La relation inverse de longue date entre l’or et les taux d’intérêt réels semble s’être rompue, ce qui laisse entrevoir que de nouvelles forces, comme les achats par les banques centrales, l’incertitude géopolitique et la diversification des portefeuilles, jouent un rôle plus important dans la demande pour les lingots.
26 juin 2025
Par Joseph Wu, CFA
Il a toujours été difficile de déterminer ce qui stimule exactement le prix de l’or. Or, une relation qui a raisonnablement bien résisté ces 25 dernières années est la corrélation inverse de l’or avec les taux d’intérêt réels.
L’or ne génère aucun flux de trésorerie. Étant donné que détenir de l’or entraîne des coûts – entreposage et assurance –, on pourrait dire que le taux de rendement de l’or est négatif. Par conséquent, l’or est sensible aux variations des taux d’intérêt réels (ajustés en fonction de l’inflation). Lorsque les taux réels augmentent, le coût d’opportunité lié à la détention de l’or augmente, ce qui réduit son attrait par rapport aux actifs productifs de revenus. Lorsque les taux réels baissent, c’est l’inverse qui se produit.
De la fin des années 1990 à 2021, cette dynamique a étayé cette relation relativement stable. Lorsque bas ou en baisse, les taux d’intérêt réels, représentés par le taux des titres du Trésor américain à 10 ans indexés sur l’inflation, ont généralement été favorables à l’or.
Depuis 2022, toutefois, la tendance s’est considérablement affaiblie. Malgré une forte hausse des taux d’intérêt réels en 2022 et en 2023, les banques centrales ayant relevé rapidement les taux pour contenir l’inflation post-pandémie, les prix de l’or sont demeurés résilients. Plus récemment, l’or a encore grimpé, même si les taux réels sont demeurés stables.
Le graphique montre le coefficient de corrélation statistique (R-carré) entre le prix de l’or et le taux des titres du Trésor américain indexés sur l’inflation (TIPS) à 10 ans depuis 1997. De 1997 à 2004, les taux des TIPS ont oscillé entre environ 1 % et 4,5 % et le coefficient de corrélation était de 69 %. De 2005 à 2021, les taux ont oscillé entre -1 % et 3 % et la corrélation était de 84 %. En 2022 et 2023, les taux ont oscillé entre -1 % et 2,8 %, avec une corrélation de seulement 3 %. Depuis 2024, les taux sont demeurés autour de 2 % et la corrélation est de 7 %.
Remarque : dans cette analyse, R2 indique le coefficient de détermination, une mesure statistique de la mesure dans laquelle les fluctuations des prix de l’or peuvent être attribuables aux fluctuations des taux d’intérêt réels.
Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg; données hebdomadaires jusqu’au 20 juin 2025
L’or, comme tout actif, est assujetti à l’offre et à la demande. Cependant, la nature relativement inélastique de l’offre d’or (la production mondiale des mines d’or n’a augmenté que de 2 % par année depuis 2010) tend à porter toute l’attention sur les variables liées à la demande.
L’attrait de l’or remplit plusieurs fonctions. Le métal précieux est perçu de diverses façons : une réserve de valeur, un actif de réserve pour les banques centrales et une source de diversification des portefeuilles. Les nombreux rôles de l’or le démarquent depuis longtemps, ce qui nécessite un cadre d’analyse différent. Les forces derrière la demande varient souvent en fonction du contexte macroéconomique plus large.
Étant donné que la corrélation inverse entre l’or et les taux réels, qui s’est maintenue pendant la majeure partie des 20 dernières années, n’est plus intacte, un changement dans les facteurs sous-jacents qui façonnent la trajectoire de l’or pourrait être en cours. Il est de plus en plus important de comprendre qui est l’acheteur marginal et pourquoi il achète.
Au cours des dernières années, les banques centrales sont devenues un moteur important de la demande, et elles sont relativement insensibles aux prix. Leur intérêt renouvelé découle en partie de considérations géopolitiques, notamment le gel en 2022 des actifs de la Russie libellés en monnaies étrangères, qui a mis en lumière la vulnérabilité des actifs libellés en dollars américains détenus par les banques centrales. Depuis, les banques centrales, en particulier dans les marchés émergents, ont cherché à diversifier graduellement leurs réserves d’actifs en augmentant leurs placements dans l’or.
