Au-delà des droits de douane, que peuvent faire les États-Unis dans leur quête d’atteinte de la balance commerciale ?

Analyse
Perspectives

À long terme, il ne sera pas viable d’accumuler des dettes pour acheter des biens étrangers. Il est simple de cerner le problème, mais nous ne voyons pas d’issue facile ou rapide pour les États-Unis aux déséquilibres accumulés au cours des quatre dernières décennies.

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6 mai 2025

Par Atul Bhatia, CFA

Points importants

  • La réduction des déséquilibres commerciaux est un objectif louable, mais nous croyons que les droits de douane réciproques sont inadéquats pour y parvenir.
  • Si l’administration Trump veut une solution rapide, elle peut se tourner vers les marchés des changes, les restrictions sur la dette ou plus de taxes à l’importation, mais tous ces éléments viennent avec des coûts élevés.
  • Il est peu probable qu’une solution rapide unilatérale soit un avantage net à court terme pour les économies américaine ou mondiale.

Nous avons déjà pensé que les droits de douane étaient un moyen efficace pour les États-Unis d’exploiter les pays étrangers qui comptent sur le consommateur américain. Bref, qu’il s’agissait d’un levier de négociation.

Même si nous estimons que le gouvernement Trump doit finir par adopter cette approche, nous ne croyons pas que les droits de douane dits réciproques annoncés par Donald Trump puissent raisonnablement être envisagés sous cet angle. Le nombre de pays, l’absence d’intérêts stratégiques des États-Unis dans certains pays où les droits de douane sont très élevés et les moyens de calculer le niveau de ces droits indiquent tous que les objectifs de la Maison-Blanche étaient beaucoup plus larges : une profonde restructuration de la production et du commerce mondiaux visant à éliminer ou à réduire nettement le déficit commercial des États-Unis.

La question à cent points est de savoir si cet objectif existe toujours. L’opinion consensuelle – qui, selon nous, est fondée – veut que le gouvernement prolonge indéfiniment (au-delà de 90 jours) le report de la plupart de ses droits de douane applicables à chaque pays. L’interprétation rassurante est que le gouvernement renonce également à son désir de transformer les liens économiques mondiaux.

À notre avis, la perspective plus inquiétante est que la Maison-Blanche compte donner suite à ses engagements publics à réduire radicalement et rapidement les déficits commerciaux des États-Unis. Si ces plans se concrétisent, nous pensons que les investisseurs devraient être prêts à faire face à une volatilité accrue des marchés et de l’économie. Tenter de corriger en quatre ans ou moins les déséquilibres créés sur quatre décennies ne se fera pas sans causer des dommages collatéraux, selon nous.

Le mauvais outil pour la bonne tâche

Il est important de préciser dès le départ que la structure des échanges mondiaux pose problème. Le fait qu’un pays s’endette pour devenir l’acheteur de dernier recours de la production de pays étrangers n’est pas viable à long terme. Peu importe comment nous le décrivons – une conséquence inévitable du rôle des États-Unis en tant que fournisseur de monnaie de réserve, l’exploitation par des pays étrangers ou la main invisible d’Adam Smith –, nous croyons qu’il existe un risque important et croissant lorsque la demande financée par la dette est l’élément qui soutient le monde.

À première vue, les droits de douane pourraient amorcer un réalignement. C’est sur le plan de la crédibilité que le bât blesse. Pour porter leurs fruits, les droits de douane doivent être en place pendant des années, voire des décennies. C’est un simple calcul mathématique. La reconstruction du secteur manufacturier américain nécessite des usines, qui prennent des années à construire. Un investisseur doit savoir aujourd’hui que les droits de douane qui rendent la production intérieure des États-Unis viable dureront assez longtemps pour générer un rendement raisonnable du capital qu’il investit. Il ne s’agit pas d’un horizon d’un ou deux trimestres.

De notre point de vue, les taxes à l’importation mises en œuvre en avril afin de ramener le secteur manufacturier aux États-Unis comportaient une lacune fondamentale. Elles ont été mises en œuvre au moyen d’un décret fondé sur une déclaration d’urgence. Sur le plan juridique, elles peuvent être annulées instantanément par les tribunaux, le Congrès ou le président. Or un investisseur ne peut raisonnablement prévoir l’attitude des pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif pendant des décennies.

