Le dollar américain est-il encore une monnaie de réserve viable ?

Analyse
Perspectives

Nous expliquons pourquoi, selon nous, le statut du dollar ne changera pas, contrairement à ce qu’on annonce.

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20 avril 2023

Par Atul Bhatia, CFA

Dernièrement, la presse financière a annoncé à cor et à cri la mort du dollar américain comme monnaie de réserve. Nous pensons qu’elle fait fausse route, ou du moins qu’il est prématuré de faire la part des choses, et que les prédictions accablantes sur la chute des cours des actifs américains constituent tout aussi probablement une pure hyperbole.

En réalité, les changements de monnaies ne sont qu’un seul élément d’une toile de fond macroéconomique enchevêtrée, et nous estimons que la migration vers des réserves mondiales en plusieurs monnaies sera, en définitive, aussi dénuée d’intérêt qu’il y paraît.

Incidences sur les réserves

Les banques centrales et les institutions étrangères détiennent des réserves de change pour plusieurs raisons, dont l’essentielle, toutefois, vise à assurer la stabilité et à effectuer les principales importations en période de crises économiques nationales ou internationales. Depuis des décennies, le dollar américain est la monnaie privilégiée des réserves, soit une part avoisinant 7 billions de dollars.

Malgré le nom de « pays à monnaie de réserve », nous estimons que le vrai avantage d’un tel statut ne tient pas tant dans les opérations de change. Un dollar américain fort tend à aider en cas d’inflation en rendant les importations moins chères et à nuire aux exportateurs qui ont plus de difficultés à écouler leurs produits à l’étranger. Quoi qu’il en soit, les deux effets sont en général mineurs.

Par contre, là où le billet vert déploie tous ses effets grâce à son statut de monnaie de réserve est le financement qu’il fournit au gouvernement américain. Les réserves de dollars sont presque toujours détenues sous la forme d’obligations du Trésor ou d’organismes gouvernementaux américains. Celles‑ci tendent à avoir le vent en poupe lorsque les risques économiques se multiplient à l’échelle mondiale : ces placements prennent tout leur attrait précisément au moment où des réserves sont nécessaires. Par conséquent, la demande étrangère de réserves en dollars a créé une demande correspondante pour les titres de créance du gouvernement américain.

Un début lent, et une suite encore plus lente

Là où les économistes s’égarent et sèment la confusion tient à la manière dont ils utilisent les termes « stocks » et « flux ». Du fait de leurs réserves, les institutions étrangères détiennent des titres du Trésor d’une valeur de 7 billions de dollars. Un dénouement rapide de ce stock d’obligations serait une mauvaise chose, quoiqu’aussi très improbable, comme nous l’abordons ci‑dessous.

Le dessein le plus probable en vue de la dédollarisation des réserves serait de réorienter les flux de toutes nouvelles réserves. Ce processus a déjà commencé. Aujourd’hui, le billet vert représente environ 58 % des réserves mondiales, contre 73 % en 2001. Essentiellement, la réaffectation est attribuable aux nouveaux flux des placements, et non à la vente du stock des positions existantes. Selon nous, cette tendance se poursuivra.

Si tel est le cas, on devrait observer une légère diminution de la demande d’obligations américaines lors des prochaines ventes aux enchères du Trésor, se soldant par une potentielle augmentation des taux. Les répercussions devraient toutefois être réduites. Les investisseurs à l’étranger ont acheté un peu moins de 17 % de bons et d’obligations du Trésor émis en 2023, une quantité facilement remplaçable avec la demande actuelle, car les ordres passés lors des ventes aux enchères doublent systématiquement la taille de l’offre des obligations. Les données publiques ne nous permettent pas de calculer avec précision la répercussion sur les taux, mais nous sommes persuadés que celle‑ci se mesurera en points de base et non en pourcentages, et que l’économie américaine sera à même de gérer cette répercussion.

Chute des taux dans le contexte dominé par les réserves de dollar

Les acheteurs de réserves de change – un facteur d’une mosaïque compliquée de fixation des prix

La part du dollar américain dans les réserves mondiales et le taux de l’obligation du Trésor à 10 ans

Le graphique linéaire montre que la part du dollar américain dans les réserves mondiales a diminué de 72 % en décembre 2000 à 58 % en décembre 2022. Durant la même période, le taux de l’obligation du Trésor à 10 ans a chuté de 4,92 % à 3,88 %.

  • Pourcentage des réserves mondiales de devises détenues en USD (g.)
  • Taux de l’obligation du Trésor américain à 10 ans (dr.)

Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg ; données prises en compte jusqu’au 31 décembre 2022.

