Grande et belle ou pas ?

Analyse
Perspectives

Alors que l’élément central du programme économique du président américain Donald Trump fait son chemin au Congrès, nous examinons ce qui présente un intérêt clé pour les marchés et les investisseurs, avant de souligner pourquoi le projet de loi devrait être différent en fin de compte.

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5 juin 2025

Kelly Bogdanova
Vice-présidente et analyste de portefeuille
Services-conseils en gestion de portefeuille – États-Unis

À juste titre, les flèches politiques au sujet du projet de loi fiscal et budgétaire récemment adopté à la Chambre des représentants – officiellement appelé « One Big Beautiful Bill Act » (« grande et belle loi ») – s’intensifient, et la loi retient de plus en plus l’attention des investisseurs.

Le théâtre politique pourrait nous faire rire si les législateurs fédéraux du pays étaient tenus en plus haute estime – la note collective de la Chambre des représentants et du Sénat se situe actuellement à seulement 26 %, selon Gallup – et s’ils présentaient un meilleur bilan en matière de gestion des dépenses et du fardeau de la dette du pays.

Un allègement fiscal procure habituellement un allègement au marché boursier

Selon nous, le marché boursier accueille généralement favorablement des dispositions fiscales et de relance du projet de loi budgétaire – rhétorique politique à part.

  • La version du projet de loi adoptée par la Chambre des représentants prolonge les faibles taux d’imposition pour les particuliers qui sont entrés en vigueur en 2018 pendant le premier mandat du président Donald Trump;
  • Elle comprend de nouvelles exonérations d’impôt sur les pourboires et la rémunération des heures supplémentaires;
  • Elle accorde une déduction d’impôt supplémentaire de 4 000 $ aux déclarants âgés de 65 ans et plus;
  • Elle comprend un nouveau versement de 1 000 $ en espèces pour les nouveau-nés dans un compte de placement et des incitatifs de placement supplémentaires dans ces comptes, ainsi que des crédits d’impôt plus élevés pour les familles avec enfants; et
  • Elle comprend de généreux incitatifs aux entreprises, y compris la dépréciation accélérée des investissements en capital.

En fait, nous ne nous souvenons pas d’une fois où le marché boursier n’a pas accueilli favorablement de faibles taux d’imposition, des exonérations d’impôt, des versements directs en espèces et des incitatifs pour les entreprises, quelles que soient leurs répercussions budgétaires.

La logique générale du marché boursier est que plus les particuliers et les entreprises ont d’argent dans leurs poches, plus les dépenses en biens et services gonflent, ce qui peut avantager certaines sociétés de l’indice S&P 500 et cotées en bourse en dopant la croissance des bénéfices, du moins dans une certaine mesure.

Un marché obligataire incertain

Toutefois, le marché obligataire semble voir les choses différemment. À notre avis, celui-ci commence à agir davantage comme une personne mature et responsable.

Les investisseurs en titres du Trésor – en particulier les grands investisseurs institutionnels aux États-Unis et à l’étranger – examinent de façon plus mesurée les prévisions de déficit et de dette connexes à la loi.

Le Congressional Budget Office (CBO), organisme non partisan qui analyse officiellement les coûts associés à une telle loi, prévoit que le projet de loi gonflera le déficit fédéral annuel de 2 400 milliards de dollars cumulativement au cours de la prochaine décennie. Autrement dit, ajoutons ce montant à la dette fédérale actuelle de 37 000 milliards de dollars.

La Maison-Blanche et de nombreux républicains soutiennent que la situation ne sera pas aussi mauvaise que prévu et que les déficits futurs pourraient diminuer, tandis que les démocrates affirment que les déficits seront beaucoup plus graves. Quoi qu’il en soit, en ce qui nous concerne, personne ne sait ce qu’il adviendra.

Nous pensons que les mathématiques floues dominent Washington depuis des décennies. Les projets de loi budgétaires précédents, qui ont été adoptés sous l’impulsion de chaque parti et analysés par le CBO, ainsi que les dépenses supplémentaires liées aux urgences et à d’autres fins, ont plombé les finances du gouvernement fédéral.

Fait important, nous pensons que le marché obligataire commence à montrer des signes de tolérance moindre aux déficits extrêmement élevés.

Embûches au Sénat

Nous prévoyons des négociations difficiles entre le Sénat et les républicains de la Chambre des représentants avant que la « grande et belle loi » se trouve sur le bureau du président pour sa signature.

Quelques dispositions clés font actuellement l’objet d’un différend, notamment celles qui touchent les investisseurs étrangers.

