L’effet des droits de douane va bien au‑delà des échanges commerciaux

Analyse
Perspectives

Des droits de douane peuvent avoir de nombreuses répercussions économiques, mais nous pensons que les investisseurs devraient se concentrer sur les objectifs économiques et politiques qui dictent les décisions.

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4 février 2025

Par Atul Bhatia, CFA

Points importants

  • Même si les droits de douane sont incontestablement liés au commerce, ils ne sont pas nécessairement motivés par des préoccupations commerciales.
  • Les tarifs douaniers utilisés comme tactique de négociation plutôt que comme mesure commerciale politique pourraient améliorer les résultats pour certains investisseurs, mais ils ne sont pas sans conséquence négative ni sans risque.

Les tarifs douaniers, dans leur forme moderne, constituent une mesure commerciale. La hausse des droits à l’importation aux États‑Unis aide les producteurs nationaux à compenser le manque d’avantage concurrentiel dont ils souffrent en matière de coûts. Une taxe à l’importation contribue à réduire le déficit commercial des États‑Unis à court terme, et ce, même si la situation à long terme s’assombrit en raison des marchés boursiers étrangers et des mesures de représailles d’autres pays. Il y a tout à fait lieu de considérer les hausses de droits de douane proposées par le président Donald Trump sur les produits chinois comme des mesures commerciales.

Il y a également lieu de considérer les tarifs douaniers comme le prix que doivent payer les autres pays pour avoir accès au marché américain. S’il y a un aspect pour lequel les États‑Unis tiennent le haut du pavé, c’est bien celui de la demande globale excédentaire de l’économie mondiale. Plus simplement parlant, une entreprise qui souhaite vendre ses biens doit d’abord commencer par le marché de son pays d’origine, puis visera probablement le marché américain par la suite.

Les exportations chinoises vers les États‑Unis sont demeurées stables malgré la hausse des tarifs douaniers

Valeur des importations américaines en provenance de la Chine ainsi que les tarifs douaniers moyens des États-Unis

Le graphique linéaire montre la valeur des importations américaines en provenance de la Chine en milliards de dollars américains de janvier 2015 à novembre 2024, ainsi que les tarifs douaniers moyens des États-Unis sur les importations chinoises de janvier 2018 à novembre 2024. Le taux tarifaire des États-Unis a commencé à augmenter fortement en 2018, passant d’environ 3 % à un sommet d’environ 21 % en 2020, avant de s’établir à 19,3 %, niveau maintenu jusqu’en 2024. La valeur des importations en provenance de la Chine a suivi un cycle annuel dans une fourchette d’environ 30 à 50 milliards de dollars; après avoir baissé à environ 20 milliards de dollars en 2020 dans la foulée des hausses tarifaires, elle s’est redressée dans une fourchette de 30 à 40 milliards de dollars par année.

  • Moyenne des tarifs douaniers des États-Unis sur les importations chinoises (à gauche)
  • Importations américaines en provenance de la Chine (G$ US, à droite)

Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg.

Par le passé, les États‑Unis n’ont pas demandé grand‑chose aux entreprises pour que ces dernières aient accès aux consommateurs américains. En général, on considérait que l’accès relativement facile qu’avaient les producteurs mondiaux au marché des États‑Unis était une bonne chose pour les ménages américains, car ces derniers bénéficiaient d’un plus grand éventail de biens à de meilleurs prix. Ce point de vue n’est toutefois pas immuable.

Une autre approche tout aussi valable pour les États‑Unis consiste à obtenir des concessions d’autres pays en échange d’un accès continu aux marchés américains. C’est essentiellement ce que les États‑Unis ont fait dans le cadre des accords du Plaza – des accords multilatéraux visant à réduire le déficit commercial des États‑Unis en affaiblissant le dollar – et d’une série d’accords bilatéraux avec le Japon dans les années 1980 et 1990 pour imposer des limites « volontaires » aux exportations à destination des États‑Unis. Le maintien d’un accès même limité aux acheteurs de voitures des États‑Unis a nécessité des concessions à d’autres égards sur le plan commercial et financier.

