La flambée des prix du pétrole risque-t-elle d’entraver la lutte contre l’inflation ?

Analyse
Perspectives

Nous analysons les raisons de la hausse et la façon de structurer les portefeuilles en conséquence.

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5 octobre 2023

Frédérique Carrier
Première directrice générale et chef, Stratégies
de placement - RBC Europe Limited

Malgré la récente langueur, les prix du pétrole ont augmenté d’environ 20 % depuis fin juin. Le Brent brut a dépassé la barre des 95 $ le baril à la fin de septembre.

La réduction de la production de pétrole en Arabie saoudite et en Russie est l’explication qu’on nous sert le plus souvent pour expliquer la hausse des prix. Le 5 septembre, ces deux grands joueurs de l’OPEP+ ont annoncé qu’ils prolongeraient les restrictions de l’offre d’environ 1 million de barils par jour (b/j) et de 300 000 b/j, respectivement, jusqu’à la fin de l’année. Les réductions étaient attendues, mais la durée de leur mise en application a pris les intervenants du marché par surprise.

Cela dit, il y a d’autres facteurs qui expliquent la récente hausse des prix du pétrole. La résilience de l’économie américaine, notamment, a permis à la demande de rester forte. Michael Tran, stratégiste, Marché mondial de l’énergie et intelligence numérique à RBC Capital Markets, LLC, soutient que la demande des consommateurs américains est demeurée robuste jusqu’à présent, même si « les prix à la pompe aux États‑Unis ont atteint un sommet théorique record sur une base désaisonnalisée ». Son assertion est fondée sur les travaux de son équipe, qui a suivi les visites quotidiennes dans plus de 135 000 stations-service aux États-Unis. Ces données, qui sont compilées et étudiées chaque semaine, sont présentées dans le rapport sur la stratégie axée sur l’intelligence numérique de RBC Marchés des Capitaux.

M. Tran souligne également que l’essence ne représente que 2,3 % des dépenses personnelles de consommation totales des Américains, comparativement à 3,2 % sur une base historique et selon le prix de détail ajusté en fonction de l’inflation depuis 2000. À son avis, les consommateurs qui ressentent le pincement des prix élevés du pétrole sont plus susceptibles de couper dans leurs dépenses pour d’autres produits que pour le bien essentiel qu’est l’essence, étant donné que la part des dépenses en essence est plus petite que d’habitude.

Ailleurs, la demande a aussi été plus élevée que prévu. La demande de la Chine pour le pétrole continue de se raffermir, malgré le ralentissement évident de l’économie du pays. M. Tran indique que les importations chinoises de brut ont atteint un rythme record de 11,4 millions de b/j pendant le premier semestre de 2023, qui a compté trois des quatre mois où les importations de brut ont été les plus élevées jamais enregistrées. Il estime que la sécurité énergétique demeure au cœur de la politique chinoise et que le pays cherchera à reconstituer ses stocks à l’approche de l’hiver. Nous pensons qu’une détérioration importante de l’économie représente un risque pour ce scénario.

Demande globale des trois principaux pays consommateurs de pétrole

Milliers de barils par jour

Pays 2023 2024
T1 T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4
États-Unis 20 387 21 095 20 901 20 494 20 197 20 774 20 838 20 280
Chine 15 185 15 922 15 751 16 117 16 160 16 522 16 580 17 047
Inde 5 566 5 519 5 168 5 633 5 651 5 712 5 376 5 903

Sources – RBC Marchés des Capitaux, RBC Gestion de patrimoine

Dans l’ensemble, l’évolution de la demande et la vigueur de la demande dans les régions non traditionnelles comme l’Amérique latine et les anciens États de l’Union soviétique expliquent en grande partie pourquoi l’Agence internationale de l’énergie, une agence mondiale, a révisé à la hausse la demande mondiale de pétrole de 780 000 b/j depuis le début de l’année.

À la lumière des réductions de l’offre et de la forte demande, M. Tran considère que le marché pétrolier au comptant est « le plus vigoureux en 12 mois » et prévoit que les prix du West Texas Intermediate (WTI) et du Brent resteront élevés. Mais comme les « catalyseurs de hausse précis ne sont pas entièrement prévisibles », il s’attend à ce que les prix du pétrole demeurent près de leurs niveaux actuels, soit en moyenne 86,50 $ le baril et 91,00 $ le baril pour le quatrième trimestre de 2023 et 2024, respectivement. Ces chiffres se comparent aux prix actuels de 84,40 $ et de 85,95 $, respectivement.

Prévisions des prix du pétrole

Type T4 2023 Moyenne pour l’année entière
2023 2024
WTI (au comptant/baril) 86,50 $ 79,25 $ 86,50 $
Brent (au comptant/baril) 91,00 $ 84,00 $ 90,00 $

Remarque : Les prévisions pour le T4 2023 sont une moyenne sur le trimestre.

