Foire aux questions avec Rosemary Sullivan, lauréate du prix Taylor RBC 2016

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Le chaos de la guerre en Europe se retrouve également dans les pages de Stalin’s Daughter: The Extraordinary and Tumultuous Life of Svetlana Alliluyeva, écrit par la biographe de longue date Rosemary Sullivan. L’auteure a été amenée à écrire sur le sujet après avoir lu, en 2011, une notice nécrologique rédigée pour Svetlana Alliluyeva, le plus jeune enfant et la seule fille du premier ministre soviétique, Joseph Staline.

Née et élevée au sein du siège du pouvoir soviétique, Svetlana Alliluyeva a fait défection aux États-Unis, laissant ses enfants derrière elle. Elle est retournée à Moscou en 1984, mais est vite revenue vivre aux États-Unis sous le nom de Lana Peters.

Nous avons demandé à Mme Sullivan ce qui l’avait motivée à écrire Stalin’s Daughter et ce que cela représente pour elle d’avoir remporté le prix Taylor RBC 2016.

Qu’est-ce que cela représente pour vous de recevoir le prix Taylor ?

« Je pense que le prix Taylor est un prix très spécial parce qu’il a été créé il y a 15 ans, et qu’il a attiré l’attention sur la littérature non romanesque alors que, nous, les auteurs d’ouvrages non romanesques, avons toujours trouvé que ce type de littérature était ignoré. En outre, cela rend probablement mon éditeur plus réceptif à ma prochaine idée de livre. »

Quelle importance revêtent ces prix pour les écrivains ?

« J’enseigne la création littéraire et je dis toujours à mes étudiants qu’ils doivent trouver autre chose pour faire de l’argent, parce qu’il n’est pas payant d’être écrivain. C’est pourquoi ces prix sont merveilleux du point de vue financier. Et, en même temps, ils incitent un plus grand nombre de lecteurs à lire les ouvrages canadiens. Mais ce serait une erreur d’écrire uniquement en vue de gagner un de ces prix. La passion doit transparaître dans ce que l’on écrit. Et, pour être franche, rien n’a été plus passionnant pour moi que de suivre l’histoire de la fille de Staline. Sa vie est tellement tragique, mais il y a une sorte de triomphe dans sa survie. »

Quelle a été la portée de sa défection aux États-Unis en 1967 ? (à l’ambassade des États-Unis à New Delhi)

« Elle n’aurait pas pu être plus grande. Les Britanniques – j’ai consulté le dossier des services secrets britanniques à son sujet – ils ne pouvaient pas croire que la fille de Staline avait fait défection. Les Américains, tenants de la guerre froide ont ainsi reçu un cadeau inespéré, parce que l’enfant de Staline avait laissé entendre que « ce système ne fonctionne pas ».

Et pourtant, cela a failli ne pas arriver.

« Selon la CIA, lorsque Svetlana s’est présentée à l’ambassade américaine en disant « Je suis la fille de Staline »… personne ne l’a crue.

Lorsque les employés de l’ambassade ont envoyé un télex à Washington, la CIA, le FBI et le département d’État n’avaient aucun dossier sur elle. Ils ne savaient même pas que Staline avait une fille. Pendant qu’ils étaient dans les airs, le sous-secrétaire d’État a envoyé un télex en Inde, leur disant « expulsez-la, cela ne nous concerne pas ».

Une des choses que j’ai apprises en écrivant ce livre est que les soi-disant décisions intellectuelles réfléchies prises par les personnes exerçant un pouvoir politique ne sont souvent que le fruit de leur personnalité. »

Olga, la fille de Svetlana née aux États-Unis, vous a grandement aidé à écrire ce livre. Comment s’est effectuée votre rencontre ?

