31 mars 2022
Kelly Bogdanova
Vice-présidente et analyste de portefeuille
Services-conseils en gestion de portefeuille – États-Unis
Les marchés boursiers continuent de se stabiliser. Ils regagnent le terrain perdu il y a quelques semaines, juste avant l’opération militaire russe en Ukraine et pendant sa première phase.
Au plus fort du repli, le 8 mars, l’indice S&P 500 avait chuté de 12,5 % en cumul annuel, tandis que les marchés non américains accusaient une baisse de 13,1 %, selon l’indice MSCI Monde tous les pays hors États-Unis. Mercredi, ces deux indices ont clôturé en baisse de « seulement » 3,4 % et 5,1 % pour l’année. Au Canada, l’indice S&P/TSX a pris 4 % depuis le début de l’année.
Les marchés semblent avoir largement pris en compte l’aspect militaire de la crise. De fait, l’indice S&P 500 s’est comporté de la même façon que lors d’événements similaires passés (voir graphique), une escalade impliquant les pays membres de l’OTAN n’étant pour l’instant pas anticipée.
L’indice S&P 500 a rebondi (variation en CA, en %)
Le marché a reculé de 5,6 % lorsque la Russie a lancé son opération militaire russe en Ukraine ; c’est proche du repli moyen de 6,2 % observé lors des 18 événements militaires ou géopolitiques survenus depuis la Deuxième Guerre mondiale.

Le graphique linéaire montre que l’indice S&P 500 a fortement chuté en janvier, en raison des préoccupations entourant l’inflation et les hausses de taux de la Fed. Le 11 février, l’indice a commencé à prendre en compte le risque lié au conflit entre la Russie et l’Ukraine. Il a cédé 5,6 % entre cette date et le 8 mars, lorsqu’il a atteint son creux. Globalement, le 8 mars, le marché avait reculé de 13,1 % en cumul annuel. Il a ensuite rebondi et en date du 18 mars, il avait dépassé son niveau du 11 février, annulant toutes les pertes subies au moment du lancement de l’opération militaire. Il a poursuivi sur sa lancée et au 30 mars, il était en hausse de 3,4 % pour l’année.
- 3 janv. : sommet record
- Déclin attribuable aux craintes liées à l’inflation et aux hausses de taux de la Fed
- 11 févr. : Les marchés commencent à prendre en compte le risque d’un conflit Russie-Ukraine
- Première séance de négociation après les premières frappes de missiles en Ukraine
- 18 mars : Les marchés annulent les pertes subies lors du lancement de l’opération militaire
Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg ; données quotidiennes prises en compte jusqu’au 30 mars 2022.
Signes encourageants et attentes modérées
Les participants aux marchés réagissent encore de manière positive aux manchettes selon lesquelles les négociations progressent entre la Russie et l’Ukraine. La plupart semblent penser que la conclusion d’un accord et l’arrêt des hostilités réduiraient la pression sur les marchés boursiers et les prix des marchandises. À notre avis, ce ne serait pas le cas, et ce, pour deux raisons.
Premièrement, plusieurs enjeux fondamentaux séparent la Russie et l’Ukraine, même si cette dernière a indiqué qu’elle ne demanderait pas à faire partie de l’OTAN. Entre autres, le statut de la Crimée et de Sébastopol ainsi que celui du Donbass sont un point de friction aigu. L’Ukraine ne semble pas disposée à céder un pouce de ce qu’elle considère comme faisant partie de son territoire, et nous pensons que ses principaux alliés l’appuieront à cet égard. De son côté, la Russie ne peut ni ne veut négocier sur la question de la Crimée et de Sébastopol (une clause de sa constitution l’en empêche, mais elle resterait de toute façon campée sur sa position). De plus, elle vient de reconnaître l’indépendance des deux républiques du Donbass et ne fera certainement pas marche arrière. Les dirigeants de ces dernières viennent de signifier leur intention de tenir un référendum sur leur rattachement à la Russie (comme l’a fait la Crimée en 2014), une fois les hostilités terminées dans leur région.
Deuxièmement, même si la Russie et l’Ukraine finissent par conclure un cessez-le-feu, nous pensons que la plupart, voire l’ensemble, des sanctions qui ont un impact sur les prix des marchandises seront maintenues. Selon Reuters, le porte-parole du premier ministre du Royaume-Uni a déclaré devant les journalistes que pour Boris Johnson, un cessez-le-feu ne suffirait pas à lui seul à la levée des sanctions britanniques. Le premier ministre des Pays-Bas est allé plus loin. Pendant une visite officielle en Espagne, il a déclaré – toujours selon Reuters – qu’un accord de paix amenuisant le territoire et la souveraineté de l’Ukraine n’entraînerait pas automatiquement la fin des sanctions exercées par l’UE contre la Russie. Nous croyons que les autres dirigeants occidentaux sont du même avis. Aux États-Unis, la classe politique n’est guère en faveur d’une levée des sanctions. Au Congrès, démocrates et républicains y adhèrent chaudement. Beaucoup poussaient d’ailleurs en ce sens avant que la Russie n’ouvre les hostilités.
