La reprise durable des actions en proie à des obstacles grandissants

Analyse
Perspectives

Délaissant leurs creux de 2022, les marchés boursiers sont repartis à la hausse plus longtemps que prévu. Le temps est-il venu d’envisager de restructurer les portefeuilles d’actions ?

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2 août 2023

Jim Allworth
Stratégiste, Portefeuilles
RBC Dominion valeurs mobilières

  • La reprise des marchés boursiers après les creux du début de l’automne dernier s’est poursuivie plus loin et plus longtemps que prévu. Le rendement supérieur des titres de sociétés américaines à grande capitalisation a été principalement alimenté par une poignée d’actions de sociétés technologiques et connexes, dont la pondération excessive dans l’indice de référence a forcé de nombreux gestionnaires de fonds à agir pour ne pas rester à la traîne.
  • La vigueur du marché boursier et des données économiques meilleures que prévu ont à nouveau fait naître des espoirs d’un « atterrissage en douceur » de l’économie américaine sans récession. On ne peut pas exclure un tel résultat favorable, mais plusieurs obstacles donnent déjà à penser que la situation deviendra plus difficile, car les effets des hausses de taux historiques de la Fed ne se répercutent pas encore pleinement sur l’économie.
  • Malgré tout, et bien que les valorisations attrayantes de l’automne dernier ne soient plus d’actualité depuis longtemps, nous croyons que cette reprise peut encore durer un certain temps. Cependant, la récession demeurant le scénario le plus probable, les investisseurs devraient adopter une approche ciblée pour la sélection des titres individuels.

La remontée des actions depuis les creux du début de l’automne 2022 s’est poursuivie jusqu’en juillet 2023, soit bien plus longtemps que ce que la plupart des investisseurs croyaient possible jusqu’à récemment. Les indices TOPIX du Japon et S&P 500 des États-Unis ont ouvert la voie. La reprise a été beaucoup plus anémique pour les sociétés à petite capitalisation américaines, ainsi que pour les indices TSX du Canada et toutes les actions FTSE du Royaume-Uni. La tendance a été tout à fait déprimante pour l’indice coréen KOSPI, que nous mentionnons ici parce qu’il est considéré dans certains milieux comme un indicateur de l’orientation future de l’économie et du marché boursier américains en raison du rôle de la Corée du Sud en tant qu’exportateur majeur de puces informatiques, de téléphones intelligents, de biens industriels et de biens de consommation durables vers les États-Unis.

La progression relativement énergique de l’indice S&P 500 est largement attribuable aux rendements très remarqués d’une poignée de sociétés technologiques à mégacapitalisation et d’actions liées à la technologie qui, ensemble, ont une pondération de plus de 25 % dans l’indice ; l’indice non pondéré offre pour sa part un tableau moins dynamique. Aucune de ces sociétés à mégacapitalisation en plein essor ne figure dans les indices les moins performants à l’extérieur des États-Unis.

Depuis le début de la présente reprise, nous avons décidé de laisser les portefeuilles d’actions investis aux niveaux recommandés pour leur répartition stratégique d’actifs à long terme. Nous avons estimé que l’essoufflement du marché, la réduction importante du ratio cours‑bénéfice (qui est passé de 22 fois les bénéfices des 12 derniers mois au point culminant du marché en janvier 2022 à seulement 16 au creux du début de l’automne) et l’attitude fortement négative des investisseurs qui prédominaient en septembre et en octobre céderaient la place à une période au cours de laquelle tous ces marqueurs s’inverseraient. Il est impossible de savoir si une reprise sera assez vigoureuse pour faire évoluer le marché vers de nouveaux sommets, mais il semble que la démarche appropriée consiste à conserver ses placements suffisamment longtemps pour le découvrir.