L’histoire nous donne confiance dans notre jugement. La part du dollar dans les réserves mondiales a chuté de 15 % depuis 2001, année où les taux des obligations gouvernementales à 10 ans ont chuté de plus de 1 %. Il ne fait aucun doute que la demande de titres du Trésor est influencée par d’autres facteurs que les réserves. Regardons le Royaume‑Uni pour élargir notre vue. En 1960, la livre sterling ne représentait plus que 35 % des réserves mondiales, contre 70 % en 1940. Bien que le Royaume‑Uni ait connu des années difficiles durant cette période, nous sommes d’avis qu’elles étaient largement attribuables à la dette de guerre, et non aux répercussions de la devise. Quelle qu’en soit la cause, le Royaume‑Uni n’a connu aucune apocalypse — au pire, une récession.

Il est bon de régner, mais pas mauvais de passer les rênes

La transition de monnaie de réserve profite aux États‑Unis, mais le Royaume‑Uni va bien (1940 à 1960)

Taux des obligations, PIB réel, et part de la devise des États-Unis et du Royaume-Uni dans les réserves entre 1940 et 1960

Le graphique à barres montre comment le taux des obligations et le PIB réel des États-Unis et du Royaume-Uni ainsi que la part de la devise de ces deux pays dans les réserves ont varié de 1940 à 1960. Les données montrent que le PIB réel des États-Unis a crû de 103 %, contre 67 % pour celui du Royaume-Uni, que le taux de l’obligation britannique a augmenté de 2,8 % et celui de l’obligation américaine, de 1,9 %, et que la part de la livre sterling dans les réserves a baissé de 34 %, tandis que celle du dollar américain a grimpé de 33 %.

  • Royaume-Uni
  • États-Unis

Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg, Fonds monétaire international, Banque d’Angleterre, Statista, GovInfo.

Des possibilités de rechange restreintes

Certains commentateurs font état d’un changement plus radical au niveau du positionnement en devises, où les réserves de dollars sont bradées sur le marché libre. L’idée fait couler l’encre à flots, mais ne tient pas la route en pratique. Tout d’abord, elle s’oppose à l’intérêt des vendeurs. Les réserves sont détenues par des pays exportateurs. Il est difficile de voir comme le fait de larguer leur plus gros client leur profiterait. Les bouleversements qui en résulteraient à l’échelle mondiale déstabiliseraient à coup sûr davantage leurs propres économies que le dollar américain, et ces pays s’infligeraient eux‑mêmes une crise politique nationale.

L’autre erreur fatale, selon nous, est qu’il n’existe pas de solution de rechange viable au dollar, comme nous l’avons abordé précédemment. L’euro peut absorber une partie des flux redirigés de la nouvelle accumulation de réserves, mais un calcul de la conversion d’un stock de réserves de 7 billions de dollars sur le marché des obligations allemandes d’un encours de 2 billions d’euros ne tient pas la route. Il va sans dire que la zone euro chercherait quasi certainement à restreindre les flux provenant de pays qui feraient des marchés obligataires leurs armes.

L’absence de solutions de rechange à l’heure actuelle n’a pas découragé certains des partisans les plus fervents de la dédollarisation à spéculer sur la création d’une nouvelle monnaie des pays BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Même si une espèce de mécanisme de facilité de paiement entre les pays est envisageable, nous pensons qu’une monnaie commune entre des économies si disparates dépourvues d’union fiscale va à l’encontre de toute logique. Aucune banque centrale n’a la vie facile, mais l’établissement d’une politique monétaire cohérente pour une telle cohorte d’importateurs et d’exportateurs de marchandises est une tâche herculéenne. Advienne que pourra… lorsque l’heure sera venue de décider de diminuer ou d’augmenter leurs taux si les prix du pétrole chutent : toute déconfiture en Russie ferait probablement des ondes en Inde et en Chine.

Une mosaïque monétaire

Somme toute, les monnaies de réserve sont une question de confiance sur de multiples fronts : dans la stabilité politique, dans l’état de droit et dans les politiques économiques. Et qui plus est, la confiance, qu’en période de troubles et de crises, les gens voudront posséder la monnaie que vous détenez. Les États‑Unis n’ont peut‑être plus la cote comme auparavant, mais le dollar d’aujourd’hui n’est pas en compétition avec le dollar d’hier. Et à la vue des solutions de rechange d’aujourd’hui, nous estimons qu’il n’y a pas de moyen viable de remplacer les réserves détenues en dollars.

Selon nous, toute évolution des réserves détenues sera probablement un processus progressif, et au lieu de s’avérer une catastrophe pour les prix des actifs, nous estimons qu’elle ne constitue qu’un élément de la toile de fond macroéconomique enchevêtrée.


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