La fin de la hausse pluriannuelle du dollar est-elle pour bientôt ? Nous examinons les moteurs de la hausse, les changements qui sont survenus et les répercussions pour les investisseurs mondiaux.
8 février 2023
Par Alan Robinson
La première décennie de ce siècle a été pénible pour le billet vert. Le investisseurs mondiaux ont remis en question ses qualités de monnaie de réserve et l’euro semblait en mesure de le supplanter à ce chapitre. Toutefois, en 2011, le pessimisme ambiant et la faible valeur du dollar américain selon la parité des pouvoirs d’achat (PPA) ont créé les conditions propices à un nouveau cycle haussier qui a touché la plupart des catégories de placements mondiaux.
Fin 2022, la hausse rapide des taux d’intérêt américains combinée à l’engouement pour la sécurité relative et la liquidité de la devise américaine, dans un contexte de tensions géopolitiques grandissantes, a propulsé le dollar à plus de 25 % au-dessus de sa juste valeur selon la PPA. Cette envolée et le déclin qui a suivi le sommet atteint en septembre 2022 nous portent à croire que le dollar a amorcé un nouveau cycle baissier pluriannuel. Les investisseurs à long terme doivent en tenir compte dans leurs décisions relatives à la répartition de l’actif.
Graphique linéaire montrant la valeur de l’indice du dollar américain pondéré en fonction des échanges (DXY) à la fin de chaque mois, du 31 janvier 1985 au 30 décembre 2022. Quatre phases distinctes de mouvements haussiers et baissiers sont mises en évidence : pour la période de 1985 à 1995, l’indice a baissé de 51 % ; pour la période de 1995 à 2002, l’indice a augmenté de 51 % ; pour la période de 2002 à 2011, l’indice a baissé de 40 % ; pour la période de 2011 à septembre 2022, l’indice a augmenté de 58 %. L’indice a baissé au cours de chaque période de trois mois depuis octobre 2022.
Sources : RBC Gestion de patrimoine, FactSet ; données mensuelles de janvier 1985 à décembre 2022.
Pourquoi pensons-nous que le dollar américain a peut-être touché son point culminant ? Pour répondre à cette question, il est utile d’examiner les facteurs qui influent sur la valeur des monnaies. En premier lieu, les monnaies n’évoluent pas de façon isolée. Leur prix est toujours établi par rapport à une autre monnaie. Quand l’une se déprécie, une autre s’apprécie. Les éléments qui sous-tendent la monnaie d’un pays dépendent de la vigueur de l’économie et de la solidité des finances de ce pays par rapport à ses partenaires commerciaux.
Trois facteurs déterminent généralement la valeur des devises : les taux d’intérêt, les déficits ou les excédents budgétaires, et les termes de l’échange, c’est-à-dire le prix sur le marché mondial des exportations d’un pays par rapport à celui de ses importations. Les déficits budgétaires ont tendance à peser sur les monnaies. Certaines économies émergentes qui affichent d’importants déficits ont tendance à avoir une monnaie faible, surtout si elles impriment de l’argent pour pallier les insuffisances.
Cependant, les récentes fluctuations observées sur le marché des changes ont été largement attribuables aux écarts entre les taux d’intérêt des différents pays. La pandémie de COVID-19 a provoqué la plus forte flambée d’inflation qu’on a vue depuis une génération. Pour la juguler, la Réserve fédérale américaine (Fed) a décrété des hausses de taux massives qui ont surpassé celles entreprises par les banques centrales d’autres pays. Les investisseurs étrangers ont pu convertir en dollars des fonds libellés dans la monnaie de leur pays et les placer dans des comptes à court terme assortis d’un taux d’intérêt beaucoup plus élevé que celui qu’ils auraient pu obtenir dans leur pays. C’est ainsi que le dollar a entamé la dernière étape de son ascension.
Bon nombre de facteurs à long terme qui ont soutenu le dollar semblent s’inverser. Les banques centrales mondiales rattrapent la Fed en matière de hausse des taux, au moment même où les négociateurs prévoient la fin de ce cycle et de possibles baisses des taux américains dans quelques trimestres. À notre avis, la différence entre les taux d’intérêt qui a fait grimper le dollar finira donc par disparaître.
Par ailleurs, l’impasse au sujet de l’augmentation du plafond de la dette aux États-Unis a récemment braqué les projecteurs sur le déficit budgétaire du pays. Même l’évolution des termes de l’échange a des répercussions négatives, puisque les consommateurs américains délaissent les biens importés abordables au profit de services plus chers.
Loin de nous l’idée que le début d’un cycle baissier du dollar signifie que son rôle de monnaie de réserve est menacé (voir notre commentaire d’avril 2022 publié dans le bulletin Perspectives mondiales hebdomadaires). Par contre, nous anticipons une diversification accrue des actifs au détriment du dollar à mesure que le cycle progresse.
L’histoire fournit quelques pistes quant aux thèmes de placement susceptibles de se révéler profitables dans un marché baissier du dollar, certaines étant plus fiables que d’autres.
Au cours des derniers cycles à long terme du dollar, les valorisations boursières et la valeur du dollar ont affiché une forte corrélation. Lorsque le dollar monte, les ratios cours-bénéfice des actions augmentent aussi, et quand il se déprécie, les ratios baissent de concert. On observe ce lien autant pour les valorisations des actions internationales que pour celles des actions américaines. Bien que les actions mondiales puissent encore dégager de bons rendements durant les cycles baissiers du dollar, nous notons que la croissance des bénéfices sera probablement plus importante que l’expansion des valorisations dans ce contexte. Les conditions pourraient donc favoriser les actions de sociétés qui versent des dividendes et dont les flux de trésorerie sont plus fiables.