Le rythme mensuel d’embauche devrait atteindre un creux de plusieurs années

Nombre total des emplois dans les secteurs non agricoles aux États-Unis et pourcentage de petites entreprises qui prévoient embaucher des travailleurs

Le graphique montre la variation d’un mois à l’autre du nombre total des emplois dans les secteurs non agricoles aux États-Unis, du pourcentage de petites entreprises qui prévoient embaucher des travailleurs chaque mois de janvier 2021 à juin 2023 et du nombre des emplois dans les secteurs non agricoles prévu en juillet 2023. Ceux-ci ont augmenté d’environ 200 000 en juin 2023, ce qui représente un creux de plusieurs années. La hausse prévue en juillet 2023 est semblable. Le pourcentage de petites entreprises ayant des intentions d’embauche a diminué pour s’établir à environ 15 % en juin, après avoir progressé au cours des deux mois précédents. Leurs intentions d’embauche au cours de cette période ont culminé à 32 % en juillet 2021. Ce pourcentage est demeuré inférieur ou égal à 20 % depuis octobre 2022.

  • Variation mensuelle des emplois non agricoles aux É.‑U. (milliers, g.)
  • Petites entreprises prévoyant accroître leurs embauches (dr.)

Sources : Bureau of Labour Statistics des États-Unis, National Federation of Independent Business ; données au 31 juillet 2023

Beaucoup attribuent maintenant la longévité et la vigueur de la progression du marché boursier à la conviction croissante que l’économie américaine connaîtra un atterrissage en douceur et évitera la récession. Ce point de vue est étayé par le fait que, jusqu’à présent, l’économie continue de croître, tandis que la situation de l’emploi est presque unanimement qualifiée de « résiliente » au vu du nombre élevé (mais en baisse) d’emplois non pourvus et d’un taux de chômage très faible. Un investisseur pour qui « le marché boursier progresse parce que l’économie américaine est plus forte que prévu » dira maintenant que « la hausse du marché nous indique que l’économie américaine est sur le point de s’améliorer encore », ce qui nous semble être un raisonnement circulaire.

L’optimisme croissant à l’égard de la trajectoire économique des États-Unis est probablement l’une des raisons pour lesquelles cette reprise tient bon. Nous pensons néanmoins qu’un phénomène moins réjouissant est à l’œuvre : nous constatons que la rationalité des investisseurs est dépassée par la « peur de manquer un événement ». De nombreux investisseurs individuels ont choisi de ne pas acquérir d’actions de sociétés à très grande capitalisation qui ont fait grimper le marché, refusant de payer des multiples d’évaluation qui paraissent toujours exagérés. Comme les sept titres les plus importants de l’indice S&P 500 représentent 27 % de la capitalisation boursière de l’indice, même les gestionnaires de fonds qui investissent dans cette poignée d’actions en plein essor n’ont généralement pas des positions suffisantes pour laisser leurs portefeuilles suivre le rythme de l’indice de référence. Selon les rapports sur les fonds de couverture, bon nombre de ces fonds tactiques n’étaient pas en position, à la fin du printemps, de profiter d’un marché qui allait continuer à monter, et encore moins s’accélérer comme il l’a fait depuis la mi-mai.

À notre avis, la peur de manquer un événement important peut se nourrir d’elle-même, poussant les marchés à grimper plus longtemps et à atteindre des niveaux plus élevés que ce que l’on juge raisonnable. Les investisseurs qui vendaient ou prévoyaient vendre des actions surévaluées selon eux, mais qui ont vu leurs actions augmenter sensiblement, arrêtent de vendre. Les gestionnaires de fonds, dont la plupart perdent du terrain par rapport à leurs indices de référence, achètent en désespoir de cause.

À notre avis, cette dynamique pourrait permettre au marché américain des sociétés à grande capitalisation de poursuivre sur sa lancée pendant quelques semaines ou quelques mois encore. Au-delà du petit groupe de tête, le reste du marché, y compris les autres marchés boursiers d’économies développées, devrait lui aussi être tiré vers le haut pour un certain temps. À notre avis, toutefois, il faudra plus que la peur de manquer un événement pour que cette progression du marché s’inscrive dans la durée ; à tout le moins, les États-Unis devront éviter la récession et réaccélérer leur croissance économique.