Source – RBC Marchés des Capitaux

Incidence de la hausse des prix du pétrole sur l’inflation

De nombreux investisseurs craignent que la flambée des prix du pétrole n’entrave les efforts des banques centrales visant à contenir l’inflation, et qu’elle puisse même faire dérailler leur combat.

Nous estimons que cette préoccupation est justifiée, car la hausse continue des prix du pétrole pourrait nuire aux données sur l’inflation des prochains mois.

Cependant, les banques centrales se concentrent généralement sur les mesures de l’inflation de base, qui exclut les prix des aliments et du pétrole. Les banques centrales reconnaissent qu’elles ne peuvent pas faire grand-chose pour influencer les prix de ces deux composantes. De plus, les prix du pétrole sont particulièrement volatils et, par conséquent, peu fiables en tant que cible pour les décideurs.

Concernant l’inflation de base, sa progression est largement satisfaisante aux États-Unis, ayant reculé à 4,3 % en août. Les grèves des syndiqués de la United Auto Workers de l’industrie de l’automobile et des employés de Kaiser Permanente du secteur des soins de santé et l’incidence potentielle de ces grèves sur la hausse des salaires pourraient préoccuper davantage la Fed, surtout si ces grèves incitent les employés des autres secteurs à augmenter leurs demandes salariales.

Abstraction faite de ces pressions, l’économiste en chef de RBC Gestion mondiale d’actifs, Eric Lascelles, s’attend à ce que l’inflation dans son ensemble reprenne sa descente lorsque les prix de l’énergie se stabiliseront. Il estime que les efforts du gouvernement américain pour réduire le coût des soins de santé en proposant de négocier de façon musclée le prix de dix médicaments populaires en particulier pourraient contribuer à réduire l’inflation à long terme.

Pour l’instant, nous pensons que la Fed a atteint la fin de son cycle de relèvement de taux, bien qu’une autre hausse puisse être possible avant la fin de l’année; tout dépendra de la progression de l’inflation.

En Europe, l’augmentation des prix du pétrole se produit dans un contexte de baisse de la demande. Au-delà de ralentir la progression de l’inflation vers la cible de 2 %, les prix du pétrole élevés pourraient ébranler la confiance des consommateurs et des entreprises, qui éprouvent déjà des difficultés, et freiner leurs dépenses. Une telle conjoncture renforcerait la tendance désinflationniste actuelle, causée par la baisse de la demande.

Or, la Banque centrale européenne surveillera de près si les prix élevés du pétrole entraînent un désencrage des attentes d’inflation. Étant donné que la banque a récemment souligné que de ne pas relever les taux de façon suffisamment énergique coûte plus cher à l’économie que le contraire, elle pourrait décider qu’un relèvement de taux additionnel est nécessaire et maintenir les taux d’intérêt à ce niveau pendant encore un certain temps.

Les actions du secteur de l’énergie réagissent aux prix du pétrole élevés

Pour l’instant, l’incidence la plus directe de la hausse des prix du pétrole s’est fait sentir sur le secteur de l’énergie, qui a gagné près de 20 % en dollars américains depuis juin. Paul Danis, chef de la répartition de l’actif à RBC Brewin Dolphin, explique que les valorisations des titres énergétiques intègrent une faiblesse de la croissance à long terme à mesure que la transition énergétique progresse. Même après la récente remontée, à l’échelle mondiale, les titres du secteur se négocient actuellement à un cours inférieur de 38 % à celui de l’ensemble du marché, selon les ratios cours/bénéfice prévisionnels. Le rendement en dividende du secteur mondial de l’énergie s’établissait à 4,2 % au moment d’écrire ses lignes, ce qui est nettement supérieur au rendement de 2,6 % de l’indice MSCI Tous pays. Les actions du secteur de l’énergie peuvent constituer une bonne couverture pour les portefeuilles si les prix du pétrole poursuivent leur ascension.

Cela dit, les investisseurs doivent garder à l’esprit que l’énergie est un secteur à faible croissance et, par conséquent, à « durée courte ». M. Danis estime que, toutes choses étant égales par ailleurs, le secteur est censé se comporter relativement bien lorsque les taux des banques centrales augmentent, et vice versa. La hausse des taux obligataires au cours des trois dernières années a donc favorisé le rendement supérieur du secteur de l’énergie. Toutefois, si, comme nous le soupçonnons, les taux des obligations approchent de leur pic, leur baisse pourrait bien éliminer un des facteurs favorables au rendement. Nous estimons qu’une position dans les actions du secteur de l’énergie semblable à la pondération du marché est appropriée, car nous nous attendons à ce que le remboursement de capital aux actionnaires au moyen de versements de dividendes et de rachats d’actions se poursuive au cours des prochaines années.


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Frédérique Carrier

Première directrice générale et chef, Stratégies
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