Graphique linéaire représentant la valeur de l’indice du dollar américain pondéré en fonction des échanges (DXY) et le ratio cours-bénéfice actuel de l’indice S&P 500, chaque semaine du 22 janvier 1993 au 20 janvier 2023. Les deux séries de données ont tendance à fluctuer simultanément.
Sources : RBC Gestion de patrimoine, FactSet ; données hebdomadaires du 22 janvier 1993 au 20 janvier 2023.
Les marchés boursiers hors des États-Unis se comportent généralement bien quand le dollar est faible. En 2022, les actions internationales ont surclassé les actions américaines, grâce à leurs valorisations moins élevées, bien que la pause dans le cycle haussier du dollar au dernier trimestre de l’année les ait sans doute également favorisées. Dans un contexte de dépréciation du dollar, les investisseurs américains peuvent généralement profiter du rendement supérieur des marchés étrangers en plus de tirer parti de la vigueur des monnaies étrangères lorsqu’ils les convertissent en dollars.
Certains marchés boursiers internationaux obtiennent de meilleurs résultats que d’autres en période de repli du dollar. Ainsi, les marchés émergents ont tendance à dégager de bons rendements, même si nous pensons qu’il vaut mieux se montrer sélectif étant donné le recul de la mondialisation. Les exportateurs de marchandises devraient aussi se démarquer, tandis que les pays qui exportent principalement vers les États-Unis pourraient éprouver des difficultés.
Graphique à barres présentant les rendements boursiers annualisés en monnaie locale et les rendements en dollars américains (USD) obtenus au cours du dernier marché baissier du dollar, de janvier 2002 à mai 2011, de six indices des principaux marchés développés. États-Unis (S&P 500) : 1,9 % monnaie nationale, 1,9 % USD. Royaume-Uni (FTSE 100) : 1,6 % monnaie nationale, 3,3 % USD. Japon (TSE TOPIX) : -1,6 % monnaie nationale, 3,8 % USD. Europe (Stoxx 600) : -0,4 % monnaie nationale, 5,2 % USD. Australie (indice toutes actions ordinaires ASX) : 3,7 % monnaie nationale, 12,4 % USD. Canada (indice composé S&P/TSX) : 6,57 % monnaie nationale, 12,4 % USD.
Sources : RBC Gestion de patrimoine, FactSet.
La situation est un peu plus floue pour les actions américaines dans un marché baissier du dollar. Les sociétés à grande capitalisation, en particulier les multinationales, ont tendance à offrir des résultats relativement satisfaisants, car elles tirent une plus forte proportion de leurs profits de l’extérieur des États-Unis, dont la plupart sont libellés dans des devises qui s’apprécient.
Nous avons analysé les rendements de chaque secteur du marché américain depuis le début des plus récents cycles baissier et haussier du dollar, et les résultats sont inégaux. À notre avis, il en est ainsi parce que la durée plus longue des cycles de placement en actions, conjuguée à l’évolution rapide de la technologie et du commerce au courant du siècle, tend à éclipser l’effet du cycle du dollar.
Cependant, nous constatons que durant les replis du dollar américain, les sociétés des secteurs de l’énergie et des matières ont tendance à dominer, puisque la demande de marchandises dont le prix est établi dans cette monnaie augmente. À première vue, on pourrait penser que la devise de paiement a peu d’incidence sur la demande globale d’un produit, mais dans les faits, le pétrole et les produits miniers industriels font l’objet d’une demande accrue quand le dollar est faible, car ces marchandises semblent moins chères aux acheteurs hors des États-Unis.
Pour les autres secteurs, les résultats sont plus nuancés. Néanmoins, les sociétés de la technologie et des produits industriels, qui génèrent des revenus relativement élevés à l’étranger, ne devraient pas être touchées par le déclin du dollar. Les secteurs orientés sur le marché intérieur, comme l’immobilier, les services publics et les banques, sont moins exposés aux monnaies étrangères et leur rendement pourrait pâtir d’un cycle baissier du dollar.
Toutes choses étant égales par ailleurs, en période de dépréciation du dollar, les obligations libellées en monnaies étrangères devraient bénéficier d’une demande accrue. En outre, si le repli du dollar atténue l’inflation importée dans les pays étrangers, ceux-ci pourraient abaisser leurs taux d’intérêt, donnant ainsi un coup de pouce supplémentaire à leurs obligations. Comme ils sont souvent libellés en dollars, les titres des marchés émergents devraient aussi faire bonne figure, étant donné que leurs écarts de rendement par rapport aux taux sans risque commencent à se rétrécir. De nombreux émetteurs des marchés émergents peinent à financer les paiements d’intérêts en dollars lorsque la monnaie de leur pays est en berne ; la chute du dollar devrait donc les aider à cet égard.
Nous ne pouvons pas encore affirmer que le cycle haussier du dollar est terminé ; la remontée qui a débuté en 2011 pourrait se poursuivre pendant encore quelques trimestres. Étant donné la rapidité avec laquelle le dollar est redescendu de son sommet de 2022, un rebond pourrait se produire avant que le cycle baissier soit bien enclenché. Nous ne le saurons avec certitude qu’après-coup, mais si l’histoire se répète, nous sommes sans doute beaucoup plus proches de la fin du cycle haussier que du début. Nous jugeons important de réfléchir à la structure à donner aux portefeuilles en prévision d’un changement radical dans l’évolution du dollar.
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