Ce que cachent les nénuphars de Monet

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En discussion avec Ross King, lauréat du prix Taylor RBC 2017 pour une œuvre non romanesque, alors qu’il réfléchit à l’avenir des textes non romanesques et au rôle du mécénat dans les arts.

Il y a quelques semaines, Ross King, lauréat du prix Taylor RBC 2017 pour une œuvre non romanesque, a entendu pour la énième fois la question qu’il se fait toujours poser lorsqu’il met à profit ses talents d’historien de l’art en guidant des touristes vers les mosaïques colorées qui ornent la ville de Ravenne, en Italie. La voici : qui a payé pour cela ? « Les gens me posent toujours la question et je suis heureux de leur répondre que les mosaïques ont été payées par un gestionnaire de fonds. C’est en effet un banquier qui a payé les mosaïques de la basilique en 540, dit-il d’un ton moqueur. Sans ces personnes, ces œuvres d’art n’existeraient pas. Je crois qu’elles sont d’une importance vitale. »

King a reçu un prix de 25 000 $ pour Mad Enchantment: Claude Monet and the Painting of the Water Lilies, une analyse de la relation tumultueuse qu’entretenait le peintre impressionniste français avec sa famille et de son travail à la fin de sa vie, alors qu’il était atteint de cataracte. Monet a eu la chance d’obtenir du succès de son vivant en vendant ses œuvres, indique M. King. Les sujets de certaines de ses autres œuvres non romanesques, dont Leonardo and the Last Supper (2011) et Michelangelo and the Pope’s Ceiling (2002), ont toutefois dû compter sur le mécénat tout au long de leur carrière pour survivre.

L’auteur de sept œuvres non romanesques et de deux ouvrages de fiction nous fait part de ses impressions sur sa victoire du prix Taylor RBC, une distinction prestigieuse, sur l’importance des textes non romanesques dans le contexte actuel et sur le rôle que joue le mécénat dans l’épanouissement des arts.

Bravo ! Après quatre nominations au prix Taylor RBC, vous l’avez finalement remporté. Comment vous sentez-vous après avoir gagné le prix Taylor RBC pour une œuvre non romanesque ?

C’est du déjà vu sur plusieurs aspects, mais en même temps c’est tout nouveau dans de nombreux autres. Je n’étais jamais monté sur scène pour faire un discours. J’avais, par le passé, gagné des prix où l’on vous l’annonce au téléphone : vous êtes donc déjà au courant. Je n’avais toutefois jamais vécu un moment digne des Oscars, où vous vous levez de votre siège quand l’on vous nomme et où vous allez sur scène. Ce fut une expérience inédite pour moi, mais qui s’est, bien sûr, aussi révélée merveilleuse.

Vous n’avez pas toujours été auteur d’œuvres non romanesques. De fait, vos deux premiers livres étaient des ouvrages de fiction. Qu’est-ce qui vous a fait changer de genre littéraire ?

En 1995, l’année de parution de mon premier roman, les œuvres non romanesques n’étaient pas le style de livre qui trônait au haut de la liste des meilleurs vendeurs ou qui remportaient des prix connus. Succès de librairie, le livre Longitude de Dava Sobel, qui porte sur l’inventeur de la première montre marine donnant l’heure avec précision, a été publié la même année. Je me rappelle être allé dans une librairie et d’avoir vu que le livre qui se vendait le plus en Grande-Bretagne n’était pas un roman, mais bien une œuvre non romanesque. Cela m’a grandement étonné. J’ai ensuite commencé à me dire qu’il y avait peut-être un marché pour de bonnes histoires bien ficelées qui n’étaient pas de la fiction. Cela remonte toutefois à une vingtaine d’années. Le contexte est aujourd’hui beaucoup plus favorable aux auteurs de textes non romanesques, notamment en raison de la visibilité que leur offrent des récompenses comme le prix Taylor RBC.

Comment voyez-vous l’avenir des œuvres non romanesques comme genre littéraire, ainsi que leur rôle dans la société ?

Nous avons besoin de bons journalistes et de personnes qui écrivent sur l’actualité pour produire des textes non romanesques organisés, vérifiés, rigoureux et publiés, surtout dans le contexte de fausses nouvelles actuel, où les gens invertissent les choses en disant que ce qui est vrai est faux et que ce qui est faux est vrai. Le nombre de personnes qui effectuent ce type de travail journalistique est plus élevé que jamais. De plus, l’avenir des œuvres non romanesques est sans doute assuré, les êtres humains aimant les histoires car c’est leur façon de comprendre le monde. De nos jours, je crois que les textes non romanesques servent cette fin aussi bien que les œuvres romanesques.

Il semble que la rédaction de textes non romanesques exige le maintien d’une certaine distance entre votre sujet et vous. Durant l’écriture du livre Mad Enchantment, comment êtes-vous parvenu à séparer vos émotions de celles de Claude Monet?

Je m’identifie toujours beaucoup aux personnes sur qui j’écris et je les aime aussi, pour la plupart. Avec Monet, la situation était toutefois légèrement différente. J’ai dépeint la vie à un plus jeune âge de toutes les autres personnes sur lesquelles j’ai écrit : j’ai analysé le vécu de Léonard de Vinci et de Michel-Ange alors qu’ils étaient respectivement dans la quarantaine et dans la trentaine. Dans le cas de Monet, j’ai toutefois dû écrire sur les années précédant son décès. Ce fut une expérience très touchante.

Monet a vécu quelques années extrêmement difficiles durant la guerre ; il a souffert de pénuries, de l’absence de sa famille et de la pression d’être le dernier impressionniste. D’une certaine façon, je me suis senti coupable de savoir à quel point il n’était pas heureux. Il écrivait des lettres pour se plaindre de sa situation. Toutefois, mon cœur cessait presque de battre quand je lisais ces missives car je savais qu’elles pourraient figurer dans le livre. L’expérience est difficile, mais aussi vraiment enrichissante, car c’est ce genre d’histoires que vous voulez raconter.

Vous avez affirmé que Monet était l’un des rares à ne pas avoir eu à compter sur le mécénat artistique pour survivre. Quel rôle jouent des récompenses comme le prix Taylor RBC dans le soutien aux arts ?

Les artistes ont besoin de spectateurs et les auteurs, de lecteurs. Cela n’est pas toujours suffisant : vous avez parfois besoin de l’aide de quelqu’un d’autre. Les commandites d’entreprise dans le domaine des arts font partie de cette grande tradition de mécénat artistique née en Italie au 15e siècle. La Renaissance italienne n’aurait pas eu lieu à Florence au 15 e siècle si ce n’avait pas été de l’équivalent local de RBC, soit la banque des Médicis. Il s’agit non seulement des Médicis, mais aussi de toutes sortes de banques et de marchands qui ont financé les artistes et les auteurs à l’origine de la Renaissance. Ce sont majoritairement eux qui ont tiré les chèques remis à Brunelleschi, à Donatello et, plus tard, à Michel-Ange. À quoi bon être un artiste de génie si vous ne pouvez pas vous payer le marbre ou le bronze nécessaire à la réalisation d’une statue ?

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