Quelques banques en crise ne constituent pas une crise bancaire

Analyse
Perspectives

Plusieurs éléments permettent de distinguer les turbulences récentes de la crise de 2008-2009. Nous examinons l’approche adoptée par les décideurs politiques des États-Unis, ainsi que les risques pesant sur les investisseurs dans le secteur bancaire américain.

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4 avril 2023

Par Atul Bhatia, CFA

  • La faillite de certaines banques faisant encore les manchettes, il n’est pas étonnant que les investisseurs craignent une répétition de la tourmente de 2008 et de la crise financière mondiale.
  • Nous croyons que les événements récents sont foncièrement différents des problèmes survenus il y a 15 ans et que les décideurs ont suffisamment d’outils à leur disposition pour assurer la stabilité du secteur.
  • Nos préoccupations portent sur les éventuelles conséquences imprévues des tentatives des autorités de réglementation de répartir les pertes et d’éviter un aléa moral.

Il est compréhensible que les investisseurs soient encore marqués par ce qui s’est passé en 2008 et 2009, et que la moindre annonce de faillite de banques suscite des craintes. Cependant, plusieurs éléments permettent de distinguer les turbulences actuelles de la crise du système bancaire de 2008-2009. Nous examinons les motifs de l’approche adoptée par les décideurs politiques des États-Unis face aux tensions actuelles, ainsi que les risques pesant sur les investisseurs dans le secteur bancaire des États-Unis.

La tourmente financière ravive inévitablement les souvenirs de 2008-2009 et de la crise financière mondiale. Toutefois, nous croyons fermement que les événements survenus récemment dans le système financier américain n’annoncent pas une répétition du scénario de 2008 ; il y a 15 ans, nous avons connu une crise bancaire, tandis qu’aujourd’hui, quelques banques vivent une crise. Nous estimons que cette distinction est essentielle pour les investisseurs.

De plus, les décideurs politiques américains ont pris peu de nouvelles mesures à ce jour, ce qui indique qu’ils peuvent en définitive maîtriser la situation actuelle. Cela dit, nous pensons aussi que cette situation pourrait marquer une tentative potentiellement imprudente de répartir les pertes entre les déposants et les investisseurs. Une telle démarche pourrait s’avérer lourde de conséquences imprévues.

Notions bancaires de base

Les activités principales des banques sont relativement simples. Les déposants confient leur épargne à une institution bancaire qui, à son tour, investit les sommes qui lui sont confiées. Les banques achètent parfois des placements existants, comme des obligations du Trésor américain, et parfois les banques créent leurs propres placements en accordant des prêts. Tant que ses placements rapportent plus en intérêts et en capital que ce qu’elle doit aux déposants, la banque se porte bien. Étant donné que certains emprunteurs ne remboursent pas leur dû et que certaines obligations n’offrent pas le rendement attendu, les banques obtiennent en outre de l’argent de leurs propriétaires, soit les capitaux ou fonds propres, pour couvrir ces pertes.

Malheureusement pour les banques, les déposants peuvent, en général, retirer leurs fonds n’importe quand, tandis que les banques n’ont pas toujours cette possibilité. Il n’est pas possible d’exiger des emprunteurs qu’ils remboursent leur prêt hypothécaire sur demande, dans un contexte où le prix des obligations pourrait avoir temporairement diminué. Ainsi, les banques essaient toujours de garder de grandes quantités de liquidités disponibles pour honorer les demandes de retraits des déposants, mais elles ne peuvent pas tout garder en espèces puisqu’elles ne pourraient plus générer les flux de trésorerie nécessaires pour payer des intérêts ou des dividendes aux investisseurs.

Problèmes passés

En 2008, les banques éprouvaient un véritable problème. Les actifs qu’elles avaient consignés dans leurs livres s’étaient dépréciés (et dans certains cas, ils ne valaient rien) en raison de normes de prêt extrêmement laxistes, de sorte qu’elles se sont retrouvées avec un nombre important de prêts en souffrance. Cette situation a entamé le capital des banques, dont certaines étaient probablement insolvables en théorie, c’est-à-dire que le montant total des fonds qu’elles auraient pu recevoir de leurs placements aurait été insuffisant pour verser tout l’argent qu’elles devaient.

Pour remédier à ce type de baisse permanente du revenu futur, il faut des capitaux. L’obtention de capitaux est risquée et, par conséquent, coûte cher, même en période favorable. En 2008-2009, les banques ont dû demander de l’aide pour combler les pertes déjà subies, ce qui s’est avéré particulièrement difficile. En fin de compte, le gouvernement a dû intervenir à cette fin.

La partie facile

Dans la situation actuelle, le problème n’est pas la possibilité que l’argent tiré des actifs des banques ne soit jamais reçu. Bon nombre des actifs dont les cours ont chuté le plus fortement sont des obligations du Trésor américain, et nous, comme tous les acteurs du marché que nous connaissons, sommes convaincus que les montants de ces titres seront remboursés à temps et au complet.

Le problème qui se pose aujourd’hui est qu’un nombre inhabituel de déposants veulent retirer leur argent par crainte d’une faillite bancaire. Il s’agit du cas classique de panique bancaire que l’assurance-dépôts est censée permettre d’éviter.

Il y a deux façons de faire face à une panique bancaire. La première consiste à calmer les craintes des déposants et à les dissuader de retirer de l’argent. Cette solution a fonctionné dans une certaine mesure. La plupart des fonds retirés n’ont pas complètement quitté le système bancaire ; ils sont plutôt passés de quelques petites banques à des plus grandes. Ce n’est peut-être pas optimal pour la santé à long terme d’un système bancaire concurrentiel, mais nous sommes tout de même très loin de l’instabilité financière mondiale de 2008. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous pensons que cette crise concerne certaines banques, et non le système bancaire.