Les achats nets d’or des banques centrales ont dépassé 1 000 tonnes trois années de suite (voir le graphique à droite), soit le double de la moyenne de 2010 à 2021, et ont aidé à compenser la demande d’investissements relativement plus faible. Cette tendance semble vouloir persister : selon un récent sondage mené auprès de 72 autorités monétaires par le World Gold Council, presque tous les répondants (95 %) s’attendent à ce que les placements aurifères du secteur officiel augmentent au cours de la prochaine année, ce qui donne à penser que les banques centrales continueront d’accumuler des lingots au cours des prochaines années.
Le graphique montre la quantité d’or achetée chaque année par les banques centrales mondiales depuis 2010. De 2010 à 2021, les banques centrales ont acheté en moyenne 473 tonnes d’or par année. En 2022, 2023 et 2024, le total des achats a augmenté à plus de 1 000 tonnes par année.
Sources : RBC Gestion de patrimoine, World Gold Council
Deux autres facteurs structurels pourraient soutenir davantage la demande : la diversification des portefeuilles et une autre solution pour les réserves de valeur. Le recul des États-Unis en tant que leaders mondiaux, qui témoigne de la volonté de l’administration Trump de prioriser les enjeux nationaux, a coïncidé avec un contexte géopolitique plus fragmenté. Un monde plus éclaté, marqué par des conflits plus fréquents, combiné aux préoccupations croissantes à l’égard du lourd endettement du gouvernement et à la remise en question du rôle à long terme du dollar américain dans le système international, pourrait renforcer les arguments en faveur de l’or en tant que facteur de diversification pour contrer le degré élevé et persistant de l’incertitude.
L’affaiblissement du pouvoir explicatif des taux d’intérêt réels nous porte à croire que ces facteurs non traditionnels jouent maintenant un rôle plus important dans l’évolution du marché de l’or.
Peu d’actifs financiers divisent l’opinion aussi fortement que l’or. L’absence de flux de trésorerie rend difficile son évaluation au moyen des méthodes conventionnelles, de sorte que le métal précieux n’a pas d’ancrage d’évaluation fondamental. Malgré tout, l’or jouit depuis longtemps de son rôle de couverture du risque de crise et de solution de rechange aux autres monnaies.
L’attrait de l’or découle également de ses avantages sur le plan de la diversification. Il a tendance à avoir une faible corrélation avec les actions, et cette caractéristique devient particulièrement précieuse dans deux scénarios : premièrement, en période de fortes tensions économiques ou financières; et deuxièmement, lorsque les actions et les obligations évoluent en parallèle. Cette deuxième situation, qui a été rare au cours des deux dernières décennies, est devenue plus courante dans le contexte actuel de volatilité accrue de l’inflation.
À notre avis, l’or est plus pertinent pour une répartition stratégique que tactique. Il est intrinsèquement difficile de tenter de prévoir la remontée des cours – ou d’anticiper les événements mondiaux qui pourraient les déclencher. Une approche stratégique à long terme est plus susceptible de tirer pleinement parti des avantages éventuels de l’or. Il faut donc accepter les périodes de sous-performance en échange du potentiel de protection et de diversification que l’or peut offrir au moment où on en a le plus besoin.
RBC Gestion de patrimoine est une division opérationnelle de Banque Royale du Canada. Veuillez cliquer sur le lien « Conditions d’utilisation » qui figure au bas de cette page pour obtenir plus d’information sur les entités qui sont des sociétés membres de RBC Gestion de patrimoine. Nous n’approuvons ni ne recommandons le contenu de cette publication, qui est fourni à titre d’information seulement et ne vise pas à donner des conseils.
® / MC Marque(s) de commerce de Banque Royale du Canada utilisée(s) sous licence. © Banque Royale du Canada 2025. Tous droits réservés.
Nous voulons discuter de votre avenir financier.