Le dollar américain perd-il son attrait à l’échelle mondiale ?

Analyse
Perspectives

Nous examinons les préoccupations entourant le statut de devise de réserve du dollar américain et nous nous demandons si un changement dans la hiérarchie des devises est imminent.

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14 avril 2022

Par Alan Robinson

Depuis que le gouvernement américain empêche les banques russes d’accéder au système SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication), principale passerelle mondiale des opérations financières, dans le cadre des sanctions imposées en raison de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, certains analystes ont fait une mise en garde contre cette transformation en arme du dollar américain. Ces analystes croient que le gel d’une part importante des réserves de change de la Russie pourrait inciter certains pays à chercher des solutions de remplacement au dollar américain pour le commerce et les investissements mondiaux et ainsi compromettre le statut de devise de réserve du billet vert.

Les devises de réserve en chiffres

Par le passé, le privilège du statut de devise de réserve à l’échelle mondiale était réservé aux pays ayant les plus vastes économies de la planète. Dans l’histoire moderne, il n’y a eu que deux devises semblables, soit la livre sterling britannique du début des années 1800 jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, et le dollar américain depuis. Le fait que la livre sterling soit demeurée la meilleure devise pendant des décennies, jusqu’à ce que l’économie américaine dépasse celle de la Grande-Bretagne dans les années 1870, témoigne de l’endurance du statut de devise de réserve.

Les événements qui ont suivi n’ont fait que renforcer la suprématie du dollar, puisque la valeur de la devise était liée à l’or de 1944 à 1971 et fluctue librement depuis 1973. Même la création de l’euro en tant que devise concurrente à l’échelle mondiale en 1999 n’a pas permis de déloger le billet vert.

Les nations souveraines utilisent surtout les réserves de change pour atténuer la volatilité de leur propre devise et payer les produits essentiels importés. La crise financière asiatique de 1997 a servi d’avertissement contre les réserves de change inadéquates, et la plupart des banques centrales ont augmenté leurs réserves par la suite pour préserver la stabilité financière.

Cette nouvelle prudence a principalement profité au dollar. En effet, la part de la devise dans les réserves mondiales est passée de 45 % dans les années 1960 à 72 % en 2001. La croissance globale de l’économie mondiale au cours des 20 dernières années avait réduit cette part à 60 % des 12 billions de dollars accumulés dans les réserves à la fin de 2021, selon la Réserve fédérale, et environ le tiers des obligations d’État américaines sont désormais détenues par des États souverains étrangers à cette fin. D’autres devises fortes se partagent le reste, mais aucune ne se rapproche à elle seule du dollar américain : l’euro représente 21 % des réserves ; le yen japonais, 6 % ; et la livre sterling, 5 %. La Chine a tenté d’accroître son influence mondiale, mais le yuan ne représente que 2 % des réserves.

La variation de la part en dollars américains des réserves est conforme aux tendances économiques mondiale s à long terme.

Comparaison entre la part des réserves en dollars américains et la part de l’économie mondiale représentée par les États-Unis

Comparaison entre la part des réserves en dollars américains et la part de l’économie mondiale représentée par les États-Unis

Le graphique linéaire montre l’évolution de la part des réserves mondiales libellées en dollars US chaque année, de 1999 à 2021, et l’évolution de la taille de l’économie américaine par rapport à l’économie mondiale. La part occupée par le dollar dans les réserves est passée de 71 % à 60% , ce qui est encore de beaucoup supérieur à la part de l’économie américaine dans l’économie mondiale, qui est passée de 27 % à 22 % au cours de la même période. La proportion des réserves détenues en dollars US s’est considérablement accrue entre 2014 et 2017, durant la crise des liquidités dans la zone euro.

  • PIB des États-Unis en % du PIB mondial (à g.)
  • % des réserves mondiales détenues en USD (à dr.)

Nota: La proportion des réserves détenues en dollars US s’est considérablement accrue entre 2014 et 2017, durant la crise des liquidités dans la zone euro.

Sources : Bureau of Economic Analysis des États-Unis, FactSet et RBC Gestion de patrimoine.

Pourquoi l’exagération des rapports sur le déclin du dollar ?

