La Ceinture et la Route : déjà dix ans, et ce n’est pas fini

Analyse
Perspectives

Alors que la Chine cherche à renforcer ses liens fondés sur les échanges commerciaux et le développement avec ses partenaires de l’initiative la Ceinture et la Route, nous examinons de plus près cette initiative et montrons comment le pays espère accroître son influence sur la scène mondiale.

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26 octobre 2023

Par Jasmine Duan

Pékin a récemment accueilli le troisième Forum de la Ceinture et la Route pour la coopération internationale, qui a coïncidé avec le 10e anniversaire de l’initiative la Ceinture et la Route (Belt and Road Initiative, ou BRI).

La BRI, proposée par Xi Jinping, le président chinois, en 2013, est une stratégie de développement visant à stimuler les échanges économiques et culturels par la création de deux corridors commerciaux :

  • La « ceinture économique de la route de la soie » relie les pays situés sur la route de la soie historique qui traverse l’Asie centrale, l’Asie de l’Ouest, le Moyen-Orient et l’Europe.
  • La « route de la soie maritime du 21e siècle », qui favorise la coopération avec les pays d’Asie du Sud-Est, d’Afrique, d’Europe et d’Amérique du Sud par voie maritime.

De modestes débuts

Lorsque la BRI a été dévoilée il y a 10 ans, il s’agissait d’une simple initiative qui visait à promouvoir le développement économique et le bien-être dans la région eurasienne. Inspirée de l’ancienne route de la soie, l’initiative initiale portait sur quatre éléments : les consultations sur les politiques (notamment en réglant les questions d’ordre juridique pour rendre la coopération possible), les liens routiers, la facilitation des échanges commerciaux et la circulation des monnaies (commerce et règlement en monnaies locales).

Lorsque le premier Forum de la Ceinture et la Route s’est tenu en 2017, la vision de la BRI avait déjà considérablement évolué. L’idée initiale de connectivité des infrastructures s’est étendue des liaisons routières à la connectivité terrestre, maritime, aérienne et au cyberespace. Le volet de la coopération financière a aussi pris de l’ampleur, après la négociation en monnaies locales, l’accent a été mis sur le soutien au financement, marqué par la création de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures et du Fonds de la Route de la soie. C’est durant cette période que les objectifs de faire du développement axé sur l’innovation et d’intensifier la coopération dans les technologies numériques et l’intelligence artificielle ont été mentionnés pour la première fois.

De régionale à mondiale

Jusqu’en 2017, les projets de l’initiative la Ceinture et la Route visaient principalement l’Eurasie. L’année 2018 a toutefois marqué un tournant important, alors que la BRI a pris une dimension mondiale. Soixante-sept pays d’Asie, d’Afrique, des îles du Pacifique, d’Amérique centrale, d’Amérique du Sud et d’Europe ont signé des accords avec la BRI cette année-là. C’est à ce moment-là que la BRI s’est transformée en une représentation exhaustive de la politique étrangère de la Chine.

Au cours des 10 dernières années, la BRI est devenue la plus importante plateforme de coopération internationale au monde. En date de septembre 2023, la BRI compte 154 membres, représentant 80 % des 193 États membres des Nations Unies.

Certains croient que la BRI se concentre principalement sur les pays en développement d’Asie et d’Afrique, mais il ne faut pas passer sous silence une réalisation digne de mention en Eurasie : l’achèvement du service express de transport ferroviaire Chine-Europe.

Ce réseau de transport ferroviaire de marchandises relie l’Europe à l’Asie et traverse la grande steppe eurasienne d’Asie centrale. Le service express de transport ferroviaire Chine-Europe comprend maintenant 86 itinéraires qui couvrent plus de 200 villes dans 25 pays d’Europe. Il est également relié à plus de 100 villes dans 11 pays asiatiques. En date de juin 2023, le service express de transport ferroviaire Chine-Europe avait fait plus de 74 000 voyages et la valeur des marchandises transportées s’élevait à plus de 300 G$ US.

Développement dans de nouvelles directions

Étant donné que la portée de la BRI a largement dépassé le cadre de ses objectifs initiaux et que l’initiative compte maintenant beaucoup plus de participants et de projets dans différentes régions, la Chine a décidé de moderniser la gestion et l’organisation de l’ensemble du projet. Les cadres d’évaluation de l’intégrité et de la conformité ont été officialisés lors du Forum afin d’améliorer la surveillance et la gouvernance des projets de la BRI.

