La menace géopolitique est devenue une réalité qui attise l’incertitude des marchés. Nous examinons les possibles répercussions sur les actions et ce que les investisseurs devraient surveiller.
24 février 2022
Kelly Bogdanova Vice-présidente et analyste de portefeuilleServices-conseils en gestion de portefeuille – États-Unis
Les marchés financiers et énergétiques ont été ébranlés par les tirs de missiles de précision en Ukraine et l’avancée rapide des troupes, des chars d’assaut et des véhicules blindés russes sur son territoire.
Les forces russes ont attaqué plusieurs bases de l’armée de terre et de l’armée de l’air de l’Ukraine ; quelques bases navales ont également été prises pour cible ou sont passées sous contrôle russe. Selon certains médias, la Russie se serait emparée de la base navale convoitée d’Odessa, sur la mer Noire, une ville portuaire de grande importance sur les plans militaire et culturel tant à l’époque de l’empire russe qu’à celle de l’Union soviétique. Depuis 2014, Odessa accueille souvent des navires de l’OTAN, y compris des bâtiments de la marine américaine, dans le cadre d’exercices navals.
Certains sites militaires ukrainiens ciblés par les missiles russes ont été construits grâce au financement et aux forces armées des pays membres de l’OTAN, qui y ont également envoyé des instructeurs pour former les soldats ukrainiens. Des stocks d’armes fournies par l’OTAN ont également été visés.
La Biélorussie a participé à l’assaut de certaines régions, dans le cadre d’un traité qu’elle a signé avec la Russie, traité qui a été élargi depuis le milieu de 2020, surtout en matière de coordination militaire.
Les prix des produits énergétiques ont bondi dès l’annonce des frappes militaires à grande échelle, tandis que les marchés boursiers ont plongé. Au moment d’écrire ces lignes, l’indice S&P 500 a remonté légèrement en territoire positif en fin de séance et l’indice composé S&P/TSX du Canada a enregistré une baisse négligeable, grâce à la vigueur du secteur de l’énergie et d’autres marchandises. Jeudi, l’indice toutes les actions FTSE du Royaume-Uni, l’indice STOXX Europe 600 et l’indice Hang Seng de Hong Kong ont clôturé en baisse de 3,7 %, 3,3 % et 3,2 %, respectivement.
Ces pertes s’ajoutent aux pressions géopolitiques avec lesquelles les marchés ont composé pendant les deux semaines précédentes environ, ainsi qu’aux liquidations survenues auparavant du fait de la forte inflation persistante et de la perspective de hausses de taux rapides. Dans l’ensemble, le S&P 500 a cédé 11,6 % par rapport à son sommet historique du 3 janvier depuis le début de la séance aujourd’hui.
Comme nous l’avons indiqué dans notre récente analyse géopolitique (en anglais), nous croyons que le conflit entre la Russie et l’Ukraine est étroitement lié au différend beaucoup plus vaste qui oppose la Russie, d’une part, et les États-Unis et l’OTAN, d’autre part.
Cette lutte porte sur les sphères d’influence entre les grandes puissances militaires, l’élargissement de l’OTAN à l’est et son implication dans l’ancien bloc soviétique depuis la fin de la Guerre froide, la course aux missiles hypersoniques en Europe de l’Est, l’emplacement des armes nucléaires à courte portée et à portée intermédiaire, la concurrence relative aux parts de marché du secteur de l’énergie, et plus encore.
Il est impossible de prédire l’issue du conflit. Les frontières de l’Ukraine pourraient finir par être très différentes de ce qu’elles ont été au cours des 30 dernières années d’existence de cet État ou son gouvernement pourrait être remplacé.
Peu importe ce qui se passe en Ukraine, nous continuons de croire que la Russie continue de prioriser ses intérêts en matière de sécurité. Or, ceux-ci supposent des négociations avec les États-Unis et l’OTAN. Voici ses objectifs :
Certes, les frappes russes en Ukraine sont sans précédent dans l’histoire moderne, surtout en raison de la relation entre l’Ukraine et l’OTAN. Il faut cependant se rappeler la manière dont les marchés financiers réagissent habituellement aux guerres et aux événements géopolitiques graves. Après tout, toutes ces situations avaient également quelque chose d’unique.
Pour les 18 événements survenus depuis la Seconde Guerre mondiale que nous avons analysés, le S&P 500 a enregistré un recul moyen de seulement 6,2 % et d’une durée généralement assez courte, comme l’illustre le tableau. Le repli s’est parfois amorcé avant que la guerre ou les hostilités commencent pour de bon (comme dans le cas présent) ou tout de suite après. Dans le tableau, nous tentons de prendre en compte les éventuelles périodes de faiblesse survenues avant ou après l’acte de guerre ou l’événement.
Sans être négligeable, cette baisse de 6,2 % reste dans les limites du repli typique observé dans divers scénarios survenus sur les marchés, y compris en l’absence de risque militaire.
Les reculs et corrections ont duré 30 jours en moyenne, soit entre le moment où ils ont commencé et celui où le marché est revenu au point de départ. Le fait que certains événements ont duré très longtemps ne change rien.
* Les données tiennent compte dans la mesure du possible de toute incidence importante de la situation avant les événements. ^ D’autres facteurs économiques et liés à la politique monétaire ont eu une incidence négative sur le nombre de jours qu’il a fallu au marché pour regagner le terrain perdu ; cela n’est pas pris en compte dans le nombre moyen de jours de bourse requis pour regagner le terrain perdu.