La pression des sanctions
Les marchés des actions et des marchandises devront probablement composer pendant quelque temps avec l’incertitude que suscitent les effets des sanctions sur l’inflation et les chaînes logistiques.
En outre, la Russie commence tout juste à appliquer ses contre-sanctions. Sa toute première mesure est « pas de roubles, pas de gaz ». Si les membres de l’UE refusent de payer le gaz russe en roubles ou en or plutôt qu’en euros ou en dollars, la Russie pourrait rapidement suspendre ses exportations. Elle entend ainsi punir l’Europe d’avoir gelé ses réserves de change totalisant des milliards d’euros et de dollars. Jusqu’ici, les membres de l’UE ont refusé d’obtempérer. La Russie envisage également d’imposer le paiement en roubles pour le pétrole brut, les métaux industriels ou précieux, les produits agricoles, les engrais et le bois d’œuvre aux pays qui ont pris des sanctions contre elle. Moscou envisage aussi de restreindre ses exportations d’uranium destinées aux centrales nucléaires des États-Unis. Ce ne sont là que quelques-unes des mesures de représailles que la Russie pourrait prendre.
Nous n’excluons pas non plus la possibilité d’une nouvelle série de sanctions, bien que plus modestes. Par exemple, les pays occidentaux pourraient en imposer aux pays qui ont choisi de rester neutres face au conflit et de ne pas pénaliser la Russie. Le département d’État américain l’a déjà laissé entendre. La Chine et l’Inde semblent particulièrement visées. Le ministre des Affaires étrangères chinois a indiqué que, le cas échéant, son pays répondrait par des mesures similaires.
Nous pensons que les prix de l’énergie, des métaux et des produits agricoles continueront d’inclure une « prime de sanctions » (ou « prime de risque géopolitique ») et qu’ils seront donc plus élevés que si la crise ukrainienne n’avait pas eu lieu. Cela créera pendant quelque temps des pressions sur l’inflation, les chaînes logistiques et la croissance économique.
À quel moment ces pressions se dissiperont-elles ? Il faudra du temps pour que l’Europe parvienne à remplacer les marchandises venant de Russie. De même, la Russie ne réorientera pas du jour au lendemain ses exportations vers l’Asie (Chine et Inde, notamment) et vers les pays qui ne lui ont pas imposé de sanctions (soit 140 sur les quelque 190 qui composent les Nations Unies, selon le décompte de la Chine). Nous n’avons pas encore vu d’estimations crédibles sur le temps que cela pourrait prendre.
Qu’est-ce qui explique la résilience des États-Unis et du Canada ?
Compte tenu de l’inflation persistante ainsi que des risques qui pèsent sur les chaînes logistiques et la croissance, l’éventail de scénarios pour 2022 relativement à l’économie mondiale et aux bénéfices des sociétés est beaucoup plus vaste qu’il y a quelques mois.
Toutefois, les États-Unis et le Canada sont davantage en mesure de parer aux risques que les pays européens. Les deux pays, surtout lorsqu’ils combinent leurs atouts, sont en effet beaucoup plus autosuffisants, étant amplement pourvus en ressources naturelles, et ont peu de liens directs et indirects avec l’économie russe. La Russie est le plus grand producteur mondial de marchandises. Cependant, les États-Unis et le Canada sont au premier rang ou parmi les premiers producteurs d’énergie, de métaux industriels ou précieux et de produits agricoles.
Tous deux ont l’avantage de vendre une bonne part de leurs marchandises, biens et services dans le plus grand marché du monde – les États-Unis. Au sein de l’indice S&P 500, qui regroupe pourtant un grand nombre de multinationales dont l’envergure et les bénéfices sont imposants, 70 % des revenus sont générés aux États-Unis, contre 12 % en Europe.
Pour ces raisons et surtout parce que le risque de récession aux États-Unis est actuellement faible d’après nos indicateurs économiques avancés, nous maintenons une surpondération modérée en actions américaines et une pondération neutre optimiste en actions canadiennes. Les investisseurs à long terme qui veulent faire fructifier leur argent, surtout compte tenu du contexte inflationniste, et qui suivent une stratégie d’achats périodiques par sommes fixes auraient intérêt à garder le cap.
Au Québec, les services de planification financière sont fournis par RBC Gestion de patrimoine Services Financiers. qui est autorisé comme une société de services financiers dans cette province. Dans le reste du Canada, les services de planification financière sont disponibles à travers RBC Dominion valeurs mobilières.
Kelly Bogdanova
Vice-présidente et analyste de portefeuilleServices-conseils en gestion de portefeuille – États-Unis