Les investisseurs doivent prendre garde aux effets des changements climatiques sur l’activité économique et les rendements des placements. Ces effets ne sont pas entièrement négatifs, car les changements climatiques ouvrent la porte à de nouvelles possibilités.
Frédérique Carrier Première directrice générale et chef, Stratégies de placement - RBC Europe Limited
Les changements climatiques bouleversent de plus en plus de gens et prennent la forme d’événements météorologiques extrêmes et de plus en plus fréquents, comme des tempêtes, des inondations ou des sécheresses catastrophiques. Par exemple, en 2015, en 2016 et en 2017, la ville de Houston (Texas) a subi trois inondations dévastatrices d’une ampleur qui ne s’observe en moyenne qu’une fois en 500 ans.
En 2018, 415 gestionnaires d’actifs, dont l’actif sous gestion totalisait 32 000 G$, ont signé une lettre ouverte pour exhorter les gouvernements à intensifier les mesures prises en réaction aux changements climatiques, qui mettent leurs actifs en danger selon eux.
Dans le Global Risks Report 2019, le Forum économique mondial (FEM) a souligné que les changements climatiques, qui se classaient déjà parmi les enjeux les plus urgents en 2018, venaient de gravir un échelon. Selon un sondage auprès des intervenants du FEM (compagnies d’assurance et de réassurance, banques, groupes de consultation de secteurs d’activité), les trois plus grands risques à l’échelle mondiale sont tous liés aux changements climatiques.
Les changements climatiques, qui se classaient déjà parmi les risques les plus importants en 2018, viennent de gravir un échelon.
Nota : Les flèches vertes indiquent les risques liés aux changements climatiques.
Sources : Global Risks Report 2018 et 2019 du Forum économique mondial
Les conséquences des changements climatiques varient d’un pays et d’un secteur à l’autre. Eric Lascelles, économiste en chef à RBC Gestion mondiale d’actifs, cite des études selon lesquelles ce sont les pays chauds qui seront les plus durement touchés et que les effets sur certains pays froids seront peut-être moins importants. La région la plus vulnérable serait l’Asie, tout particulièrement la Chine, dont la population côtière (près de 150 millions de personnes) est menacée par l’élévation du niveau de la mer, causée par la fonte plus rapide que prévu des calottes polaires.
Les investisseurs de l’hémisphère Nord ne devraient pas relâcher leur vigilance pour autant. Les changements climatiques peuvent faire augmenter les coûts des entreprises, que ce soit de façon concrète ou non.
Par exemple, les chaleurs extrêmes peuvent non seulement réduire les rendements de culture, ce qui augmenterait le coût des matières premières pour les sociétés alimentaires et les ménages, mais aussi provoquer une flambée des prix de l’électricité et, par extension, des coûts énergétiques. Elles peuvent également nuire à la productivité de la main-d’oeuvre dans une foule de secteurs d’activité, allant de l’agriculture jusqu’aux centres d’appels en passant par la construction. La chaleur et l’humidité accablantes peuvent également perturber le bon fonctionnement des centres de données.
La montée du niveau de la mer peut nuire aux infrastructures pétrolières et gazières en mer, provoquer des inondations et perturber les chaînes d’approvisionnement mondiales « juste à temps », qui sont de plus en plus intégrées. Quant au réchauffement des eaux, il peut nuire à l’aquaculture et au fonctionnement des centrales électriques dont les réacteurs sont refroidis à l’eau.
Les sécheresses peuvent elles aussi provoquer des dégâts. Au second semestre de 2018, le Rhin, une importante voie maritime pour le transport de produits industriels en Allemagne, avait atteint son niveau le plus bas en 12 ans, de sorte que les barges ne pouvaient plus être remplies au maximum de leur capacité. L’une des sociétés touchées, le fabricant de produits chimiques allemand BASF, a dû se tourner vers d’autres modes de transport plus coûteux et débourser 250 M$ supplémentaires.
Les entreprises ne sont pas les seules à s’inquiéter. Les banques centrales étudient pour leur part les effets des changements climatiques sur leurs politiques monétaires. Les événements météorologiques extrêmes peuvent nuire à la croissance et propulser l’inflation, ce qui fausse leur interprétation des tendances économiques sous-jacentes. Dans l’exemple ci-dessus, la baisse du niveau du Rhin a provoqué à la fois une diminution de la croissance économique et une hausse de l’inflation en raison des pénuries de carburant.
Aux États-Unis, la faiblesse persistante du PIB du premier trimestre pendant de nombreuses années s’explique en partie par des facteurs météorologiques, qui pourraient cependant occulter un véritable ralentissement. Le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney, a même proposé que les simulations de crise des banques tiennent compte des effets éventuels des changements climatiques.
Pour sa part, M. Lascelles estime qu’à long terme, ces changements pourraient réduire la production économique en raison d’une mauvaise combinaison de conditions climatiques défavorables à l’activité économique et des coûts d’adaptation au nouveau climat (coûts d’assurance, risques de responsabilité).
Alors que la quantité de dioxyde de carbone rejeté dans l’atmosphère continue d’augmenter, les coûts du réchauffement de la planète sur l’économie mondiale ne sont toujours pas déterminés. M. Lascelles cite un rapport de William Nordhaus, économiste américain et lauréat d’un prix Nobel, qui estime que ces coûts augmenteront de manière exponentielle. Une augmentation de deux degrés Celsius par rapport à l’ère préindustrielle ferait chuter la production mondiale de 1 % d’ici la fin du siècle. Si le réchauffement doublait pour atteindre quatre degrés Celsius, la perte de production serait beaucoup plus lourde : elle quadruplerait pour passer à 4 % du PIB mondial.