L’administration Trump s’inspire selon nous des accords du Plaza et va même plus loin encore. Plutôt que de chercher à tirer des avantages commerciaux sur le plan national, nous pensons qu’elle cherchera à obtenir des concessions en ce qui a trait à l’ensemble des questions économiques et politiques. Avec ses voisins directs, les enjeux frontaliers devraient occuper le devant de la scène. Pour ce qui est de l’Union européenne, les dépenses militaires pourraient être au centre des préoccupations. Mais quels que soient les accords finaux, nous croyons que les tarifs douaniers ne sont qu’un très puissant moyen d’exercer des pressions bilatérales tant sur des alliés que des concurrents.

Faisons un marché

Si l’administration Trump utilise les droits de douane principalement pour obtenir des concessions, nous pourrons en tirer deux conclusions concernant les actifs américains, à notre avis.

Premièrement, si les tarifs douaniers ne sont qu’un outil de négociation, ils n’ont pas besoin d’être appliqués pour de longues périodes – si ce n’est pas du tout – pour que le pays obtienne le résultat souhaité. Une démonstration rapide de pouvoir – ou même une simple menace – permet d’obtenir la concession, les avantages s’accumulent et les coûts initiaux sont minimes. Il y a lieu de croire qu’une grande part des articles qui paraîtront dans les journaux et des points de vue des économistes au sujet des coûts économiques sur plusieurs années des droits de douane et des représailles potentielles pourraient accorder beaucoup trop d’importance à l’incidence brève d’un tarif douanier punitif sur un pays donné.

Nous pouvons déjà observer cette dynamique à l’œuvre. Au cours des premiers jours de l’administration, la Colombie a refusé d’accepter des vols du gouvernement américain transportant des personnes déportées dans des conditions que la nation sud‑américaine jugeait inacceptables. En réaction, le président Trump a menacé d’imposer un tarif initial de 25 % sur tous les produits colombiens et de l’augmenter rapidement à 50 %. Confrontée à une catastrophe économique potentielle, la Colombie n’a pas eu d’autre solution réaliste que de concéder, et elle l’a rapidement fait.

Pour ce qui est du Canada et du Mexique, le scénario est, selon nous, assez semblable. Trump a menacé le Canada et le Mexique d’importants tarifs douaniers, puis a accordé un sursis d’un mois à ces pays après qu’ils ont accepté de renforcer la sécurité frontalière. Si des droits de douane sont imposés au Mexique, au Canada ou à un autre allié des États‑Unis, comme cela pourrait se produire, nous pensons qu’ils seront probablement imposés sur une période assez courte. Selon nous, l’administration Trump est plus susceptible d’augmenter les tarifs – comme elle a menacé la Colombie de le faire – plutôt que de laisser le temps accroître les pressions sur les contreparties. Encore une fois, toutefois, cette situation devrait maintenir le coût économique immédiat global relativement faible pour les États‑Unis.

La deuxième conséquence de l’examen des tarifs à travers le prisme d’un levier de négociation est que la politique tarifaire devrait être énormément variable, en particulier aux premières étapes de sa mise en œuvre. L’une des forces des tarifs douaniers en tant qu’outils de négociation est qu’ils sont non seulement absolus, mais aussi relatifs. Le fait de devoir payer des droits de douane de 10 % pour accéder au marché américain est un fardeau en soi, mais ce dernier s’avère deux fois plus lourd si les autres pays ne paient que 5 %. Cela laisse croire que la position de l’administration Trump dans le cadre des négociations devrait être variable; il devrait entre autres être question de tarifs douaniers plus faibles d’un pays à l’autre, d’exemptions ciblées ainsi que de longues périodes de transition à divers moments selon les pays.

Les considérations politiques d’ordre national aux États‑Unis peuvent également mener à l’élaboration de politiques ponctuelles et à des mesures d’allègement temporaires. En général, ce caractère variable devrait avantager les grandes sociétés, qui ont l’envergure nécessaire pour se faire entendre par les décideurs et qui disposent des ressources requises pour ajuster rapidement leurs chaînes d’approvisionnement.