Sources : RBC Gestion de patrimoine, RBC Gestion mondiale d’actifs, Wikipédia, archives de la Sécurité nationale de l’Université George Washington, institut naval des États-Unis
Notons que deux des corrections les plus prononcées et les plus longues ont découlé d’événements qui ont considérablement perturbé les marchés de l’énergie et ainsi plombé la croissance économique. C’est un risque dans la situation actuelle. Ces événements, surlignés en orange dans le tableau, sont l’invasion du Koweït par l’Irak en 1990 et l’embargo sur le pétrole décrété par l’Arabie saoudite en 1973 durant la guerre du Kippour. Le marché avait cédé environ 16 % dans les deux cas.
Nous estimons que le S&P 500 subit l’incidence des risques géopolitiques liés à l’Ukraine depuis le 11 février, date à partir de laquelle les analystes boursiers ont commencé à écrire abondamment sur le sujet. (En fait, le marché de l’énergie a envoyé des signaux dès la fin de 2021 : les prix du pétrole ont commencé à grimper peu après que Moscou eut officiellement remis, à Washington et à l’OTAN, ses propositions en matière de sécurité en Europe.)
Depuis le 11 février, le S&P 500 a perdu 4,2 % selon le niveau en cours de séance aujourd’hui.
En cas d’apaisement des hostilités ou de progrès sur le plan diplomatique, ce qui demeure possible, les pressions exercées sur les marchés financiers devraient s’atténuer. Toutefois, si les tensions restent vives ou si d’autres actes militaires ont lieu, le déclin des marchés boursiers pourrait se poursuivre.
Les risques qui menacent le secteur de l’énergie sont omniprésents, surtout en cas de sanctions contre les sociétés énergétiques russes ou de bris du pipeline qui transporte le gaz naturel de la Russie à l’Europe, en passant par l’Ukraine. Selon les spécialistes des marchandises de RBC Marchés des Capitaux, les réserves de gaz naturel liquéfié sont insuffisantes pour pallier une interruption de l’approvisionnement de l’Europe en gaz russe. En outre, les stocks européens de gaz naturel sont nettement inférieurs à la normale ; la marge de manœuvre est donc mince.
Pour le moment, on ignore encore quels types de sanctions les gouvernements occidentaux infligeront à la Russie et celles que la Russie prendra en représailles. Après avoir débattu pendant des mois de différents scénarios, l’Occident ne semble pas encore être parvenu à un consensus sur le possible retrait de la Russie du réseau de paiements SWIFT. Cela dit, une telle mesure semble de plus en plus envisageable.
Le flou qui entoure les sanctions augmente les risques non seulement pour les marchés d’actions, mais aussi pour ceux de l’énergie, des produits agricoles et des métaux, et plus généralement, pour la croissance économique mondiale. À notre avis, il s’agit de la principale inquiétude des marchés boursiers des pays développés à l’heure actuelle.
Quand l’effet immédiat de l’attaque russe sur les marchés boursiers sera passé, la tendance des économies américaine et mondiale, et de la croissance des bénéfices dictera l’orientation des actions des marchés développés, d’après nous.
Heureusement, à la veille de la crise, nos sept indicateurs avancés de l’économie américaine étaient robustes ; aucun ne signalait un risque de récession.
La période de publication des résultats du quatrième trimestre de 2021 tire à sa fin et les sociétés ont fait état de tendances encourageantes en matière de bénéfices, de revenus et de marges. La plupart des équipes de direction ont formulé des prévisions optimistes, malgré les défis que représentent l’inflation et les problèmes de la chaîne logistique liés à la pandémie.
En outre, les investisseurs en actions à long terme doivent savoir que les corrections de 10 % ou plus ne sont pas inhabituelles, même durant les bonnes années. Depuis 2000, le S&P 500 a subi une chute de cette ampleur à un moment donné durant plus de la moitié des années, comme le montre le graphique.
Rendement annuel du S&P 500, dividendes inclus, de 2000 à 2020. Pour chaque année, le déclin maximal du sommet au creux est indiqué. On voit donc que même lorsque le marché finit une année en hausse, des replis et des corrections notables peuvent se produire. Par exemple, en 2003, le S&P 500 a grimpé de 29 %, mais le marché a perdu 14 % à un moment donné durant l’année. En 2009, le marché a clos l’année en hausse de 26 %, mais il a momentanément cédé jusqu’à 27 %. Enfin, en 2020, le S&P 500 a pris 18 %, mais il a chuté de 34 % au plus fort de la crise de la COVID-19.
Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg ; données prises en compte jusqu’au 31 décembre 2021.
La situation en Europe de l’Est évolue rapidement. Son impact sur les marchés financiers et énergétiques pourrait s’accroître au cours des jours et des semaines à venir. Bien des choses pourraient dépendre des sanctions et contre-sanctions mises en œuvre et de leur incidence possible sur l’offre globale de pétrole brut en Russie et de gaz naturel en Europe.
Toutefois, si l’on se fie au passé et si la raison prévaut à Washington et à Moscou au sujet des sanctions et contre-sanctions, les conséquences du conflit sur le marché boursier pourraient s’avérer brèves, même si le différend qui oppose la Russie et les États-Unis et l’OTAN s’éternise.
Au Québec, les services de planification financière sont fournis par RBC Gestion de patrimoine Services Financiers. qui est autorisé comme une société de services financiers dans cette province. Dans le reste du Canada, les services de planification financière sont disponibles à travers RBC Dominion valeurs mobilières.