« Lorsqu’on écrit une biographie, étant donné qu’on utilise des documents, on doit obtenir la permission de le faire. J’ai dû obtenir la permission d’utiliser chacune des 63 photographies du livre, et la permission d’y inclure toute citation que j’ai reproduite. Alors, j’ai commencé par chercher l’exécuteur littéraire de Svetlana, et j’ai réalisé que ce devait être sa fille américaine.
Alors, j’ai pris un vol pour Portland, puis, avec une certaine appréhension, je suis allée à sa rencontre, me disant « Je suis sur le point de rencontrer la petite-fille de Staline ». Mais nous avons immédiatement tissé des liens.
Si elle m’avait dit non, je ne pense pas que je serais allée de l’avant avec ce livre. »

Était-il possible que Svetlana mène une vie heureuse, ou son destin était-il déjà scellé à sa naissance ?

« Son destin était scellé à sa naissance. Comme elle l’a dit, elle n’a jamais pu échapper à l’ombre du nom de son père. C’était ce qui la définissait aux yeux des gens. Et c’est vrai. Lorsque vous rencontriez Svetlana, que vous sympathisiez avec elle ou pas, vous étiez tout de même en présence de la fille de Staline.
Elle n’a jamais pu échapper à cette projection. »

En quoi ressemblait-elle à son père ? Avait-elle une petite part de dictateur en elle ?

« Elle pouvait, j’imagine, se comporter comme un dictateur sur le plan émotif. Elle était en quelque sorte égocentrique, et était par conséquent très exigeante.

D’après son neveu, elle avait en commun avec son père son intelligence et sa volonté, mais pas sa malveillance. Voilà qui change notre façon de voir Staline. Staline n’était pas juste un monstre, il était beaucoup plus complexe que cela. Son intelligence cynique lui a permis de demeurer pendant 25 ans à la tête d’un groupe de dirigeants qui se sont entretués à qui mieux mieux. Personne n’a réussi à ébranler Staline. Un écrivain yougoslave a dit qu’il y avait cinq Staline. Il pouvait être tout ce que les autres voulaient qu’il soit, et c’était la façon dont il trompait les autres. »

L’un des thèmes communs aux œuvres des finalistes pour le prix Taylor est le pouvoir de rédemption des enfants. Était-ce là la clé pour Svetlana ainsi que pour sa fille née aux États-Unis ?

« Oui, je pense que sans ce lien affectif, elle aurait été trop seule au monde. Nous avons tous besoin d’avoir quelque chose de la sorte. Je pense que son amour pour sa fille, qui a persisté, lui a servi d’ancrage. »

Qu’espérez-vous que les gens retireront de ce livre ?

« Je suppose que c’est l’idée qu’elle a souffert d’un cliché, et qu’elle s’est révélée être une femme beaucoup plus nuancée que cela. Vous m’avez demandé quelles sont les qualités de Staline dont elle a hérité. Elle avait la même colère. Elle a ressenti de la colère pendant la majeure partie de sa vie à propos des fausses perceptions à son sujet. Alors, s’il y a une chose à retenir, c’est de ne jamais laisser nos idées préconçues dicter nos relations avec les gens.

Et aussi de simplement apprécier cette histoire typiquement russe, parce que la période soviétique, à tout le moins pendant une long moment, a semblé être une simple parenthèse. Elle s’inscrit dans la longue et fascinante histoire de la Russie. Et, à Moscou, on célèbre à chaque coin de rue un écrivain ou un scientifique. La culture russe est tellement riche. Mais la vérité, c’est que nous semblons maintenant revenir à certaines des stratégies de la période stalinienne, plus particulièrement au culte de la personnalité et à l’idée que la Russie a besoin d’un homme fort. Alors, peut-être que l’histoire de Svetlana peut aussi servir d’avertissement. »

Que pensez-vous de l’état de la littérature non romanesque canadienne à l’heure actuelle ?

« Je pense que la force de la littérature canadienne est manifeste depuis déjà un bon moment. Au départ, dans les années 1960, il y avait Margaret Atwood et cinq petites presses.
Ce qui me préoccupe, c’est dans quelle mesure le monde de l’édition est encore solide. Nous avons de bons écrivains et nous devons maintenant veiller à protéger les institutions qui les soutiennent. »


Le texte de cette entrevue a été modifié et condensé.

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