La portée de la BRI continue d’évoluer. L’expansion du développement dans les énergies renouvelables et les projets verts axés sur la construction d’infrastructures vertes, l’énergie verte et le transport vert sera priorisée. De plus, la mise en œuvre d’autres projets d’infrastructures technologiques et de l’information est prévue. Les lignes directrices pour faire progresser l’innovation scientifique et technologique, comme l’Initiative mondiale pour la gouvernance de l’intelligence artificielle, sont devenues l’un des principaux domaines d’intérêt.

Deux banques de développement chinoises prévoient établir de nouvelles lignes de financement de près de 48 G$ US chacune, et un autre montant d’environ 11 G$ US sera versé dans le Fonds de la Route de la soie.

Au-delà des projets d’infrastructures traditionnels

De façon générale, on a l’impression que la BRI s’occupe principalement du développement d’infrastructures traditionnelles. Cette impression s’explique souvent par les investissements, estimés à plus de 1 000 G$ US, de la BRI dans divers projets liés aux routes, aux chemins de fer, aux ports et aux infrastructures énergétiques des 10 dernières années.

Cependant, étant donné que la plupart des participants sont des pays en développement, l’un des principaux objectifs de la BRI est de leur offrir des capitaux, un savoir-faire technologique et une expertise pour qu’ils améliorent leurs infrastructures et accroissent leur participation au commerce mondial et leur propre développement.

Un exemple récent est le chemin de fer Chine-Laos, une ligne directe de 1 035 km reliant la ville de Kunming au sud-ouest de la Chine et le Laos en Asie du Sud-Est. Ce chemin de fer a transformé le Laos, qui est passé de pays enclavé à pays « relié », en lui permettant d’exploiter son potentiel de croissance économique et de rompre son relatif isolement.

La liste des projets de développement de la BRI comprend également la construction du premier chemin de fer modernisé du Kenya, du premier port en eau profonde moderne du Nigeria, de la première autoroute de l’Ouganda et du premier chemin de fer à grande vitesse de l’Indonésie, tous achevés ou à divers stades d’achèvement au cours des 10 premières années d’existence de la BRI.

Ces grands projets font les manchettes, mais si on y regarde de plus près, on voit que la taille moyenne des transactions de la BRI a diminué. Selon le Green Finance & Development Center, groupe de réflexion chinois, la taille moyenne des investissements est passée d’environ 617 M$ US en 2022 à 392 M$ US au premier semestre de 2023, soit une réduction de 48 % par rapport au pic des activités d’investissement en 2018.

Alors que la BRI entame sa prochaine décennie, la Chine espère créer davantage de projets de modernisation – petits, mais intelligents – dans les pays en développement afin d’améliorer les conditions de vie, l’éducation et les soins de santé à l’échelle locale, et de construire des centres de formation technologique et de promouvoir le développement vert.

La diplomatie axée sur la prise au piège de l’endettement déboulonnée

On entend souvent dire que la Chine utilise la BRI comme outil diplomatique pour contrôler les actifs et les infrastructures des pays en développement.

Une controverse souvent citée a trait à l’emprunt que le Sri Lanka, en difficultés financières, devait rembourser à la Chine pour la construction du port de Hambantota. Or, Deborah Brautigam de l’Université Johns Hopkins et Meg Rithmire de la Harvard Business School soulignent que le Sri Lanka est plus endetté envers le Japon, la Banque mondiale et la Banque asiatique de développement qu’envers la Chine. Sur les 4,5 G$ US du service de la dette du Sri Lanka en 2017, seulement 5 % étaient attribuables au projet Hambantota. Avant le Forum de la BRI, la Chine a annoncé un accord provisoire visant à restructurer les dettes liées à la BRI du Sri Lanka.

De plus, selon une récente étude de Johns Hopkins, plutôt que de saisir des actifs associés à des dettes problématiques dans les pays africains, la Chine a accordé des pardons d’au moins 3,4 G$ US. Selon le Rhodium Group, société de recherche américaine, l’influence de la Chine dans les négociations entourant les emprunts est limitée et les modalités favorisent souvent les emprunteurs. L’organisme de bienfaisance britannique Debt Justice affirme que les pays africains, y compris ceux qui participent à la BRI, doivent 12 % de leur dette à la Chine et 35 % à des entités occidentales, les prêts chinois portant intérêt à des taux inférieurs (2,7 %) à ceux des pays occidentaux (5 %).

La souplesse sera essentielle

Alors que la BRI entame sa prochaine décennie, elle fait face à une nouvelle série de défis découlant des répercussions de la pandémie, de la hausse de l’inflation, de l’augmentation des taux d’intérêt partout dans le monde et de l’intensification des tensions géopolitiques. La BRI a fait preuve de polyvalence dans le passé et, à l’instar de son principal promoteur, la Chine, cette initiative ambitieuse devra démontrer de la souplesse et s’adapter à l’évolution de la conjoncture pour poursuivre sa progression.


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