Un atterrissage en douceur est‑il possible ?

Bien sûr que oui. Il n’y a rien de mal à espérer le meilleur scénario. Mais le planifier est une autre paire de manches, d’autant plus que la plupart des indicateurs fiables d’une récession aux États-Unis, qui donnent régulièrement des résultats justes depuis plusieurs décennies, envoient des signaux de plus en plus négatifs au sujet de la direction qu’emprunte l’économie américaine.

Indice S&P 500 contre ratio C/B

Les gains réalisés depuis septembre 2022 sont entièrement attribuables à la hausse du ratio C/B, et les bénéfices sont stables ou en baisse

Valeur de l’indice  S&P 500 et son ratio cours/bénéfice (C/B) mensuel

Le graphique montre la valeur de l’indice S&P 500 et son ratio cours/bénéfice (C/B) mensuel de septembre 2022 à juillet 2023. L’indice et le ratio C/B ont augmenté à peu près parallèlement au cours de cette période. En septembre 2022, l’indice se situait à environ 3 600 et le ratio C/B était de 17,1 fois. En juillet 2023, la valeur de l’indice était d’environ 4 600 et le multiple du ratio C/B était de 22,0 fois.

  • Indice S&P 500 (g.)
  • Ratio C/B de l’indice S&P 500 (dr.)

Sources : Thomson Reuters, Bloomberg ; données au 31 juillet 2023

Outre les signaux provenant des indicateurs macroéconomiques, il existe des obstacles identifiables à la croissance de l’économie américaine. Le premier est le resserrement croissant du crédit. Les changements de politique monétaire prennent généralement une année environ avant de se manifester dans l’économie. De ce point de vue, le premier semestre de cette année ne montre que les effets des 125 premiers points de base de hausse des taux de la Fed qui a eu lieu au cours des six premiers mois de 2022, tandis que le second semestre reflétera les 275 autres points de base accumulés entre juillet et décembre 2022. En supposant que la Fed achève son programme de resserrement avec un taux d’intérêt directeur de 5,50 %, cela signifie qu’il viendra encore s’ajouter 1,50 % au fardeau cumulé du coût d’emprunt durant les six premiers mois de l’année prochaine.

Cette hausse du coût des emprunts sera probablement répercutée sur une économie qui est décidément moins robuste que l’année dernière. Voici quelques-uns des facteurs en jeu :

