Un événement important, l’entrée en récession de l’économie américaine en 2023, devrait façonner le milieu des placements au cours des 12 ou 18 prochains mois. Qu’est-ce que cela signifie pour les investisseurs ?
5 Décembre 2022
Jim Allworth Stratégiste, PortefeuillesRBC Dominion valeurs mobilières
« Si le renard sait beaucoup de choses, le hérisson n’en sait qu’une seule, mais elle est importante. » Cet extrait d’une parabole de la Grèce antique est cité de temps à autre pour défendre la supériorité ou l’utilité de tel ou tel mode de pensée. Comme la plupart des gens, à long terme, nous pensons qu’il vaut mieux être un renard. Toutefois, en ce moment, nous nous sentons plus comme le hérisson : nous savons une chose importante qui façonnera le milieu des placements au cours des 12 ou 18 prochains mois.
Tout d’abord, il convient de souligner que les États-Unis ne sont pas encore en récession. Pour le National Bureau of Economic Research (NBER), il faut un « déclin notable de l’activité qui se propage dans tous les pans de l’économie et qui dure plus de quelques mois ». Pour l’instant, on ne voit pas de signe probant d’un tel déclin. Cependant, plusieurs éléments nous donnent à penser qu’un repli généralisé de l’économie se produira très probablement au cours de l’année à venir :
1. L’histoire nous le dit. L’indicateur de récession avancé qui s’est révélé le plus fiable dans le passé, c’est-à-dire le niveau des taux d’intérêt à court terme par rapport aux taux à long terme, ou ce qu’on appelle la forme de la courbe de rendement, a signalé en juillet qu’une récession se profilait à l’horizon aux États-Unis, quand le taux des obligations du Trésor à un an a dépassé le taux des obligations à dix ans. Chaque fois qu’une telle « inversion » s’est produite dans le passé, une récession a eu lieu en moyenne un an plus tard.
L’indice économique avancé du Conference Board, dont le pouvoir prédictif s’est aussi toujours vérifié, est tombé en deçà du niveau où il se trouvait en septembre de l’année dernière. Une récession a toujours suivi un tel signal, en moyenne deux ou trois trimestres plus tard.
Quatre des cinq autres indicateurs avancés de récession que nous suivons sont encore en territoire positif, mais ils s’orientent (lentement) vers le point annonçant un recul de l’économie américaine au cours des prochains mois.
2. Les conditions financières sont tendues. À deux exceptions près (le repli survenu après la Deuxième Guerre mondiale et la récession de deux mois liée à la pandémie en 2020), les récessions aux États-Unis ont toujours été précédées par l’émergence de conditions financières tendues, caractérisées par des taux d’intérêt très élevés et la réticence croissante des banques à prêter.
L’inversion de la courbe de rendement en juillet, mentionnée ci-dessous, indiquait que les conditions de crédit commenceraient à devenir restrictives. Effectivement, les taux d’intérêt sont devenus prohibitifs pour bien des emprunteurs, en raison du resserrement accéléré entrepris par la Réserve fédérale (Fed) et la plupart des autres banques centrales importantes. Entre autres conséquences, les taux hypothécaires beaucoup plus hauts ont plombé la demande de propriétés neuves et existantes. Les permis de construire ont fortement chuté, un signe clair, selon nous, que la construction résidentielle diminuera au cours des prochains mois.
En outre, il est de plus en plus difficile d’obtenir des prêts. Selon les trois dernières enquêtes menées auprès des responsables du crédit (que la Fed publie tous les trois mois), un nombre grandissant de banques américaines resserrent leurs normes de crédit (autrement dit, elles se montrent plus sélectives quant à l’octroi de prêts) pour presque toutes les catégories de prêts à la consommation et aux entreprises.
3. La consommation perdra de sa vigueur en 2023. La trajectoire des dépenses de consommation, qui génèrent environ 70 % du PIB, revêt une importance capitale. Certes, les comptes bancaires affichent toujours une épargne excédentaire et les salaires augmentent. Cependant, la poussée d’inflation a tiré les revenus réels en deçà de ce qu’ils étaient il y a un an. Les dépenses personnelles réelles ont néanmoins continué d’augmenter, les emprunts supplémentaires permettant de combler l’écart. Ainsi, l’endettement par cartes de crédit a bondi de 20 % au cours des 18 derniers mois.
