La politique de la Fed entre-t-elle dans une nouvelle phase ?

Analyse
Perspectives

Les ajustements à la politique dépendront des données disponibles, mais celles-ci ne sont pas toujours encourageantes, et la nouvelle hausse de taux pourrait bien être l’une des dernières.

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28 juillet 2022

Thomas Garretson, CFA
Premier stratégiste, Portefeuilles
Stratégies des titres à revenu fixe
Services-conseils en gestion de portefeuille – États-Unis

Par Thomas Garretson, CFA

La première tâche est accomplie. Depuis la fin de la dernière année, la Fed a utilisé son outil le plus puissant, les indications prospectives, pour préparer les marchés aux hausses de taux. L’inflation, qui a atteint un sommet cette année, a incité la Réserve fédérale (Fed) à accélérer le rythme de ces hausses en vue de ramener les taux directeurs à un niveau « neutre », et ce, de manière expéditive. Maintenant, à la suite d’une deuxième hausse consécutive de 75 points de base (pb), qui a établi la fourchette cible à des bornes de 2,25 % et 2,50 %, la politique monétaire vise le milieu de la fourchette du taux neutre cible pour l’économie que la Fed estime être entre 2 % et 3 %, où, en théorie, elle ne freine ni n’alimente la croissanceéconomique.

La première tâche était relativement simple, car il y avait peu de risques d’erreur de politique à ce stade, et les taux étaient bas dans un contexte de vigueur de l’économie et du marché de l’emploi. La deuxième tâche commence maintenant et elle sera nettement plus difficile à notre avis.

Un peu débridé, mais pas pour longtemps

Le président de la Fed, Jerome Powell, a indiqué hier que le meilleur moyen de soutenir l’expansion économique est de maîtriser l’inflation en ramenant les taux directeurs au point neutre, voire à des niveaux modérément restrictifs. Qu’est-ce que cela signifie ? Personne ne le sait, même pas la Fed. Le taux neutre n’est qu’une estimation fondée sur des modèles, et il ne peut être observé en temps réel. C’est seulement après le fait, et habituellement en pleine récession, que nous pouvons examiner les données et déterminer que nous avions atteint le taux neutre.

Comme l’illustre le graphique, ce point de rupture était de 6,50 % en 2000, et une récession a eu lieu peu de temps après ; il était de 5,25 % en 2006 et la Fed n’a pas eu besoin d’intervenir pendant une période de 14 mois avant la crise financière. En 2019 ? Des fissures sont apparues dans l’économie alors que les taux s’établissaient tout juste à 2,50 %, et il n’a fallu que six mois pour que la Fed commence à abaisser les taux, avant que la pandémie éclate en 2020. En fait, la Fed relève ou abaisse les taux. La période de 1994 à 1998 a été une rare exception, et cet épisode au cours duquel la Fed a procédé à de fortes hausses de taux sans déclencher de récession officielle a fait couler beaucoup d’encre ; le mot à retenir dans cette phrase est « rare ».

Le marché prévoit d’autres hausses de taux, mais aussi des baisses de taux

L’évolution du taux des fonds fédéraux depuis 30 ans et les attentes du marché

Le graphique linéaire indique l’évolution du taux des fonds fédéraux depuis 30 ans et les attentes du marché, soit un taux directeur culminant à environ 3,25 % d’ici la fin de 2022, puis de légères baisses en 2023 qui amèneront le taux directeur à environ 2,75 % en fin d’année.


Taux des fonds fédéraux

Trajectoire prévue du taux des fonds fédéraux

Limite supérieure de la fourchette « neutre »

Limite inférieure de la fourchette « neutre »

Nota : La fourchette du taux neutre indique les projections du minimum (2 %) et du maximum (3 %) tirées du Summary of Economic Projections de la Fed pour le mois de juin.

Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg ; les attentes de hausses de taux résultent des données des contrats à terme sur les fonds fédéraux.

Avant même que la Fed tienne sa réunion cette semaine, nous nous attendions à ce qu’elle porte les taux seulement un peu au-dessus du niveau neutre, car les enjeux ne font que gagner en importance, avant de ralentir le rythme à des hausses de 25 pb, et seulement si les données l’y incitent, à compter de la réunion du 20 et du 21 septembre. Comme les marchés tiennent maintenant compte de baisses de taux dès l’année prochaine, nous pensons que la Fed approche déjà de la fin du cycle actuel de hausse des taux. Les arguments en faveur de ce point de vue n’ont fait que se multiplier avec la publication du rapport sur le PIB cette semaine.

Les caractéristiques d’une récession : gravité, étendue et durée

Sommes-nous en récession ? Sommes-nous en récession technique ? Un instant… Que signifie « récession technique » au juste ? Qui peut dire que nous sommes en récession, technique ou autre ?

Ce sont les questions que plusieurs se posent après la publication de la première estimation du PIB des États-Unis pour le deuxième trimestre, qui a révélé un repli de 0,90 %. Il s’agit du deuxième repli consécutif, survenant après le recul de 1,60 % au premier trimestre. C’est assez simple. En règle générale, deux trimestres de contraction équivalent à une récession. Donc, nous sommes en récession.