La deuxième façon d’éviter une panique bancaire consiste à trouver de nouveaux fonds que la banque pourra utiliser. Cette quête a déjà été fructueuse dans une large mesure. Pour certaines obligations du Trésor américain et obligations hypothécaires, la nouvelle facilité de crédit de la Réserve fédérale permet aux banques de remplacer l’argent des déposants en ayant recours au financement de la banque centrale. Un aspect essentiel est que la Fed permet aux banques d’encaisser les obligations à la valeur nominale du placement, ce qui assure, dans la plupart des cas, une transition presque sans heurts en ce qui concerne les fonds des déposants ; le coût est plus élevé, mais les fonds sont là.

Par contre, le mécanisme actuel de la Fed ne fonctionne pas pour tous les types de placements des banques. Les prêts commerciaux et individuels ne sont pas assortis de risques homogènes comme les obligations d’État. Cela dit, la banque centrale possède une vaste expérience dans l’élaboration de solutions conjointes avec le département du Trésor américain pour ces types d’actifs. En général, la Fed procure le financement pour les actifs non gouvernementaux et le Trésor absorbe toutes les pertes sur prêt réalisées. Historiquement, de telles ententes ont été avantageuses pour la Fed et le gouvernement.

Les turbulences qui secouent les banques européennes pourraient accroître la pression sur certains établissements financiers américains et, éventuellement, sur la Fed et le Trésor. Toutefois, compte tenu de la qualité des actifs et comme nous estimons que les grandes banques européennes continueront probablement de respecter leurs obligations, nous sommes d’avis que la situation actuelle peut très bien être maîtrisée par le gouvernement américain.

Aléa moral

Puisque le problème actuel devrait être relativement facile à résoudre, il est naturel de se demander pourquoi les décideurs politiques n’ont pas agi de manière plus décisive.

Trois raisons expliquent cette inaction relative. Tout d’abord, le pouvoir d’agir de l’autorité compétente demeure à tout le moins obscur. La compagnie fédérale d’assurance de dépôts bancaires (FDIC) a de vastes pouvoirs pour résoudre les problèmes des banques mises sous séquestre, mais en l’absence d’une décision du Congrès, son champ d’action ne se limite pratiquement qu’à des mesures préventives. Ensuite, parce que le système global n’est pas en crise (comme on l’a vu, les grandes banques ont enregistré une hausse des dépôts), il y a moins de pression immédiate sur les autorités de réglementation pour qu’elles repoussent les limites de leurs pouvoirs. Enfin, même si cette perspective semble plutôt menaçante, nous croyons que les décideurs sont prêts à accepter la faillite de certaines banques, en partie pour combattre les aléas moraux qu’ont potentiellement créés les plans de sauvetage de 2008. Nous pensons qu’ils utilisent cet événement pour souligner que les investisseurs du secteur bancaire (les acheteurs d’obligations, d’actions privilégiées et d’actions) sont en danger en cas de faillite d’une banque.

Bien qu’il ne soit pas nécessairement mauvais d’envoyer ce message, il est peut-être différent de celui auquel les investisseurs s’attendaient après 2008. Nous croyons qu’en 2008, la majorité des investisseurs a conclu (de façon raisonnable) que les investissements effectués dans des établissements financiers sains seraient respectés, en vertu d’une résolution, si la banque devait finir par s’effondrer en raison d’un événement découlant d’un risque externe. S’il était peu probable que l’État offre une garantie complète, la nature hautement réglementée des institutions et le rôle clé que jouent les banques dans l’économie ont probablement nourri les attentes d’une certaine considération pour les investisseurs.

Nous craignons que les décideurs politiques obtiennent ce qu’ils semblent souhaiter : une réévaluation soudaine des risques liés aux placements dans les obligations et les actions des banques. Si cela devait se produire, il pourrait être difficile pour certaines banques, en particulier les petites institutions, d’emprunter suffisamment d’argent sur les marchés publics à des taux économiquement viables pour soutenir leurs niveaux de crédit actuels, sans parler des types de prêt sur lesquels comptent les sociétés de croissance. Les répercussions se feront probablement sentir dans l’ensemble de l’économie, mais elles seront particulièrement préjudiciables aux petites entreprises qui comptent sur les prêteurs locaux.

Pour ce qui est des investisseurs, nous croyons qu’il est essentiel de se rappeler que tout investissement repose principalement sur les caractéristiques fondamentales de l’entreprise sous-jacente, et nous croyons que les données fondamentales du système bancaire américain demeurent solides dans l’ensemble. Même si, depuis 2008, les règles ont changé à propos des conséquences pour les investisseurs en cas de défaillance, ce changement n’a pas d’incidence directe sur les investisseurs dans les institutions qui restent en activité. Nous sommes convaincus que c’est le cas pour la grande majorité des banques américaines.

Pas de conséquences graves

La crise financière mondiale de 2008-2009 a été un événement financier majeur, peut-être le plus marquant du siècle à ce jour. Il est compréhensible que les investisseurs soient encore marqués par cet événement, et chaque annonce de la faillite d’une banque ravive ces craintes. Toutefois, nous croyons que les causes de la turbulence actuelle des marchés sont moins importantes pour le système bancaire et plus faciles à endiguer par les mécanismes actuels de réglementation et de la banque centrale.


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