Les dommages provoqués par les changements climatiques ne seront pas linéaires.
Nota : Hausse de la température par rapport aux niveaux de l’ère préindustrielle (période de 1850 à 1900)
Sources : GIEC, Changements climatiques 2014 – Rapport de synthèse ; W.D. Nordhaus et A. Moffat (2017) « A Survey of Global Impacts of Climate Change: Replication, Survey Methods, and a Statistical Analysis » ; RBC Gestion mondiale d’actifs
Les dégâts seraient aussi graduels qu’insidieux, selon M. Lascelles, car la croissance de l’économie mondiale reculerait d’à peine quelques points de base par année. Répartis sur des dizaines d’années, ces coûts pourraient toutefois devenir très lourds.
Par crainte de mettre leurs faiblesses ou leur responsabilité en évidence, peu de sociétés parlent ouvertement des effets potentiels des changements climatiques sur leurs infrastructures ou gèrent activement les risques liés au climat. L’accent sur les résultats trimestriels immédiats pousse certains chefs de direction à se concentrer plutôt sur des facteurs apparemment plus pressants, concrets, prévisibles ou faciles à gérer, comme les conséquences de l’augmentation des salaires ou l’intensification de la concurrence. Selon S&P Global, seulement 15 % des sociétés de l’indice S&P 500 divulguent les effets des événements météorologiques sur leurs bénéfices.
De nombreuses équipes de direction croient que les préparatifs aux changements climatiques peuvent nuire à la compétitivité de leur entreprise. Par exemple, lorsqu’une entreprise augmente la marge de manoeuvre ou assure la redondance de sa chaîne d’approvisionnement en cas d’inondation, elle doit puiser dans sa trésorerie ou réduire ses marges. Sa compétitivité peut donc être amoindrie si les autres entreprises ne font pas de même, soit par choix ou parce que leur région est épargnée par ces risques climatiques.
Malgré la réticence des entreprises à reconnaître publiquement les difficultés en ce sens, nous croyons que les investisseurs peuvent et devraient tenir compte des effets des changements climatiques sur leurs rendements. Mercer, une société de services-conseils aux investisseurs institutionnels, croit que les actions dont le rendement pâtira le plus dans le pire des scénarios, soit une augmentation de quatre degrés, seront celles liées à l’agriculture, aux terres d’exploitation forestière et à l’immobilier ainsi que celles des marchés émergents.
Dans le monde du placement, il est généralement admis que les investisseurs pourraient commencer à délaisser les sociétés qui seraient exposées aux effets négatifs des changements climatiques, par crainte de voir ces risques se matérialiser. Un exemple extrême de cette situation est la société américaine de services publics PG&E. Mise en cause dans les feux de forêt massifs qui ont ravagé la Californie en 2018 et qui se sont intensifiés à cause de la sécheresse croissante des terrains, PG&E a dû assumer d’importantes obligations juridiques qui dépassaient de loin son montant assuré. À la suite de la décote de ses titres de créance, la société n’arrivait plus à obtenir du crédit ; devenue la cible des vendeurs à découvert, elle a été forcée de se placer sous la protection de la loi sur les faillites.
Lascelles croit que les investisseurs pourraient commencer à vendre activement des titres des sociétés ou des régions les plus durement touchées par les changements climatiques.
Au début de 2018, les fonds ESG (qui tiennent compte de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance) représentaient une part croissante et substantielle de 26 % de l’ensemble des actifs gérés par des professionnels aux États-Unis selon l’organisme US SIF : The Forum for Sustainable and Responsible Investment. Les gestionnaires de ces fonds écartent toute société qui ne résiste pas à leur examen.
Certaines d’entre elles pourraient même voir leurs coûts d’emprunt augmenter. Les agences de notation ont d’ailleurs commencé à intégrer les risques liés au climat à leurs évaluations. En raison de facteurs liés à l’environnement et au climat, S&P Global a modifié les notes de plus de 100 sociétés en 2017, c’est-à-dire deux fois plus qu’au cours des deux années précédentes. Aujourd’hui, Fitch et Moody’s emboîtent le pas. Les sociétés vulnérables aux changements climatiques finiront par subir une hausse de leurs coûts de financement potentiellement lourde de conséquences sur leur rentabilité.
Les personnes qui souhaitent investir dans les sociétés les mieux placées pour composer avec les changements climatiques peuvent opter pour les fonds ESG. Leurs gestionnaires examinent minutieusement les titres en portefeuille pour réduire ces risques au minimum. Par ailleurs, les changements climatiques peuvent offrir aux secteurs naissants et aux sociétés novatrices des occasions de concevoir des produits et des stratégies pour réparer ou atténuer les dégâts environnementaux qui en découlent.
Si les énergies renouvelables et les véhicules électriques viennent immédiatement à l’esprit, il existe en fait une foule d’autres secteurs et de domaines qui devraient profiter de cette tendance. Voici quelques exemples :
Les changements climatiques transforment de plus en plus la vie des entreprises et des investisseurs. Les sociétés seront graduellement appelées à en évaluer les effets sur leurs activités commerciales. Déjà, les banques centrales et les agences de notation tiennent compte des conséquences potentielles des changements climatiques. Les investisseurs devraient en faire autant et adapter leurs portefeuilles en fonction des défis, mais aussi des occasions que suscitent les changements climatiques. Les rendements de leurs placements dans les entreprises et les régions les plus touchées pourraient pâtir de ces bouleversements. Il convient de rechercher les sociétés qui veulent régler, surveiller ou éviter les dégâts environnementaux, qui font le nécessaire pour se préparer aux changements climatiques et qui, par le fait même, sont susceptibles d’attirer des investisseurs.
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