Résultats variés et risques accrus

Les tarifs douaniers utilisés comme tactique de négociation plutôt que comme mesure commerciale pourraient améliorer les résultats pour certains investisseurs, mais ils ne sont pas sans conséquence négative ni sans risque.

Le point négatif le plus évident est, d’après nous, le risque qui guette les principaux partenaires commerciaux des États‑Unis. Même les menaces tarifaires peuvent entraîner des changements dans la chaîne d’approvisionnement et réduire les ventes des fournisseurs étrangers aux sociétés américaines. Ce désagrément se fera sentir même si aucun tarif n’est jamais appliqué, et celui‑ci pourrait persister.

Pour certaines combinaisons de secteurs et de pays, les exportations aux États‑Unis sont essentielles aux aspects économiques relatifs à la production. Par exemple, le pétrole canadien tend à se retrouver dans les raffineries américaines, et les raffineries n’ont pas toutes la même capacité à traiter le pétrole brut de qualité canadienne. Même une perturbation temporaire des exportations dans ces secteurs nationaux essentiels peut avoir d’importantes répercussions économiques sur les partenaires commerciaux des États‑Unis, comme le Canada, ce dont nous avons discuté récemment. Il convient de noter que certains économistes, mais loin de la totalité d’entre eux, ont soutenu que les accords du Plaza sont directement à l’origine de la faiblesse économique du Japon durant les années 1990, soit la « décennie perdue ». De plus, la croissance de nombreuses économies autres que celle des États‑Unis est relativement fragile à l’heure actuelle, ce qui représente une autre source de préoccupations. Un ralentissement des exportations vers les États‑Unis pourrait miner les économies à l’échelle mondiale en période de prospérité, mais aussi constituer une grave menace lorsque ces dernières sont chancelantes.

Pas seulement la Chine : les caractéristiques commerciales bilatérales rendent de nombreux pays vulnérables aux menaces tarifaires

Pays Valeur des exportations vers les États‑Unis Excédent commercial bilatéral des États‑Unis PIB en
2023
Exportations des États‑Unis en % du PIB Commerce net des États‑Unis en % du PIB
Mexique 529 $ 162 $ 1 789 $ 30 % 9 %
Vietnam 116 $ 103 $ 429 $ 27 % 24 %
Canada 482 $ 41 $ 2 142 $ 22 % 2 %
Corée du Sud 132 $ 41 $ 1 712 $ 8 % 2 %
Allemagne 206 $ 87 $ 4 525 $ 5 % 2 %
Japon 187 $ 66 $ 4 204 $ 4% 2%
Chine 448 $ 252 $ 17 794 $ 3 % 1 %

Valeurs monétaires en milliards de dollars américains au 31 décembre 2023.

Sources : RBC Gestion de patrimoine, U.S. Bureau of Economic Analysis, Banque mondiale, Bloomberg.

Cela ne signifie pas que les tarifs douaniers seront sans douleur aux États‑Unis. Comme nos collègues de Services économiques RBC l’ont mentionné , les États‑Unis ne sont pas invulnérables à une guerre commerciale, même si le Canada est probablement dans une moins bonne position dans l’ensemble compte tenu des réalités commerciales et manufacturières des deux pays.

Cela soulève ce que nous considérons comme la principale préoccupation pour les actifs américains si les tarifs douaniers sont utilisés comme outil de négociation : la position des États‑Unis dans les négociations est si solide qu’elle pourrait facilement entraîner une erreur de calcul qui nuirait aux deux parties. Les États‑Unis occupent la première place en matière de croissance mondiale en dollars et, dans presque toutes les relations bilatérales, toute interruption des échanges commerciaux est plus coûteuse pour les exportateurs étrangers que pour les consommateurs américains.

Le risque, selon nous, est que les États‑Unis aillent trop loin et fassent des demandes irréalistes sur le plan politique, comme des concessions territoriales ou des changements économiquement catastrophiques en matière de commerce. Advenant que les autres pays subissent trop de pressions, les États‑Unis pourraient finir par déclencher une guerre commerciale en supposant qu’elle sera résolue rapidement et favorablement, alors qu’elle finira par traîner en longueur. Cette situation pourrait entraîner un ralentissement de la croissance économique mondiale.

