L’imprévisibilité de la politique tarifaire se répercute sur les obligations du Trésor américain

Analyse
Perspectives

Les coûts d’emprunt du gouvernement américain sur les titres de créance à long terme ont augmenté plus rapidement que sur les titres de créance à court terme depuis l’annonce des supposés droits de douane réciproques. Nous analysons ce qui explique cet effet et discutons des raisons pour lesquelles cet écart persistera probablement.

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15 mai 2025

Par Atul Bhatia, CFA

Les investisseurs en titres du Trésor à 30 ans ne demandent pas grand-chose. Ils achètent la tranche d’une catégorie d’actifs qui est habituellement la plus volatile et qui, sur plusieurs décennies, a tendance à produire un rendement inférieur à celui des actions. Sur le plan du ratio risque/rendement, ce n’est pas une combinaison extraordinaire.

Ce qui la rend viable, c’est que certains des principaux acheteurs des obligations à long terme, comme les obligations du Trésor à 30 ans, sont des institutions étrangères, des assureurs vie et d’autres joueurs qui ont des passifs à long terme et qui veulent simplement avoir un actif qui compensera ce passif.

Pour ces investisseurs, les inconvénients des obligations à long terme ne sont pas si importants. Les règles comptables leur permettent habituellement de faire fi de la volatilité, à moins qu’il y ait une vraie probabilité de défaut, et le rendement inférieur par rapport aux actions est considéré comme acceptable, puisque ce sont des institutions qui veulent continuer d’exister encore très longtemps. Sur le plan empirique et théorique, il pourrait y avoir de meilleures options de rendement que les obligations à 30 ans, mais lorsque l’enjeu est la survie de l’institution d’investissement, le remboursement du capital prime sur le rendement du capital.

Compte tenu de la grande importance accordée à la stabilité, la difficulté d’apporter des changements majeurs aux politiques du système gouvernemental américain a toujours joué en faveur de l’obligation à long terme. Il y a deux chambres au Congrès, plus la Maison-Blanche, et les tribunaux, et n’importe laquelle de ces instances peut ralentir ou renverser les grands changements – cela fait beaucoup de monde à rallier ou à poursuivre. C’est ce qui tend à rendre la politique fédérale quelque peu stable. Des changements majeurs aux transferts de droit ou aux soins de santé nécessiteraient des batailles éprouvantes au Congrès, suivies de nombreuses années, voire d’une décennie de contestations judiciaires. Le processus est lent, prévisible et donne le temps aux investisseurs d’adapter leurs portefeuilles.

L’un des aspects frappants entourant les droits de douane de l’administration Trump est l’ampleur de ce qui a été accompli sans l’intervention du Congrès. Les pouvoirs légaux actuels, y compris les pouvoirs économiques d’urgence, ont permis au président d’essentiellement suspendre les échanges commerciaux avec la Chine, l’un des plus importants partenaires commerciaux des États-Unis, et d’utiliser les taxes pour orienter les décisions d’investissement des entreprises privées, tout en transformant potentiellement la façon dont le gouvernement américain se finance. Tout cela, avec une majorité très mince au Congrès.

Selon nous, ce ne sont pas nécessairement les politiques qui sont préoccupantes – après tout, elles ont été de relativement courte durée. C’est plutôt le degré d’autorité qui a été cédé au président et ce qui peut être accompli par un seul individu. Nous croyons que la question que les investisseurs en obligations à long terme doivent se poser est de savoir dans quelle mesure ils peuvent prévoir l’évolution de la politique américaine, surtout sept élections à l’avance.

Pour ceux et celles qui pensaient qu’ils auraient de longues années pour se préparer à tout changement économique important et que le Congrès tenait les cordons de la bourse, les derniers mois ont probablement été révélateurs quant à ce qui est possible selon l’interprétation actuelle du cadre juridique américain.

