Les banques en difficulté risquent-elles de plomber l’économie ?

Analyse
Perspectives

L’effondrement de la Silicon Valley Bank a mis en évidence les tensions du système financier. Nous en examinons les effets indirects ainsi que les répercussions sur l’économie et le marché.

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16 mars 2023

Kelly Bogdanova
Vice-présidente et analyste de portefeuille
Services-conseils en gestion de portefeuille – États-Unis

Lorsqu’un événement extrême touche le système financier ou une grande économie, tel que l’effondrement de Silicon Valley Bank, qui a ébranlé le système bancaire régional américain et fait baisser les marchés boursiers dans le monde entier, ceux-ci ont ordinairement besoin de plus que quelques jours pour se remettre. L’effet domino et la volatilité peuvent perdurer pendant des semaines, voire des mois.

Un exemple d’effet domino prématuré pendant cette période de turbulences est celui de l’institution financière suisse Credit Suisse, une grande banque mondiale et société de placement.

Certains des problèmes internes de Credit Suisse étaient connus des participants au marché depuis longtemps, comme en témoignent les pressions subies par ses actions depuis le début de 2021, en particulier l’année dernière. Après que les tensions ont émergé dans le système bancaire régional américain et malmené de nombreuses actions et obligations bancaires aux États-Unis et en Europe, la situation à Credit Suisse s’est encore détériorée davantage, et a provoqué une vente massive des actions dans le secteur bancaire et sur les marchés boursiers du monde entier. La viabilité de Credit Suisse a été remise en question avec tant de vigueur que mercredi, la banque centrale suisse s’est engagée à fournir des liquidités au besoin, et a de ce fait accordé à l’institution une ligne de crédit d’environ 54 milliards de dollars.

Jusqu’à l’apaisement de cette période de tension sur les systèmes financiers américains et mondiaux, nous ne pouvons pas écarter d’autres ondes de choc, peut-être dans d’autres institutions financières européennes ou américaines, ou parmi les fonds de couverture mondiaux.

Alors que les banques centrales, les autorités de réglementation financière et les organismes gouvernementaux ont montré qu’ils étaient prêts à faire volteface en cas de problèmes supplémentaires, la volatilité des marchés boursiers ou d’autres baisses pourraient s’amplifier à l’apparition d’autres tensions éventuelles.

Ce phénomène n’est pas apparu du jour au lendemain

Qu’est-ce qui provoque les tensions actuelles sur le système financier ?

Selon nous, les mauvaises décisions des équipes de gestion et des conseils d’administration d’entreprises en difficulté sont une cause évidente. Il convient aussi de ne pas sous-estimer le rôle des normes réglementaires laxistes ou inappropriées du secteur financier et les faux pas des organismes de réglementation, ainsi que les décisions malavisées des législateurs.

Certes, les décisions de gestion et les lacunes réglementaires sont d’importants facteurs. Nous ne pouvons toutefois pas innocenter les responsables de la politique monétaire de la Réserve fédérale.

Pendant la crise de la COVID-19, la Réserve fédérale a inondé le système financier américain (et ainsi, le système financier mondial) de liquidités en faisant passer son taux au jour le jour déjà bas de 1,75 % à 0,25 %, et en faisant gonfler plus du double les actifs de son bilan par des mesures d’assouplissement quantitatif. Ceci est survenu en même temps que le gouvernement fédéral américain déversait des milliers de milliards de dollars en soutien à l’économie.

Ensuite, une fois la pandémie dissipée et l’inflation intensifiée, la Réserve fédérale a changé son fusil d’épaule, en s’embarquant dans une campagne sans précédent d’augmentations de taux d’intérêt. Au cours de l’année dernière seulement, elle a augmenté son taux directeur, de 0,25 % à 4,75 %, son plus haut niveau depuis 2007. Elle a aussi écrémé les actifs à son bilan d’environ 7 % dans le cadre d’un assouplissement quantitatif.