Les niveaux de dépenses globaux et la nécessité de réduire le déficit : certains sénateurs républicains, en particulier ceux qui ont un penchant libertarien (les sénateurs Rand Paul, Mike Lee et Ron Johnson), sont fortement en désaccord avec les niveaux de dépenses élevés et les déficits budgétaires associés au projet de loi de la Chambre des représentants.

Déduction des taxes d’État et locales (SALT) : le projet de loi de la Chambre des représentants relève le plafond de la déduction des taxes d’État et locales (SALT) à 40 000 $, ce qui est avantageux pour les contribuables dans les États où l’impôt est élevé. De nombreux sénateurs républicains des États où l’impôt est bas s’y opposent fermement.

Dépenses liées à Medicaid : le projet de loi de la Chambre des représentants comprend des exigences de travail pour certains bénéficiaires de Medicaid. Certains sénateurs républicains s’opposent à ce qu’ils considèrent comme des réductions des prestations de Medicaid et craignent que des personnes à faible revenu ne soient plus couvertes par l’assurance maladie; les démocrates sont d’accord avec eux.

Section 899 : cet article controversé du projet de loi de la Chambre des représentants contient des « dispositions fiscales de représailles » à l’égard de certaines sociétés et de certains investisseurs étrangers pour des titres américains en particulier. Rédigé dans sa forme actuelle, le libellé est complexe, mais vague dans certains domaines, et il y a des désaccords entre les spécialistes en fiscalité à l’égard des titres et des investisseurs étrangers qui seraient touchés.

En pratique, selon Tax Foundation, société non partisane spécialisée en politique fiscale établie à Washington D.C., l’article 899 vise les pays qui ont mis en place un impôt minimum sur les sociétés mondiales, une taxe sur les services numériques ou un impôt sur les bénéfices détournés. Elle évalue que certaines entités et certaines personnes au Canada, au Royaume-Uni, dans de nombreux pays de l’Union européenne et en Australie pourraient être touchées si ces impôts demeurent en place ou si ces gouvernements étrangers ne sont pas en mesure de négocier un compromis avec le gouvernement américain.

Tax Foundation estime que l’article 899 est préjudiciable à l’économie américaine en raison de ses répercussions potentielles sur les investissements directs étrangers aux États-Unis. C’est aussi notre opinion pour cette raison. De plus, le libellé législatif comprend actuellement beaucoup de zones grises et confère un vaste pouvoir discrétionnaire au secrétaire au Trésor pour ce qui est de l’imposition de dispositions fiscales de représailles et d’autres enjeux.

Nous serions surpris si le libellé de l’article 899 de la Chambre des représentants demeurait intact après son adoption par le Sénat.

Le secteur financier et les lobbyistes étrangers tentent déjà de faire modifier le libellé de l’article 899 de la Chambre des représentants des façons suivantes :

  • En le modifiant pour réduire l’incidence sur les investisseurs et les sociétés étrangers;
  • En le clarifiant afin d’expliquer beaucoup plus clairement les dispositions fiscales de représailles et de donner moins de pouvoir discrétionnaire au secrétaire au Trésor; ou
  • En le retirant complètement du projet de loi.

De plus, il est possible qu’au Sénat, au moins une contestation procédurale vise à supprimer l’article 899.

Il est normal que le Sénat modifie des dispositions controversées des projets de loi de la Chambre, surtout lorsqu’il fait l’objet de fortes pressions. Nous ne sous-estimons jamais le pouvoir et l’influence des lobbyistes de l’industrie, et le lobby financier a réussi dans le passé à atteindre au moins certains de ses objectifs.

Approcher de la ligne d’arrivée

Indépendamment des avantages et des inconvénients de la grande et belle loi, nous pensons que les républicains de la Chambre des représentants et du Sénat seront forcés d’élaborer une loi de compromis par nécessité politique, même si le processus pourrait devenir très compliqué.

En effet, s’ils n’y arrivent pas, une importante hausse d’impôt pour les particuliers aura lieu en 2026, en amont des élections de mi-mandat en novembre de l’an prochain. Par conséquent, nous pensons que Trump a tout intérêt à utiliser nombre d’avantages politiques pour faire adopter une version définitive du projet de loi qui émane d’un compromis dans les deux Chambres.

Toutefois, cette situation ne nous rend pas moins préoccupés par le déficit annuel et la dette cumulative énormes du gouvernement fédéral.

Notre prochain rapport Perspectives mondiales – Panorama de mi-année 2025, qui sera publié à la mi-juin, traitera de la façon dont les investisseurs des marchés boursiers et obligataires américains devraient percevoir les risques associés à la dette fédérale galopante et aux déficits annuels élevés. Restez à l’affût.


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