Faut-il s’inquiéter de la montagne de dettes des entreprises américaines ?

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La reprise économique s’appuie sur un endettement des sociétés d’une ampleur sans précédent. Comment les investisseurs devraient-ils évaluer les occasions et les risques pour le présent cycle économique ?

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1 Décembre 2021

Thomas Garretson, CFA
Premier stratégiste, Portefeuilles
Stratégies des titres à revenu fixe
Services-conseils en gestion de portefeuille – États-Unis

En 2020, les entreprises ont pulvérisé un record d’émission de titres de créance en émettant pour 2,28 billions de dollars d’obligations et de prêts, comprenant à la fois de nouvelles obligations et des obligations émises pour refinancer la dette existante. Cette année, les entreprises avaient déjà recueilli 1,56 billion de dollars supplémentaires sur le marché à la fin de septembre. Selon les données de la Réserve fédérale, le marché de la dette et des prêts des sociétés non financières atteint désormais une valeur d’environ 11 billions de dollars.

Toutefois, les niveaux d’endettement ne peuvent pas être considérés isolément ; tout est relatif. Comme le montre le graphique de la page suivante, les niveaux d’endettement des entreprises ne se sont pas trop éloignés des tendances à long terme si on les évalue par rapport au produit intérieur brut (PIB). Ce ratio est une façon parmi d’autres d’évaluer la taille relative du marché des obligations de sociétés. La poussée du ratio dette des entreprises/PIB provoquée par la pandémie était en grande partie due à l’effondrement du PIB. Maintenant que le PIB a retrouvé son niveau d’avant la pandémie et qu’il devrait encore croître à un rythme bien supérieur à la tendance à long terme de 2 % au moins jusqu’en 2023 (selon les prévisions générales de Bloomberg en octobre), ce ratio devrait encore baisser sous la barre des 50 %.

Alors que la reprise économique se poursuit, les taux d’endettement des entreprises progressent de nouveau à un rythme proche de leur tendance à long terme.

Le graphique montre une vue à long terme du rapport entre la dette des entreprises et la production économique des États-Unis.

Le graphique montre une vue à long terme du rapport entre la dette des entreprises et la production économique des États-Unis. Du fait de la reprise économique en cours, ce ratio est désormais proche de sa tendance, ce qui semble indiquer une réduction des risques systémiques liés à l’endettement des entreprises comparativement à des niveaux antérieurs traduisant des écarts considérables.

  1. Inflation et récessions
  2. Bulle des obligations à haut risque
  3. Bulle de la technologie, des médias et des télécommunications
  4. Désendettement après la crise financière
  5. COVID-19
Récessions aux États-Unis
Ratio dette des sociétés non financières américaines/PIB

Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg ; données jusqu’au 2e trimestre de 2021, compte tenu d’une dette des sociétés non financières de 11,2 billions de dollars et d’un PIB nominal de 22,7 billions de dollars.

Il n’est pas étonnant que les entreprises s’endettent à tour de bras, puisque le coupon moyen payé par les entreprises, selon l’indice des obligations de sociétés américaines Bloomberg Barclays, atteint aujourd’hui un creux record de seulement 3,6 %, contre plus de 4 % avant la pandémie. La situation est la même sur le marché obligataire des entreprises de catégorie spéculative, où les entreprises les moins bien notées paient un taux d’intérêt moyen de seulement 5,7 %, contre près de 6,5 % avant la pandémie (également le niveau le plus bas jamais enregistré).

Les craintes sont nombreuses quant à l’existence de risques systémiques dus à un endettement élevé dans le monde entier. Pourtant, le paramètre mentionné ci-dessus laisse entendre que les risques découlant de l’élargissement du marché des obligations de sociétés américaines restent faibles.

L’endettement est donc en hausse, mais la liquidité s’est améliorée grâce à l’accumulation de flux de trésorerie record par les entreprises, et les frais d’intérêt sont en baisse. Les entreprises pourraient-elles sortir de la pandémie dans une bien meilleure situation financière malgré l’augmentation de leur endettement ?

Après la baisse, la remontée

Il n’est pas surprenant que les principales agences de notation aient pris des mesures négatives importantes en 2020. Par exemple, S&P Global Ratings a abaissé les cotes de crédit d’environ 1 200 entreprises américaines. En revanche, les rehaussements ont représenté près du double des rétrogradations en 2021.