Nous croyons que l’abandon des droits de douane réciproques par le gouvernement témoigne de la reconnaissance tacite que l’outil était inadéquat. À notre avis, et la plupart des prévisions publiées le confirment, le gouvernement envisage maintenant d’imposer des droits de douane pour générer des revenus et comme levier de négociation contre des pays étrangers.

Attention à ce que vous souhaitez

Toutefois, si l’objectif de l’équipe de Trump – réduire le déficit commercial et stimuler le secteur manufacturier national dans un court laps de temps – survit au changement de cap en matière de droits de douane, il est clair que sa réalisation entraînera des coûts réels :

  • Une efficience moindre : Le commerce génère des gains en laissant les économies se concentrer sur les secteurs où elles sont relativement plus efficientes – la production la plus élevée pour le moins d’intrants. Nuire à cette dynamique sera moins productif. Ce n’est pas un obstacle insurmontable – les systèmes efficients sont parmi les plus fragiles et un système robuste comporte souvent des inefficiences –, mais il faut en tenir compte.
  • Une vie moins agréable : Le statu quo aux États-Unis est un facteur positif à court terme sur le plan macroéconomique : le pays consomme davantage aujourd’hui et promet de régler la note demain. Rembourser ses dettes signifie consommer moins que ce qui serait possible. Il est peu probable que ce soit agréable ou populaire.
  • Des prix plus élevés : La main-d’œuvre coûte plus cher aux États-Unis qu’à l’étranger. Si les États-Unis commencent à fabriquer des choses ici avec une main-d’œuvre plus chère, celle-ci doit être plus productive ou les producteurs doivent majorer leurs prix. Nous estimons qu’il est presque chimérique de penser que les États-Unis peuvent réaliser les gains de productivité nécessaires pour obtenir un commerce entièrement équilibré aux prix actuels, de sorte que des prix plus élevés sont probablement l’une des conséquences de la réussite.

Bref, nous croyons qu’une balance commerciale moins déficitaire entraînerait sans doute un ralentissement de la croissance de l’économie, des bénéfices des entreprises et de la croissance potentielle, ainsi qu’une hausse des prix.

Quelle est la prochaine étape?

Si le gouvernement veut agir unilatéralement pour réduire rapidement le déficit commercial des États-Unis, nous pensons qu’il dispose de peu d’options et qu’aucune n’est avantageuse.

Devises

L’affaiblissement du dollar américain contribuerait à réduire le déficit commercial en réduisant le coût des exportations américaines à l’étranger et en augmentant le coût en dollars des biens étrangers. Cette stratégie contribue à résorber le déficit commercial pendant un certain temps, mais s’accompagne d’éléments contre-productifs.

Le problème est l’inflation. La faiblesse du dollar américain n’est qu’une autre façon de dire que les Américains perdent du pouvoir d’achat, une façon assez efficace de décrire l’inflation. La partie contre-productive de la dépréciation de la monnaie est que l’inflation a tendance à entraîner une hausse des taux d’intérêt par la Réserve fédérale américaine qui, à son tour, fait grimper la valeur du dollar.

Les banques centrales peuvent tenter des manœuvres complexes pour éviter ce résultat, mais leur feuille de route est décevante. En termes réalistes, la coopération mondiale aidant, une intervention de dépréciation du dollar américain pourrait réduire, mais non résoudre, le déficit commercial des États-Unis, sans doute pour une courte période seulement. Sans coopération, nous doutons qu’elle puisse produire ne serait-ce que ce répit temporaire.

Dette

Au bout du compte, lorsque les États-Unis achètent plus de choses qu’ils en vendent, les étrangers se retrouvent avec des dollars excédentaires qu’ils utilisent pour acheter des actifs américains, comme des obligations du Trésor. Les économistes appellent le premier phénomène le compte courant et le second, le compte de capital. Même si ces comptes doivent être équilibrés, il n’est pas toujours évident de savoir qui est aux commandes.

