Interprétation des propos de la Réserve fédérale

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De nombreux investisseurs à long terme scrutent les discours de la Fed pour savoir ce qui les attend. Nous vous expliquons pourquoi ils ne sont pas des indicateurs fiables et pourquoi les investisseurs gagneraient à miser sur la planification, et non sur l’analyse, pour constituer leurs portefeuilles.

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1 septembre 2022

Par Atul Bhatia, CFA

Le président de la Fed, Jerome Powell, a prononcé son discours d’ouverture très attendu lors de la conférence sur la politique monétaire à Jackson Hole, au Wyoming. Il a annoncé que la banque centrale adopterait une politique plus ferme afin de combattre l’inflation, même si ce durcissement entraîne un ralentissement de la croissance et une hausse du chômage. Selon lui, la stabilité des prix est indispensable pour assurer une croissance stable à long terme et favoriser la création d’emplois.

Nous convenons que la politique monétaire est cruciale pour l’économie en général et les cours des marchés, mais selon nous, les discours comme celui qu’a prononcé Jerome Powell sont moins révélateurs des mesures que pourrait prendre la Fed qu’il n’y paraît à première vue. Nous pensons également que la réaction divergente des marchés (les cours des actions ont enregistré un recul plus important que ceux des obligations) reflète cette réalité sous‑jacente.

Les prévisions de la Fed se réalisent rarement

Les prévisions pour une période de deux ans sont très différentes des taux réels

Comparaison entre la prévision médiane de la Réserve fédérale pour les taux d’intérêt deux ans plus tard et le niveau réel des taux d’intérêt

Le graphique linéaire montre une comparaison entre la prévision médiane de la Réserve fédérale pour les taux d’intérêt deux ans plus tard et le niveau réel des taux d’intérêt atteint après ces deux années. Il révèle que les estimations de la Fed diffèrent constamment des valeurs réelles, les écarts étant d’au moins 2 % pour près de quatre des huit années de la période de janvier 2012 à juin 2022 pour lesquelles nous disposons de données.

  • Prévisions de la Fed deux ans avant les faits
  • Taux réel des fonds fédéraux deux ans plus tard

Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg ; données prises en compte jusqu’au 30 juin 2022

Les prévisions à long terme sont peu fiables

La Fed est étonnamment mauvaise pour prédire son propre comportement. Même les membres qui votent à l’égard de la politique ne sont pas en mesure de prédire leurs propres votes avec quelque précision que ce soit. Comme le montre le graphique, les prévisions de taux d’intérêt illustrées par les diagrammes à points de la Fed, qui présentent les projections trimestrielles des responsables de sa politique, sont terriblement inexactes.

Le principal défaut des projections à long terme de la Fed, tant lors des discours que dans les diagrammes à points, est le suivant : elles indiquent comment les membres de la Fed sont susceptibles d’agir si l’économie évolue exactement comme prévu… ce qui arrive rarement. De ce fait, les prévisions sont souvent grandement erronées. Les projections à long terme de la Fed sont comparables à la planification du budget d’un ménage fondée sur la possibilité de gagner à la loterie : elles peuvent nous apprendre quelque chose sur les personnes concernées, mais seront peu utiles à l’avenir.

La Fed est consciente du problème. Elle fait donc une meilleure mise en contexte et émet plus de remarques concernant ses projections officielles. Nous pensons que les commentaires de son président devraient aussi faire l’objet d’une telle approche nuancée.

Publics multiples, objectifs multiples

Les intervenants de la Fed sont également limités dans les opinions qu’ils peuvent exprimer.

Les responsables de la politique monétaire et les chercheurs ont formulé des arguments convaincants contre l’augmentation des taux bien au‑delà de leur niveau actuel à court terme. Comme la politique produit ses effets avec un certain décalage, l’incidence des récentes hausses ne se fait pas encore pleinement sentir. L’inflation actuelle est imputable en grande partie aux perturbations des chaînes d’approvisionnement, mais il est peu probable qu’elles soient éliminées par le resserrement de la politique. Certains signes indiquent d’ailleurs que l’inflation de base a déjà atteint son sommet.

Cependant, même si cette position raisonnable et bien étayée reflétait l’opinion de Jerome Powell, nous croyons qu’il ne pouvait le dire de façon concrète à Jackson Hole parce qu’il aurait risqué d’accentuer les anticipations inflationnistes et de faire grimper les salaires (et l’inflation future). Fait tout aussi important, après avoir qualifié à tort l’inflation de « transitoire », la banque centrale risquerait de mettre sa crédibilité institutionnelle en péril si elle proclamait sa victoire contre l’inflation avant que le marché en ait l’impression.

