 2020 est révélatrice d’une volonté de mutualiser le fardeau budgétaire. Ce fonds, financé par un emprunt effectué au nom de l’UE, est en grande partie affecté aux pays membres du sud de la zone euro, qui sont ceux qui ont le plus souffert de la pandémie. L’Union bancaire, formée il y a une dizaine d’années, veille à ce que, si une institution financière doit être recapitalisée après que les investisseurs en obligations et en actions ont été mis à contribution, il soit possible de faire appel au mécanisme européen de stabilité, organisme intergouvernemental assurant une aide financière, de sorte que le pays hôte ne soit plus le seul recours. Qui plus est, le système bancaire est aujourd’hui beaucoup plus robuste, car les banques, poussées par les organismes de réglementation, ont pris des mesures pour rebâtir leurs bilans. Enfin, la BCE s’est donné de nouveaux outils pour gérer la volatilité dans les marchés financiers.
Ces changements structurels nous laissent penser que la région devrait mieux résister au cycle de resserrement monétaire qui se profile. La BCE compte toutefois surveiller de près les effets de ses mesures sur les pays membres fortement endettés. Les écarts de taux des obligations d’État italiennes à 10 ans par rapport au titre allemand équivalent se sont déjà creusés depuis la réunion de la BCE, même s’ils restent très inférieurs à l’écart moyen depuis 12 ans.
Le graphique montre la différence (appelée écart) entre les obligations d’État italiennes et allemandes à 10 ans. En 2011, au plus fort de la crise de la dette européenne, le taux des obligations italiennes était supérieur de 5 % à celui des obligations allemandes. Le service de la dette italienne était beaucoup plus coûteux et risqué que celui de la dette allemande. Durant la crise de la COVID-19, l’écart était d’environ 3 %. L’écart est tombé à environ 1 % l’été dernier, mais est remonté à 1,6 % après la dernière réunion de la BCE; il est néanmoins inférieur à la moyenne de 12 ans de 1,95 %.
Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg ; données prises en compte jusqu’au 9 février 2022
Le contexte mondial de placement pour 2022 s’annonce d’ores et déjà plus volatil que l’an dernier. Ce constat s’applique également aux actions européennes, notamment au vu des tensions entre l’Occident et la Russie. Nous maintenons toutefois notre recommandation de surpondérer cette catégorie d’actifs, notamment par rapport à l’indice de référence. Étant donné les perspectives de croissance économique supérieures à la moyenne pour cette année, nous estimons que des prévisions de croissance des bénéfices de l’ordre de 7 % ne sont pas exagérées, ce qui laisse de la marge pour des révisions à la hausse. Les évaluations se sont améliorées, et l’indice MSCI Europe hors Royaume-Uni se négocie selon un ratio cours/bénéfice prévisionnel de 14,3, chiffre inférieur au multiple moyen depuis cinq ans. Sur le plan sectoriel, nous pensons que le secteur de la finance est bien placé pour tirer profit de la hausse des taux d’intérêt et des solides perspectives de croissance, tandis que le secteur des produits industriels pourrait aussi offrir des occasions intéressantes, étant donné la place de chef de file qu’occupe l’Europe dans les technologies vertes.
Au Québec, les services de planification financière sont fournis par RBC Gestion de patrimoine Services Financiers. qui est autorisé comme une société de services financiers dans cette province. Dans le reste du Canada, les services de planification financière sont disponibles à travers RBC Dominion valeurs mobilières.