  • L’épargne excédentaire aux États-Unis s’est évanouie, ou s’évanouira bientôt. (Elle demeure à des niveaux élevés dans la plupart des autres économies développées, notamment au Canada, en Chine et en Europe.) À l’apogée des efforts d’aide publique contre la pandémie au milieu de l’année 2021, de nombreux bénéficiaires ont utilisé les subventions pour augmenter l’épargne des ménages d’environ 2,2 billions de dollars de plus que ce qui aurait été capitalisé si l’économie était restée ouverte. Ces soldes ont rapidement diminué. Selon une étude réalisée par la Réserve fédérale de San Francisco, seuls 500 milliards de dollars n’ont pas été dépensés en avril de cette année, et le reste aura probablement disparu en décembre. Une autre étude, commandée par la Réserve fédérale elle-même et utilisant une méthodologie quelque peu différente, indique que cette épargne excédentaire a déjà été plus qu’entièrement utilisée à la fin du premier trimestre.
  • Les soldes de cartes de crédit augmentent. Les soldes de cartes de crédit des grandes banques ont bondi de 32 % au cours des deux années se terminant au premier trimestre. Le taux d’impayés a récemment commencé à augmenter après une baisse de plusieurs années. Les taux d’intérêt des prêts sur carte de crédit sont passés de 14 % à 21 % en un an et demi. Et les prêts automobiles ont reculé depuis l’automne dernier, en partie en raison de la forte hausse des taux d’emprunt, qui sont passés de 4,5 % à près de 8 % au cours des quinze mois terminés en mai. Les refus de demandes de prêt automobile par les prêteurs ont également bondi, passant de 2 % à 14 % sur la même période, soit le taux de refus le plus élevé depuis des années.
  • La tension financière au niveau des entreprises est anormalement élevée. Nos collègues de RBC Brewin Dolphin au Royaume-Uni ont récemment mis en lumière une note du personnel de la Fed datant de juin, selon laquelle la proportion de sociétés non financières en difficulté financière, établie à 37 %, avait atteint un niveau plus élevé que lors de la plupart des précédents épisodes de resserrement de la Fed depuis les années 1970. L’analyse révèle que, historiquement, la baisse des investissements des entreprises en difficulté a été plus importante que celle des entreprises en bonne santé en réponse aux chocs des resserrements monétaires. Et il en va de même pour l’emploi. En résumé, les auteurs de la note concluent que, avec une forte proportion d’entreprises en difficulté financière, le resserrement des politiques aura probablement des effets négatifs plus importants sur la croissance économique de ce cycle que ceux observés dans la plupart des cycles de resserrement depuis le début des années 1970. Et le secteur financier n’est pas à l’abri de ces tensions, comme en témoignent les récentes faillites de trois banques américaines, les déboires du secteur bancaire régional et la vente forcée du géant international Credit Suisse.
  • Le refinancement hypothécaire est devenu beaucoup plus problématique. Une nouvelle hypothèque américaine type de trente ans affiche maintenant un taux d’intérêt de 6,78 %, soit plus du double des 3 % qui prévalaient il y a deux ans. Naturellement, le nombre de ménages sollicitant un refinancement a chuté au cours de la même période, passant de 27 % à seulement 5 % de ceux qui ont des prêts hypothécaires en cours. Mais, sur un nombre bien moindre de ménages demandant un refinancement, 21 % ont vu leur demande rejetée en juin.
  • Les marges bénéficiaires sont de plus en plus ténues. Les revenus totaux de toutes les entreprises américaines de fabrication et de distribution ont reculé d’environ 2,5 % depuis juin dernier, tandis que les données de l’indice des coûts de l’emploi montrent que la rémunération des travailleurs a augmenté de plus de 5 %. De récents accords salariaux de grande envergure laissent présager que les fortes hausses des coûts de main-d’œuvre des entreprises ne disparaîtront pas de sitôt. Avec la baisse de la productivité, il est probable que les suppressions d’emplois seront une réponse.

Le tout est de planifier

Les facteurs mentionnés ci-dessus n’excluent pas, individuellement ou collectivement, la possibilité d’un atterrissage en douceur pour l’économie américaine, tout comme les résultats de plus en plus négatifs de notre Feuille de pointage sur la récession aux États-Unis . Toutefois, les probabilités historiques nous amènent à penser qu’une récession devrait survenir aux États-Unis dans le courant de cette année ou peut-être au début de l’année prochaine, que les bénéfices réels de l’indice S&P 500 seront inférieurs aux estimations actuelles et que les cours des actions traverseront une période difficile au cours de laquelle l’optimisme irréaliste des investisseurs finira par céder la place à un pessimisme irréaliste.

Entre-temps, nous continuons de recommander aux portefeuilles équilibrés mondiaux une exposition aux actions avec pondération du marché, car nous croyons que l’avance gagnée depuis le début de l’automne 2022 se maintiendra. Toutefois, nous estimons que les investisseurs devraient limiter la sélection des titres individuels aux sociétés qu’ils se contenteraient de détenir en période de récession. Pour nous, ces sociétés sont des entreprises de grande qualité qui se caractérisent par des bilans solides, des dividendes durables et des modèles d’affaires n’étant pas particulièrement sensibles au cycle économique.


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Jim Allworth

Stratégiste, Portefeuilles
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