Le discours de la Fed est donc comme une pièce de théâtre kabuki : les responsables de la politique disent ce que les consommateurs et les acteurs des marchés ont besoin d’entendre plutôt que de présenter une analyse équilibrée de la conjoncture.

Les marchés pourraient‑ils tolérer un relâchement de la politique monétaire ?

Les anticipations inflationnistes demeurent élevées malgré le discours ferme du président de la Fed

Évolution du swap d’inflation 5a5a

Le graphique linéaire illustre l’évolution du swap d’inflation 5a5a, mesure de l’inflation annuelle prévue par le marché durant une période de cinq ans débutant dans cinq ans, et sa médiane (2,31& %) depuis septembre 2017. Le niveau actuel de 2,66 % est supérieur de plus de 0,3 % à la médiane et de 0,03 % au niveau atteint avant le discours du président de la Fed, Jerome Powell.

  • Inflation annuelle prévue durant une période de cinq ans commençant cinq ans plus tard
  • Médiane

Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg ; données prises en compte jusqu’au 31 août 2022

Les données parlent d’elles‑mêmes

Le discours de Jerome Powell a tout de même fourni des précisions utiles sur les décisions de la banque centrale à court terme, car il a clairement réitéré que la hausse prévue ce mois‑ci sera de 50 à 75 points de base (pb). Les contrats à terme sur taux d’intérêt et les taux des obligations du Trésor américain à deux ans, qui ont atteint leurs plus hauts niveaux en près de 15 ans, reflètent désormais cette prise de position.

Abstraction faite de l’évolution des taux d’intérêt à court terme, les marchés des obligations du Trésor ont toutefois grandement fait fi du discours : les taux à long terme sont rapidement retournés aux niveaux de la semaine dernière. Dans les trois jours qui ont suivi le discours, les taux des obligations à cinq ans ont constamment clôturé au‑dessous de 3,27 %. Ce niveau ne correspond aucunement à la perspective d’une hausse vigoureuse par la Fed et d’un maintien des taux bien au‑delà de sa cible actuelle.

Les investisseurs en obligations semblent peu disposés à donner le bénéfice du doute au président de la Fed sur quoi que ce soit au‑delà des mesures immédiates, et préfèrent apparemment attendre pour connaître la trajectoire que prendront l’économie et la Fed.

Répercussions sur l’ensemble des marchés

Malgré la stabilité relative du marché obligataire, les marchés boursiers ont nettement reculé à la suite du discours, notamment parce que les actions, en particulier les actions de croissance, sont très sensibles aux hausses de taux. Si la hausse des taux est supérieure à 1 % de ce qui est anticipé par les marchés, le recul des obligations du Trésor à cinq ans sera probablement inférieur à 5 %, car l’incidence d’un tel relèvement ne se fait plus sentir à l’échéance. Ce rendement est loin d’être excellent, mais la plupart des investisseurs pourront s’en accommoder. En ce qui concerne les actions, la chute pourrait être plus importante parce que l’incidence de l’augmentation des taux persiste jusqu’à ce qu’ils diminuent. De ce fait, même s’il n’y a que 10 % de chances que la Fed passe à l’acte, les marchés boursiers sont plus susceptibles d’en tenir compte que la plupart des investisseurs en obligations.

Les actions sont non seulement menacées par l’inflation et les mesures monétaires possibles pour la contrer, mais aussi par le risque élevé d’une récession généralisée au pays, par des estimations de bénéfices probablement trop élevées pour 2023 et par la crise énergétique en Europe. Nous croyons que ces facteurs expliquent en bonne partie la chute des cours des actions et des obligations de sociétés, qui ont tendance à être sensibles à la croissance, depuis la conférence.

Pour toutes ces raisons, entre autres, nous continuons de recommander une pondération neutre à l’égard des actions américaines et mondiales.

Suivre un plan et faire abstraction des manchettes

Nous n’en savons qu’un peu plus sur les intentions de la Fed à la suite du discours de son président. La politique dépendra donc de la conjoncture économique dans son ensemble, mais la hausse de ce mois‑ci devrait vraisemblablement être de 75 pb.

À notre avis, l’effervescence qu’a suscitée le discours témoigne de l’importance capitale de la répartition de l’actif et de la planification à long terme pour les investisseurs individuels ayant un horizon de placement lointain. Personne ne possède de boule de cristal. Il est peu probable que les tentatives d’anticipation du marché, même sous prétexte de prédire les décisions en matière de politique monétaire, soient bénéfiques pour les rendements des placements.


Au Québec, les services de planification financière sont fournis par RBC Gestion de patrimoine Services Financiers. qui est autorisé comme une société de services financiers dans cette province. Dans le reste du Canada, les services de planification financière sont disponibles à travers RBC Dominion valeurs mobilières.


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