Une bonne partie de la future demande de biens a été repoussée en 2020 et 2021, étant donné que les fermetures liées à la pandémie ont rendu inaccessibles un grand nombre de services, tandis que les revenus des consommateurs sont restés robustes grâce aux programmes d’aide du gouvernement, dont la plupart ont maintenant pris fin. Une part non négligeable de la demande accumulée pour les services comme les voyages et les sorties au restaurant a été comblée en 2022. Le rythme soutenu des dépenses consacrées aux services devrait donc ralentir l’an prochain.
Les consommateurs sont également très pessimistes face à l’avenir, tout comme les chefs d’entreprises. Les indices de confiance des consommateurs et des entreprises se situent déjà à des creux qu’on observe habituellement en période de récession.
En ce qui concerne les taux d’intérêt, nous prévoyons que 2023 sera une année de transition : les taux devraient augmenter encore un peu au premier semestre avant de régresser au deuxième.
Au cours des 70 dernières années, la Fed a généralement cessé de relever les taux et commencé à les réduire avant même le début de la récession. Cela n’a toutefois pas été le cas lorsque l’inflation était forte, dans les années 1970 et au début des années 1980 ; les baisses de taux n’ont alors commencé qu’une fois la récession bien avancée. Au cours de la même période, les taux des obligations du Trésor à dix ans ont généralement atteint leur sommet et amorcé un déclin avant que la récession commence et que la Fed entame les réductions de taux. Là encore, les récessions des années 1970 font figure d’exceptions.
Compte tenu des préoccupations actuelles entourant l’inflation, la Fed a insisté sur les dangers d’un abaissement trop rapide des taux. Si les données sur l’inflation continuent de s’améliorer, les décideurs pourraient être en mesure de lever le pied sur les futures hausses de taux et, même, de prendre une pause pendant un certain temps. Toutefois, il nous paraît peu probable que les taux diminuent d’entrée de jeu, tant que les données économiques, en particulier l’emploi, ne se sont pas détériorées de façon notable. La Fed devrait envisager de baisser les taux à partir du deuxième semestre de 2023, afin d’atténuer l’incidence de la récession qui débutera d’ici le milieu de l’année selon nos prévisions.
Nous pensons que les réductions opérées par la Fed encourageront les banques centrales d’autres pays développés à lui emboîter le pas, dans la mesure où l’inflation fléchit également dans ces pays, sachant que la récession y sera probablement plus profonde et plus pénible, du moins en Europe et au Royaume-Uni.
Les taux des obligations à dix ans ont peut-être déjà atteint un sommet ou en sont proches. Toutefois, nous doutons qu’ils reculent beaucoup par rapport aux niveaux actuels jusqu’à ce que l’inflation soit résolument engagée sur une trajectoire descendante et que la baisse des taux des banques centrales soit en vue, ce qui devrait se produire au deuxième semestre de 2023.
Le graphique linéaire compare la valeur de quatre grands indices boursiers depuis décembre 1959 sur une échelle logarithmique, avec indexation à 100 en décembre 1959, et met en évidence les périodes de récession. Les valeurs de tous les indices ont chuté pendant les récessions. Les indices présentés sont l’indice S&P 500, l’indice composé S&P 500/TSX, l’indice FTSE All-Share et l’indice MSCI Europe.
Sources : Standard & Poor’s, Bourse de Toronto, FactSet ; données trimestrielles jusqu’au 31 octobre 2022, présentées selon une échelle logarithmique et ramenées à 100 en décembre 1959
En ce qui concerne les investisseurs en actions, les récessions aux États-Unis s’accompagnent généralement de marchés baissiers à l’échelle mondiale. Depuis neuf mois, les commentaires des médias tiennent pour acquis que le marché baissier a déjà commencé. Ils ont peut-être raison. Cependant, peu importe la direction que prendra le marché boursier au cours des prochains trimestres, il est peu probable, selon nous, qu’il évolue en ligne droite.