Euh, pas vraiment ! Oui, le premier trimestre a été décevant, mais comme nous en avons déjà discuté, et comme l’illustre le tableau, ce repli « fantôme » découle presque entièrement d’une baisse des importations en raison des perturbations des chaînes logistiques et des mesures de confinement en Chine. On ne peut acheter ce qu’on ne peut se procurer, et la faiblesse n’a touché qu’une seule catégorie ; l’étendue était donc négligeable. Nous doutons que nous puissions qualifier cette situation de récession.

Ventilation des principaux facteurs et des principales tendances du PIB

Juin 2022 Mars 2022 Déc. 2021 Sept. 2021
Produit intérieur brut -0,90 -1,60 6,90 2,30
Dépenses personnelles de consommation 0,70 1,24 1,76 1,35
Biens -1,08 -0,07 0,28 -2,21
Services 1,78 1,31 1,48 3,57
Investissements intérieurs privés bruts -2,73 0,93 5,82 2,05
Investissements en immobilisations -0,72 1,28 0,50 -0,16
Variation des stocks privés -2,01 -0,35 5,32 2,20
Exportations nettes 1,43 -3,23 -0,23 -1,26
Exportations 1,92 -0,55 2,24 -0,59
Importations -0,49 -2,69 -2,46 -0,68
Dépenses publiques -0,33 -0,51 -0,46 0,17
Gouvernement fédéral -0,20 -0,46 -0,29 -0,35
États et administrations locales -0,13 -0,05 -0,17 0,52

Nota : Taux annuel sur trois mois (désaisonnalisé) et contribution de chaque composante du PIB global.

Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg.

La faiblesse était un peu plus généralisée au deuxième trimestre, puisque les dépenses personnelles de consommation ont fléchi, la baisse des stocks a freiné la croissance et les investissements en immobilisations ont considérablement chuté, tandis que la hausse des taux d’intérêt a pesé sur le marché du logement. Cependant, les consommateurs continuent de favoriser les services au détriment des biens. Ce revirement, que la Fed souhaitait, devrait réduire les pressions inflationnistes sur le prix des biens. Nous pensons que les stocks ne devraient pas être pris en considération. Les entreprises les ont augmentés l’an dernier, ce qui a alimenté le PIB, et elles les réduisent cette année, ce qui nuit à la croissance trimestrielle, mais l’effet devrait s’atténuer au fil du temps.

Le National Bureau of Economic Research (NBER) établit les dates officielles des récessions, mais ne les annonce qu’après coup. Si nous sommes actuellement en récession, nous ne le saurons pas « officiellement » avant l’an prochain.

Même si nous n’établissons pas les règles, dirions-nous que nous nous trouvons actuellement en récession ? Probablement pas. En 2021, nous avons connu trois trimestres de croissance de plus de 6 %; en ce qui a trait à la « gravité », la contraction ne semble donc pas très importante. L’« étendue » de la faiblesse reste limitée, et la « durée » de la faiblesse économique réelle n’est peut-être que de quelques mois à ce stade-ci.

Il ne fait toutefois aucun doute que l’économie ralentit, et rapidement, et que les risques d’une récession d’ici la fin de l’année ne font qu’augmenter. Maintenant, la question est de savoir jusqu’où la Fed est prête à aller.

En rafale

En fin de compte, la politique monétaire met beaucoup de temps à agir sur l’économie. Étant donné les tensions constatées au sein de l’économie et des marchés depuis le début de l’année, nous croyons que la Fed n’a plus grand-chose d’autre à faire et que les hausses de taux déjà appliquées jusqu’ici réussiront à contenir la croissance et l’inflation jusqu’à l’an prochain. Nous nous attendons à environ deux autres hausses de 25 pb cet automne avant que la Fed ne maintienne les taux aux alentours de 3 %.

L’activité récente du marché confirme cette hypothèse. Depuis la hausse de 75 pb par la Fed en juin, qui a été suivie d’une autre cette semaine, le tout combiné à deux trimestres de contraction économique, l’indice S&P 500 a gagné plus de 11 %, les courbes des taux, même si elles sont toujours inversées, ont commencé à s’accentuer, tandis que le marché a revu à la baisse ses attentes de hausses de taux et que les marchés du crédit ne révèlent que de légers signes de tension.

Compte tenu d’une autre semaine de mesures musclées prises par la Fed, de données économiques inégales et de volatilité généralisée au cours d’une année qui n’est pas en reste à cet égard, les marchés semblent s’en être plutôt bien tirés jusqu’à maintenant.


Au Québec, les services de planification financière sont fournis par RBC Gestion de patrimoine Services Financiers. qui est autorisé comme une société de services financiers dans cette province. Dans le reste du Canada, les services de planification financière sont disponibles à travers RBC Dominion valeurs mobilières.


Thomas Garretson, CFA

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