Selon Tom Porcelli, économiste en chef, États-Unis, à RBC Capital Markets, LLC, le cycle de resserrement n’aurait pas dû être si agressif si la Réserve fédérale s’y était prise plus tôt pour augmenter ses taux, lorsque les tout premiers signes d’inflation sont apparus, et s’était retirée lorsque les statistiques de l’inflation ont commencé à s’améliorer dernièrement.

À la suite des sautes d’humeur de la Réserve fédérale et de la volatilité extrême correspondante sur le marché du trésor, les portefeuilles obligataires d’institutions financières subissent maintenant des pertes latentes démesurées. Certaines banques régionales moins liquides ont éprouvé des difficultés à se tenir à flot même si la situation s’est améliorée depuis que la Réserve fédérale, le Trésor américain et la FDIC ont mis en œuvre des mesures d’urgence dimanche dernier.

Selon nous, les retombées de toute cette situation pourraient contraindre la Réserve fédérale à suspendre son cycle d’augmentation de taux et son resserrement quantitatif plus tôt que prévu, malgré l’absence de signes clairs de retour de l’inflation vers la cible de 2 % de la banque centrale. La prochaine annonce de la politique de la Réserve fédérale et la conférence de presse du président, Jerome Powell, le 22 mars pourraient être les plus attendues de ces dernières années.

L’activité économique pourrait en prendre un coup

Nous pensons que les tensions sur le système financier et ses ondes de choc signifient qu’une récession aux États-Unis est maintenant plus probable, et que le moment de la contraction économique pourrait être avancé.

Cela fait plusieurs mois que nous mettons en garde quant aux risques importants de récession, car trois des sept grands indicateurs économiques de notre feuille de pointage sur la récession aux États-Unis sont passés au rouge, et deux autres évoluent dans cette direction.

Chaque récession américaine à deux exceptions près a été déclenchée depuis plus d’un siècle par la survenance de conditions monétaires restrictives, à savoir des taux d’intérêt prohibitifs (déjà attestés par les tensions touchant les banques régionales) et un resserrement agressif des normes de prêt par les banques (ce qui pourrait être éminent, étant donné les pressions qui s’accumulent dans le système).

À présent que la confiance des investisseurs est ébranlée, nous nous attendons à ce que les ménages les plus à flot au niveau de leur trésorerie commencent à regarder à deux fois à leurs dépenses. Cette attitude, combinée aux normes de prêt plus sévères qui touchent tant les ménages que les entreprises, pourrait miner l’activité économique.

Le marché anticipe

Même si une récession commence au cours de cette année, nous pensons que le marché l’a déjà intégrée depuis longtemps – c’est ordinairement le cas. Le S&P 500 a reculé de 19 % depuis le sommet historique atteint au début de 2022. Au cours des 13 dernières récessions, le marché a chuté en moyenne de 31,8 % entre son pic et son creux.

Les investisseurs à long terme doivent aussi tenir compte du fait que le marché boursier tend à toucher le creux avant la fin de la récession. Cette tendance s’est concrétisée au cours de douze des treize récessions depuis la fin des années 1930. Sur ces douze périodes, l’indice S&P 500 a atteint son creux en moyenne 4,8 mois avant que la tempête économique ne s’éclaircisse.

Le comportement des marchés boursiers américains pendant les récessions

Dates de la récession Durée de la récession (mois) L’indice S&P 500 a-t-il atteint son point le plus bas avant la fin de la récession ? Nombre de mois entre le point le plus bas du marché et la fin de la récession
Mai 1937 à juin 1938 14 Oui 3,0
Nov. 1948 à oct. 1949 12 Oui 5,1
Juillet 1953 à mai 1954 11 Oui 9,1
Août 1957 à avril 1958 9 Oui 5,0
Avril 1960 à février 1961 11 Oui 4,0
Déc. 1969 à nov. 1970 12 Oui 6,1
Nov. 1973 à mars 1975 17 Oui 6,1
Janvier 1980 à juillet 1980 7 Oui 4,1
Juillet 1981 à nov. 1982 17 Oui 4,1
Juillet 1990 à mars 1991 9 Oui 6,1
Mars 2001 à nov. 2001 9 Non S. O.*
Déc. 2007 à juin 2009 19 Oui 4,1
Février 2020 à avril 2020 3 Oui 1,0
Moyenne 11,5 4,8

Nota : La récession de 1945 a été écartée puisqu’il n’y a pas eu de recul marqué du marché boursier.
* Le marché a atteint son point le plus bas 10 mois après la fin de la récession. Ces données ne sont pas incluses dans le calcul de la moyenne de cette colonne.