Quelques semaines avant les élections de mi-mandat aux États-Unis, qui ont eu lieu au début novembre, la plupart des grands marchés boursiers ont amorcé un redressement qui semblait plus ferme que toute autre hausse à contre-courant observée en 2022. À l’extérieur des États-Unis, certains des marchés qui avaient inscrit les pires rendements l’an dernier, notamment l’Europe, la Chine et Hong Kong, ont mené le bal.
Jusqu’à présent, presque tout le monde a qualifié cette reprise de simple rebond momentané du marché baissier. Bien entendu, il peut effectivement ne s’agir que de cela. Cependant, plusieurs facteurs nous portent à croire que la remontée actuelle pourrait durer pendant une partie de la nouvelle année : les données signalent une modération de l’inflation, de sorte que la Fed pourrait ralentir la cadence des hausses de taux ; les investisseurs ont manifesté un grand pessimisme lors des creux du marché en octobre, qui a contrasté avec l’optimisme complaisant affiché lorsque le marché a touché son sommet en janvier ; enfin, l’indice S&P 500 a presque toujours produit de solides gains pendant plusieurs mois dans la foulée des élections de mi‑mandat aux États-Unis.
À notre avis, il reste à voir si la remontée en cours des actions est plus qu’un simple interlude haussier dans une tendance baissière prolongée.
Cela dit, la récession qui devrait se produire vers le milieu de 2023 est maintenant clairement annoncée par nos indicateurs avancés les plus fiables. Étant donné que toutes les récessions aux États-Unis ont été associées à une chute des actions (non seulement sur les marchés américains, mais aussi dans tous les autres marchés boursiers importants), nous nous attendons à ce qu’un raffermissement des prix au cours des prochaines semaines ou des prochains mois finisse par céder le pas à une autre période de déclin, dans la foulée de la baisse des prévisions de bénéfices et de l’érosion de la confiance en l’avenir qui accompagnent habituellement une période de repli économique.
Nous voyons au moins deux réponses à cette question. En période de récession et de marché baissier, les investisseurs passent généralement de l’optimisme à un pessimisme extrême en l’espace de quelques mois, sur fond de révision à la baisse des estimations de bénéfices, d’aggravation des problèmes des sociétés, qui sont maîtrisables lorsque l’économie croît, mais qui peuvent être difficilement résolus lorsqu’elle se contracte, et d’apparition de crises imprévues. Au fil des mois, alors que le climat des affaires se dégrade, les investisseurs peuvent craindre que les problèmes, dont ils ont pris conscience tardivement, ne puissent pas être complètement réglés.
Lorsque leur pessimisme atteint son paroxysme, les investisseurs peuvent aller jusqu’à croire que la récession sera beaucoup plus longue qu’en réalité. Cette conviction (erronée) les rend particulièrement sceptiques lorsque le marché boursier reprend de la vigueur, comme il le fait toujours bien avant que la récession soit terminée, d’habitude, de trois à cinq mois auparavant.
Toutefois, si l’on prend du recul et que l’on examine une plus longue période de l’histoire de l’économie et des marchés, les choses semblent beaucoup moins chaotiques et beaucoup plus encourageantes. Le premier graphique de la page suivante montre que, même en tenant compte des marchés baissiers, l’indice S&P 500 a suivi une tendance haussière remarquablement stable au cours des 77 années qui nous séparent de la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Durant cet intervalle, l’indice s’est apprécié de 7,3 % par an. Bien entendu, les investisseurs ont également reçu des dividendes, d’environ 2 % par an. (Dans cet exemple, les dividendes ne sont pas réinvestis, mais versés chaque année.) Par conséquent, le rendement total d’un placement dans les 500 entreprises figurant parmi les plus importantes et les plus établies des États-Unis a dépassé 9 % par an, et ce rendement a été généré de façon assez constante sur près de quatre générations.