Les conditions à respecter pour devenir une devise de réserve sont peu nombreuses, mais lourdes. Premièrement, la devise doit être entièrement convertible sur les marchés de change internationaux. L’entité qui émet la devise ne peut donc pas imposer de vastes contrôles des capitaux pouvant empêcher l’exportation de la devise.

Deuxièmement, il doit y avoir un important ensemble d’actifs liquides libellés dans la devise en question. Dans le cas du dollar américain, cette liquidité découle du marché des obligations gouvernementales de 23 billions de dollars. La création de l’euro a brièvement promis un marché obligataire aussi concurrentiel, mais l’effet combiné de la réticence de l’Allemagne à emprunter et du penchant pour les dépenses de l’Italie a engendré, au cours de la dernière décennie, une crise de liquidités qui a limité la quantité d’obligations de catégorie investissement disponibles. La dynamique ultérieure des taux d’intérêt négatifs dans la zone euro a réduit encore davantage les obligations portant intérêt.

Enfin, la devise doit être protégée de l’ingérence des politiciens du pays en cause et se trouver sur un territoire où la loi est rigoureusement respectée. La confiance placée dans une devise a un effet sur sa stabilité, un aspect crucial pour servir de réserve de valeur. L’euro respecte deux de ces trois critères, mais le yuan chinois s’efforce encore d’atteindre ces objectifs.

Évaluation des solutions de remplacement

Il ne manque pas de candidats possibles à l’obtention du titre de première devise de réserve, mais la plupart sont loin d’y parvenir. L’euro demeure le concurrent le plus crédible, mais, même avec une hausse probable des obligations émises pour financer un renforcement de la défense et la construction d’infrastructures, nous croyons que l’absence d’intégration budgétaire explicite dans la zone euro lui donne peu de chances.

La Chine souhaite manifestement accroître son influence sur la scène mondiale, mais sa devise n’est pas entièrement convertible ou libre de toute ingérence de la part de ses politiciens, et son marché obligataire national n’a pas la profondeur suffisante.

Les cryptomonnaies sont de nouvelles venues, mais elles n’ont probablement pas été assez éprouvées pour devenir une réserve de valeur à long terme et elles se situent à bien des égards dans une zone grise juridique.

Les métaux précieux sont des réserves de valeur depuis longtemps, mais leur utilisation est limitée par les aspects pratiques de l’entreposage et du transport des quantités requises. D’autres avoirs réels, comme des biens immobiliers, des terres agricoles, des mines ou des champs de pétrole, peuvent comporter des avantages stratégiques, mais ils ne sont guère transférables et ils sont parfois difficiles à échanger. Les titres de créance des marchés émergents ont attiré les investisseurs sensibles au rendement, mais le manque de stabilité et de liquidité en cas de crise joue contre eux.

Actifs possibles des réserves : évaluation de la compétition

Cotes subjectives en fonction de la vigueur relative de chaque critère

Instrument de la réserve Liquidité Convertibilité Stabilité Total
Dollar américain M M M M
Euro B M M B
Or B C C C
Yuan chinois C D B C
Actifs réels C C C C
Cryptomonnaies C C D D
Titres de créance des marchés émergents D D D D

Source : RBC Gestion de patrimoine.

L’absence de solutions de remplacement au dollar devient évidente avec la composition de la réserve de la Russie. Sa banque centrale a tenté de protéger ses réserves avant l’invasion, mais elles sont encore composées à 20 % de dollars américains et à 40 % d’euros. Les 40 % restants sont probablement des actifs difficiles à convertir, ce qui fait ressortir la complexité de la constitution de réserves avec d’autres choses que des devises fortes.

Le dollar américain sera-t-il à la hauteur ?

Nous nous attendons à ce que le dollar américain conserve son statut de devise de réserve prédominante dans un avenir prévisible. Plus récemment, la demande d’une solution de remplacement au dollar américain provient surtout d’institutions qui semblent vouloir éviter de se conformer aux normes internationales, une structure sans influence mondiale, à notre avis. Qui plus est, les critères requis pour devenir une véritable réserve de valeur liquide éliminent la plupart des candidats. Une certaine réduction de la part des réserves en dollars semble logique dans un monde multipolaire, mais le dollar ne disparaîtra pas de sitôt.


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