Sources : Stratégie sur actions américaines, RBC Marchés des Capitaux, Haver Analytics, RBC Gestion de patrimoine

Par ailleurs, une éventuelle volteface de la part de la Réserve fédérale dans le cadre de sa politique pourrait soutenir le marché au fil du temps. Les données historiques montrent que l’indice S&P 500 a souvent couru un risque de baisse juste avant que la Réserve fédérale ne suspende son cycle d’augmentation de taux, mais que des prises de bénéfice solides surviennent ordinairement dans les mois suivants, comme l’indique le tableau ci-contre. Au cours des périodes qui précèdent et suivent la première baisse de taux de la Réserve fédérale, les actions ont ordinairement progressé à la hausse, y compris à un taux supérieur à la moyenne six mois plus tard.

Rendement historique des marchés américains lorsque la Réserve fédérale change de politique

Avant et après la dernière augmentation de taux dans un cycle de resserrement de la Réserve fédérale : risque de baisse de cours juste avant la suspension de la Réserve fédérale, toutefois ordinairement suivi par des prises de bénéfice solides

Rendement de l’indice S&P 500
Dernière augmentation de taux par la Réserve fédérale
Avant la dernière augmentation de taux Après la dernière augmentation de taux
6 mois 3 mois 1 mois 1 mois 3 mois 6 mois
Rdmt médian de 1970 à 1979 -1,0 % -2,5 % -4,5 % 2,6 % -4,4 % 2,8 %
Rdmt médian de 1980 à 1989 9,0 % 7,3 % -0,5 % 1,2 % 1,4 % 8,0 %
Rdmt médian de 1990 à 2018 2,4 % 2,3 % 1,0 % 0,6 % 7,2 % 13,3 %
Rdmt médian depuis 1970 2,9 % 0,5 % -0,7 % 1,0 % 1,7 % 5,9 %

Avant et après la première baisse de taux dans un cycle d’assouplissement de la Réserve fédérale, les actions augmentent ordinairement, y compris à un taux supérieur à la moyenne six mois plus tard

Rendement de l’indice S&P 500
Première baisse de taux par la Réserve fédérale
Avant la première baisse de taux Après la première baisse de taux
6 mois 3 mois 1 mois 1 mois 3 mois 6 mois
Rdmt médian de 1970 à 1979 0,1 % -0,1 % -0,2 % 1,2 % 9,6 % 8,5 %
Rdmt médian de 1980 à 1989 7,1 % 4,5 % 1,9 % -0,2 % 7,5 % 10,0 %
Rdmt médian de 1990 à 2020 5,9 % 0,5 % 1,7 % 0,1 % 1,7 % 8,8 %
Rdmt médian depuis 1970 5,7 % 1,3 % 1,2 % 0,1 % 4,2 % 9,0 %

Sources : Stratégie sur actions américaines, RBC Marchés des Capitaux, Bloomberg ; périodes de rendement positif représentées en vert, périodes de rendement négatif représentées en rouge

Bien que le marché reste vulnérable à une volatilité ou des baisses supplémentaires, ces schémas historiques montrent que le marché américain atteint ordinairement son creux bien avant que la situation économique ne s’améliore, et souvent lorsque l’actualité et la confiance des investisseurs sont encore plutôt pessimistes. Ceci soutient notre vue que les investisseurs de long terme devraient s’en tenir à leurs répartitions d’actifs stratégiques à long terme pendant cette période difficile.


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