La Maison-Blanche souligne que la manipulation du yuan par la Chine est une cause de déséquilibres commerciaux. La Chine pourrait rétorquer que c’est l’appétit insatiable des États-Unis pour les emprunts qui empêche les pays étrangers d’importer davantage de voitures américaines – un dollar investi dans des titres du Trésor est un dollar qui ne peut servir à l’achat de biens américains. Quelle que soit l’explication que nous choisissons, il ne fait aucun doute qu’il existe un lien entre l’accès aux actifs américains et la capacité de dégager un excédent commercial persistant avec les États-Unis.

Une façon détournée de réduire les déficits commerciaux est donc de faire en sorte qu’il soit plus coûteux pour les pays étrangers d’acheter des actifs américains comme les obligations du Trésor. Autrement dit, ne pas ajouter de coûts aux biens échangés, mais en ajouter à l’excédent que les autres pays génèrent. Cela peut sembler une solution simple et pratique qui s’accélère automatiquement à mesure que les pays affichent des excédents commerciaux plus importants, mais il s’agit d’une idée horriblement mauvaise, à notre avis, dans le contexte américain.

Pour commencer, le gouvernement Trump vient de demander à la Chambre des représentants d’ajouter 5 000 milliards de dollars aux quelque 28 000 milliards de dollars que les États-Unis doivent actuellement. Il est tout simplement ridicule de dresser des obstacles pour les prêteurs.

Plus important encore, les gros marchés liquides des titres de créance représentent un énorme avantage économique et géopolitique. Pendant des décennies, le Royaume-Uni a joué dans la cour des grands pour ce qui concerne l’équilibre des pouvoirs européen, en raison de la domination de la City de Londres en matière de finance, qui a fourni au pays la capacité à accroître le financement militaire rapidement et à bon marché. Les États-Unis profitent actuellement d’un avantage semblable, qu’il serait illogique de céder, à notre avis.

Enfin, l’arsenalisation de la dette franchirait une limite et risquerait d’ouvrir la porte à des ventes en représailles de la part des créanciers existants. Lorsqu’une économie repose sur l’emprunt, la politique de l’épreuve de force sur les obligations est risquée tant pour les créanciers que pour les débiteurs.

Réimposition des droits de douane

Officiellement, les États-Unis n’ont pas abandonné les droits de douane comme moyen de réduire le déficit commercial – bien au contraire, les déclarations et les mesures du gouvernement sont conformes au principe que la balance commerciale demeure au cœur de sa stratégie tarifaire.

Une approche musclée des droits de douane peut prendre de nombreuses formes. Des positions de négociation extrêmement dures, par exemple. Ou le recours généralisé aux droits de douane sectoriels plutôt qu’aux droits de douane spécifiques à chaque pays, même s’ils sont appliqués à un niveau de 25 %. L’application plus large et la grande difficulté de les éviter peuvent rendre les droits de douane sectoriels plus douloureux. Enfin, le gouvernement pourrait laisser de grandes portions des droits de douane réciproques reprendre après l’expiration de la pause actuelle. N’importe laquelle de ces techniques, à elle seule ou en combinaison, mènerait probablement à un comportement d’anxiété semblable à celui qui a provoqué la pause des droits de douane. Par conséquent, nous croyons que la probabilité d’une relance des droits de douane est faible, mais qu’elle ne devrait pas être écartée.

Objectifs finaux, objectifs propres et objectifs communs

Le thème récurrent de ces approches est qu’elles sont susceptibles d’être à la fois inefficaces et coûteuses.

Même si nous estimons qu’il est souhaitable qu’un gouvernement laisse sa marque au moyen de mesures rapides et percutantes, nous croyons que les conséquences économiques et boursières du retrait d’un de ces leviers seront probablement spectaculaires et négatives.

En définitive, nous croyons que la balance commerciale ne peut être anéantie par un seul pays et certainement pas par une seule personne. Des questions fondamentales se posent quant au moment, au partage du fardeau et à l’équilibre international des pouvoirs. À son meilleur, la tentative du gouvernement de s’attaquer aux déséquilibres commerciaux par l’imposition de droits de douane pourrait déclencher le type de dialogue multilatéral à long terme nécessaire pour établir un consensus national et international sur la réforme du commerce. Toutefois, à son pire, une approche solitaire risque d’être riche en défis pour les marchés et les économies.


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