Il ne s’agit pas de notre scénario de base, mais il ne faut pas non plus le rejeter du revers de la main. Nous sommes d’avis que les négociations peuvent être une grande source de malentendus, et il s’avère souvent difficile pour un pays de comprendre les réalités politiques d’une autre nation. Le risque qu’une tactique de négociation donne lieu à une guerre commerciale mutuellement délétère n’est pas seulement théorique.

Quels sont les gains à court terme par rapport aux difficultés (potentielles) à long terme?

De façon plus générale, nous croyons que la question des droits de douane reflète la tendance probable de l’administration Trump à se concentrer sur les résultats à court terme plutôt que sur les avantages à long terme. Par exemple, les administrations précédentes ont généralement évité d’utiliser les droits de douane dans le cadre de négociations non commerciales dans l’espoir de favoriser de meilleures relations bilatérales pour s’attaquer à d’autres problèmes. L’administration Trump a manifestement des priorités différentes.

Il convient de préciser qu’aucune de ces approches n’est indéniablement meilleure qu’une autre; toutes se résument à déterminer les concessions qui peuvent être négociées par rapport aux répercussions à encaisser, le cas échéant. Une bonne volonté qui est compromise pourrait amener son lot de conséquences. Tant les concessions que les répercussions ne sont connues pour l’instant, et ce qui relève de la bonne volonté pourrait rester un mystère pendant plusieurs années. Il va sans dire, selon nous, que l’approche de Donald Trump comporte probablement à la fois des risques et des avantages pour les États‑Unis; la majeure partie des gains devraient être réalisés dès le départ, tandis que les risques devraient s’accumuler au fil du temps.

Nous pouvons observer le même compromis dans d’autres secteurs également. Les exigences en matière de fonds propres des banques en sont un bon exemple. Nous pensons qu’il est très probable que les responsables nommés par Donald Trump chercheront à ralentir la mise en œuvre d’exigences plus élevées en matière de fonds propres dans le segment des banques aux États‑Unis. Toutes choses étant égales par ailleurs, le maintien de fonds propres élevés dans le segment des banques tend à ralentir la croissance économique, tout en permettant aux banques d’absorber plus facilement les pertes sur créances futures, ce qui pourrait réduire la probabilité et le coût de toute crise financière future.

Comme c’est le cas de la plupart des réglementations, il n’y a pas qu’une seule approche convenable quant à la mise en place de telles exigences. Les avis, même s’ils sont raisonnables, peuvent différer. Nous croyons toutefois qu’il est juste de dire qu’à ce sujet, comme pour la plupart des questions réglementaires, l’administration Trump cherchera à faire pencher la balance en faveur de la croissance économique à court terme, tout en réduisant l’importance d’autres objectifs réglementaires. Sur l’horizon de placement de la plupart des investisseurs, nous pensons que la politique axée sur la croissance devrait occuper le devant de la scène. Cependant, les risques d’erreurs de calcul augmenteront probablement au fil du temps.

Rebelote, ou presque

Il n’y a rien de nouveau dans l’idée que les investisseurs doivent se défaire d’étiquettes et se concentrer sur les paramètres fondamentaux. Nous tenons à soulever une nuance en ce qui a trait à la nouvelle administration, soit une plus grande volonté d’utiliser le plus vaste éventail de mesures possibles pour exercer des pressions sur les autres pays dans les négociations ainsi qu’une plus grande attention portée à la vigueur de la croissance économique à court terme. Nous croyons que les investisseurs doivent se positionner en vue de profiter d’une croissance économique mondiale soutenue dans laquelle les États‑Unis tiennent le haut du pavé, tout en restant à l’affût du risque et des valorisations. Selon nous, ces risques devraient s’accumuler au fil du temps, ce qui souligne la nécessité d’une analyse pragmatique et d’une souplesse en matière de positionnement.


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