Trop de travail pour trop peu de salaire

Même si nous soutenons – résolument – que le risque de défaillance des obligations du Trésor américain est extraordinairement faible et qu’il le restera sûrement, les investisseurs en obligations à long terme devraient s’inquiéter des autres possibles changements de politiques qui n’impliquent pas la défaillance. Taxer les détenteurs étrangers d’obligations du gouvernement américain en est un exemple évident. La politique de change en est un autre.

Les détenteurs d’obligations étrangers pourraient décider de s’atteler à la tâche et d’analyser les pouvoirs d’urgence présidentiels dans le détail, de décomposer les tendances démographiques et de vote au sein du collège électoral et d’évaluer les conséquences des possibles changements de politiques pour les trois prochaines décennies. Mais c’est beaucoup de travail pour le faible avantage de rendement relatif qu’offre l’obligation à long terme. De plus, nous nous demandons si les investisseurs étrangers en particulier continueront de privilégier les obligations à long terme américaines par rapport aux obligations à long terme de leur propre pays.

Il convient de préciser que les taux de rendement des obligations du Trésor à 30 ans ont été plus élevés en termes absolus et relatifs dans le passé; nous ne suggérons pas que les obligations à long terme se dissocieront complètement de la courbe des taux. Ce n’est pas le scénario que nous envisageons.

Nous croyons plutôt que les investisseurs devraient se préparer à des primes de risque élevées et soutenues pour les titres de créance à long terme et qu’ils ne devraient pas nécessairement s’attendre à ce que les prix des obligations à long terme réagissent aussi vigoureusement et positivement aux ralentissements économiques qu’ils l’ont fait dans les cycles économiques précédents.

La désorientation du dollar

L’avenir du dollar américain est, selon nous, un autre bâton dans les roues des obligations à long terme. Bien que la plupart des détenteurs d’obligations couvrent leur risque de change, cette couverture peut être chère; une devise présentant de bonnes perspectives peut rendre les titres de créance à long terme plus attrayants.

Cependant, à notre avis, le dollar représente un autre actif qui devra s’adapter aux nouvelles réalités. Que l’on remonte au moment où le dollar a abandonné l’étalon-or, où la Chine s’est jointe à l’Organisation mondiale du commerce ou à un moment entre les deux, le dollar est la monnaie de négociation mondiale depuis des décennies. Cette dépendance envers le dollar américain découle en partie de la disponibilité de la monnaie, laquelle disponibilité est alimentée par les déficits commerciaux persistants. C’est en exportant aux États-Unis plus qu’ils n’importent des États-Unis que les investisseurs étrangers acquièrent des dollars.

Ce qui nous semble clair, c’est que l’ordre commercial actuel, soit que les consommateurs américains achètent la quasi-totalité de la production mondiale excédentaire, est en déroute. Cette constatation est une priorité politique pour les dirigeants américains. De plus, les politiciens étrangers sont maintenant forcés de reconnaître les risques associés au fait que leur stabilité économique dépend de la volonté des États-Unis à maintenir les échanges commerciaux. Dans un monde où les échanges commerciaux seraient plus équilibrés, nous pensons que les investisseurs mondiaux auraient moins envie de recourir au dollar comme véhicule d’épargne et qu’ils auraient moins accès à cette devise. Il en résulterait un autre obstacle pour les titres de créance à long terme américains.

En un mot

Les investisseurs dans la plupart des types de titres de créance à long terme, comme les obligations municipales américaines et les obligations de sociétés multinationales, obtiennent habituellement un rendement élevé en échange de l’échéance éloignée. En comparaison, les obligations du Trésor ont été une anomalie, surtout dernièrement, car elles offrent aux investisseurs à très long terme à peu près le même rendement qu’un prêt à un jour. À la lumière des répercussions des récents changements de politiques, nous pensons que la relation atypique entre les taux de rendement et les échéances sur le marché des titres du Trésor devrait s’affaiblir.


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