Les évaluations par le marché des risques liés à l’ensemble des obligations de sociétés confirment ces tendances. Depuis octobre 2020, l’indice des anges déchus du marché américain des titres à rendement élevé Bloomberg (c’est-à-dire les entreprises dont la cote de crédit a été abaissée de la catégorie investissement à la catégorie spéculative) a dégagé des rendements totaux de plus de 15 %, contre 10 % pour l’indice général de la catégorie spéculative et seulement 2 % pour les obligations de sociétés de catégorie investissement.

Après un certain nombre d’abaissements des cotes de crédit en 2020, les relèvements des cotes de crédit ont atteint leur niveau le plus élevé depuis dix ans en 2021.

Le graphique montre les décisions annuelles de S&P Global Ratings en matière de cotes de crédit.

Le graphique montre les décisions annuelles de S&P Global Ratings en matière de cotes de crédit. Les hausses représentent le double des baisses, car les finances des entreprises semblent plus saines au sortir de la pandémie.

Abaissements
Relèvements
Ratio relèvements/abaissements

Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg ; le graphique montre les changements de cote de crédit effectués par S&P Global Ratings, mais non les changements apportés à la mise sous surveillance ; données prises en compte jusqu’au 27 octobre 2021

Doit-on remercier la Fed ?

Bien sûr, l’élément déterminant de la pandémie a été la première incursion de la Fed sur les marchés du crédit. La banque centrale a innové en accordant des prêts directs aux entreprises et en achetant des obligations de sociétés et des fonds négociés en bourse (FNB) liés à des obligations de sociétés sur le marché secondaire.

Bien que la taille potentielle des programmes de la Fed ait été importante, sa portée réelle a finalement été assez minime, puisque le total des avoirs n’a atteint qu’environ 15 milliards de dollars, soit à peine 0,10 % du marché total. En fait, en août 2021, le portefeuille d’obligations de sociétés et de FNB connexes de la Fed était arrivé à échéance ou avait été vendu, et la banque centrale américaine ne détenait alors plus aucune position en obligations de sociétés.

Les mesures de soutien indispensables de la Fed ont probablement contribué à endiguer certains des pires effets de la récession de 2020, le taux de défaillance ayant culminé à environ 7,5 %, soit la moitié seulement du taux de défaillance pondéré en fonction du marché observé lors des récessions de 2001 et 2008. Le facteur le plus important a peut-être été la brièveté de la récession, qui n’a duré que deux mois en raison d’une réaction énergique des autorités qui a freiné les défaillances.

Mais qu’est-ce que tout cela peut signifier pour la politique future de la Fed à l’égard des marchés des obligations de sociétés ? La perception selon laquelle la Fed veille au grain pourrait-elle modifier à jamais les marchés du crédit et leur fonctionnement, notamment en cas de crise économique ?

Selon nous, les interventions de la Fed étaient sans précédent parce que la pandémie l’était aussi : un système financier mondialement imbriqué a été paralysé. Nous ne nous attendons pas à ce que les mesures prises soient adoptées par la Fed lors de récessions classiques, mais les primes de risque exigées par les investisseurs sur les marchés du crédit américains pourraient diminuer modérément à long terme maintenant que la Fed a dévoilé son jeu.

En avoir pour son argent

Les bilans des entreprises sont donc clairement en voie de rétablissement et les risques systémiques émanant du marché des obligations de sociétés américaines semblent faibles. Comment les investisseurs en obligations doivent-ils envisager la composition de leurs portefeuilles et les occasions qui se présentent après deux années extraordinaires pour les marchés ?

Pour les investisseurs, la reprise économique et l’amélioration du contexte de crédit ont déjà été presque entièrement prises en compte par le marché. Les écarts de crédit (c’est-à-dire le surcroît de rendement offert par les obligations de sociétés par rapport aux titres comparables du Trésor pour le risque de crédit associé) restent proches des planchers historiques. L’indice Bloomberg des obligations de sociétés de catégorie investissement n’offre plus qu’une prime de 0,85 % par rapport aux effets du Trésor, soit bien en deçà de la moyenne de la décennie écoulée (1,3 %). Les obligations de sociétés de catégorie spéculative offrent aux investisseurs un taux supérieur de 2,9 % à celui des titres du Trésor, mais ce chiffre est également inférieur au surcroît moyen de rendement de 4,5 % enregistré au cours des dix dernières années.

Un portefeuille obligataire bien diversifié devrait comporter des positions dans les deux secteurs, mais n’oublions pas que leurs expositions au risque respectives sont très différentes.

Les taux des obligations de sociétés de catégorie investissement évoluent généralement en étroite corrélation avec ceux des effets du Trésor. Si ces derniers augmentent (phénomène fort probable au cours des deux prochaines années d’après les prévisions générales de Bloomberg), le cours des obligations de catégorie investissement pourrait baisser légèrement, car les taux et les cours des obligations évoluent de manière inverse.