Le graphique linéaire présente le rendement annuel de l’indice S&P 500 depuis 1945 sur une échelle logarithmique, ainsi qu’une courbe de tendance illustrant la tendance haussière constante. L’indice est passé d’environ 17 en 1945 à plus de 4 300 en 2022.
Source : Standard & Poor’s ; données annuelles présentées selon une échelle logarithmique
Fait important, comme le montre le graphique ci-dessous, le fait que l’indice est passé d’une faible valeur en 1945 à une valeur très élevée aujourd’hui ne signifie pas qu’il est passé d’un niveau « bon marché » à un niveau « cher ». Sa valeur a plutôt augmenté au même rythme que la croissance des bénéfices des 500 sociétés qui le composent. Il s’agit d’une « course à égalité », au sens où la valeur de l’indice S&P 500 en tant que tel et son bénéfice par action ont gagné 7,3 % par an depuis 77 ans.
Le graphique linéaire compare le rendement annuel de l’indice S&P 500 et le bénéfice d’exploitation par action des sociétés du S&P 500 depuis 1945 sur une échelle logarithmique, avec indexation à 100 en 1945. Les deux séries de données se suivent de près au cours de la période visée.
Depuis 1945, les cours des actions et les bénéfices ont augmenté en moyenne de 7,3 % par an.
Sources : RBC Gestion de patrimoine, Standard & Poor’s ; données annuelles présentées selon une échelle logarithmique
Il est également rassurant de noter, comme le montre le graphique ci-dessus, que le taux annuel de 7,3 % n’est pas un nombre « magique » que l’on doit accepter de bonne foi. En fait, ce taux de croissance est presque entièrement dicté par l’expansion de l’économie américaine au fil du temps. La croissance annuelle du PIB nominal s’est établie en moyenne à 6,4 % de 1945 à aujourd’hui. (Le PIB nominal correspond au PIB non corrigé de l’inflation. Nous l’utilisons ici, puisque ni le S&P 500 ni les bénéfices ne sont ajustés en fonction de l’inflation.) À notre avis, la raison pour laquelle la croissance des bénéfices et de la valeur moyenne des actions a dépassé de près d’un point de pourcentage par année la croissance de l’économie est qu’une part grandissante des sociétés de l’indice ont réussi à prendre de l’expansion à l’étranger aussi bien qu’aux États-Unis pendant toutes ces années.
Le graphique linéaire compare le bénéfice d’exploitation annuel par action des sociétés du S&P 500 et le PIB nominal des États-Unis sur une échelle logarithmique, avec indexation à 100 en 1945. Les deux séries de données se suivent de près, mais les bénéfices ont augmenté plus rapidement.
Depuis 1945, le PIB nominal des États-Unis a crû de 6,4 % par année, tandis que les bénéfices ont augmenté de 7,3 % par année en moyenne.
Sources : RBC Gestion de patrimoine, Standard & Poor’s, Réserve fédérale américaine ; données annuelles présentées selon une échelle logarithmique
Ce point de vue à long terme révèle donc que l’économie et les entreprises s’adaptent constamment à l’évolution des conditions. Cette adaptation est parfois difficile. Mais bien que les récessions soient pénibles, elles sont généralement très brèves. Au cours des 77 années que nous examinons, l’économie a été en récession pendant l’équivalent de 12 ans au total, soit à peu près 15 % du temps. Le graphique ci-dessus met en évidence cette période de récession limitée. En regardant de plus près la ligne représentant le PIB, vous pouvez à peine distinguer six creux très légers qui coïncident avec les périodes de récession. Or, il s’est produit treize récessions au total pendant ce laps de temps ; seules six sont à peine visibles et sept ne le sont pas du tout.
D’après nous, la prise de décisions importantes de répartition de l’actif fondées sur l’hypothèse voulant que l’économie et des entreprises prospères aient du mal à s’adapter ou que les périodes difficiles durent plus longtemps semble exagérée selon les données historiques.
En revanche, il nous semble approprié, à l’approche de 2023, de miser sur une stratégie qui met plus l’accent sur la qualité et les dividendes durables et d’éviter les risques propres aux sociétés individuelles qui pourraient se concrétiser en cas de récession.
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