Toutefois, les obligations de catégorie spéculative sont moins sensibles aux variations des taux des effets du Trésor et peuvent en fait se comporter assez bien en cas de hausse des taux d’intérêt. Si les taux des effets du Trésor progressent en raison d’une meilleure croissance économique, les bénéfices des sociétés de catégorie spéculative devraient s’améliorer et les écarts de crédit devraient diminuer, compensant ainsi la hausse des taux du Trésor.

Cette dynamique et la manière dont nous évaluons la valeur relative au sein de chaque secteur en fonction des principaux paramètres de risque sont présentées dans le graphique et les tableaux ci-dessous.

  • Obligations de sociétés de catégorie-investissement : Si le risque principal des obligations de catégorie investissement est le risque de taux d’intérêt, les investisseurs doivent s’attendre à être rémunérés en contrepartie. Or, pour l’instant, le secteur ne rapporte que 2,2 %, tandis que la duration (mesure de la sensibilité aux taux d’intérêt) atteint le sommet record de 8,7 ans. Ce ratio de rendement par unité de risque de taux d’intérêt n’est que de 25 %, soit un niveau historiquement bas de rémunération en contrepartie du risque de taux d’intérêt qui, selon nous, n’est pas actuellement intéressant pour les investisseurs.
  • Obligations de sociétés de catégorie spéculative : si le risque principal des obligations de catégorie spéculative est le risque de crédit, les investisseurs doivent s’attendre à être rémunérés en contrepartie. Le secteur offre actuellement 3 % de plus que les titres du Trésor en contrepartie du risque de crédit, ce qui donne un rendement en revenu global de 4,2 %. Autrement dit, plus de 70 % du rendement en revenu total provient de la rémunération en contrepartie du risque de crédit, ce qui correspond à peu près à la moyenne des gains des investisseurs au cours de la dernière décennie.

Les investisseurs pourraient passer d’une préférence pour le risque de crédit à une préférence pour le risque de taux d’intérêt dans les années à venir.

Le graphique révèle notre perception des valorisations sur les marchés du crédit.

Le graphique révèle notre perception des valorisations sur les marchés du crédit : les taux des obligations des sociétés de catégorie investissement sont trop faibles par rapport au risque de taux d’intérêt, tandis que les taux des titres de catégorie spéculative offrent une rémunération moyenne en contrepartie du risque de crédit. Ce rapport devrait s’inverser en faveur de la première catégorie au cours des années à venir.

2021
2023

Fourchettes sur 10 ans :

Meilleur
Pire
Taux des titres de catégorie investissement par rapport au risque de taux d’intérêt Taux des titres de catégorie spéculative par rapport au risque de taux d’intérêt
Taux Duration Ratio Écart Taux Ratio
2021 2,2 % 8,7 ans 25 % 3,0 % 4,2 % 71 %
2023 3,4 % 7,5 ans 45 % 2,5 % 4,4 % 57 %

Sources : RBC Gestion de patrimoine, prévisions générales de Bloomberg pour octobre 2021

Cette relation entre les deux secteurs devrait s’inverser en faveur des obligations de sociétés de catégorie investissement en raison de la progression des taux obligataires jusqu’en 2023 (d’après les prévisions générales actuelles).

Le principal point à retenir est le suivant : nous recommandons une légère surpondération en obligations de sociétés de catégorie spéculative au début et au milieu d’une reprise économique, mais suggérons de commencer à réduire cette position quand le cycle économique arrive à maturité. Les prévisions actuelles de défaillance des entreprises au cours des 12 prochains mois sont inférieures à 2 % et le secteur peut être une option séduisante lorsqu’on souhaite obtenir davantage de rendement d’un portefeuille dans le contexte actuel de faiblesse des taux.

Les obligations de catégorie spéculative peuvent ne pas convenir à tous les investisseurs. Cependant, à court terme, nous voyons peu de risques de crédit à l’horizon pour les marchés des obligations de sociétés américaines et peu de risques que la progression des niveaux d’endettement causée par la pandémie mondiale soit susceptible de provoquer la prochaine crise.


Au Québec, les services de planification financière sont fournis par RBC Gestion de patrimoine Services Financiers. qui est autorisé comme une société de services financiers dans cette province. Dans le reste du Canada, les services de planification financière sont disponibles à travers RBC Dominion valeurs mobilières.


Thomas Garretson, CFA

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