La sécurité énergétique va-t-elle détourner la transition vers les énergies vertes ?

Analyse
Perspectives

Le coup sans merci porté à l’Ukraine par la Russie pose la question de la sécurité énergétique par rapport à la transition vers les énergies vertes. Nous examinons cette tendance ainsi que son incidence pour les investisseurs.

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3 mai 2022

Frédérique Carrier
Première directrice générale et chef, Stratégies
de placement - RBC Europe Limited

Par Frédérique Carrier

Pour de nombreux pays, le coup sans merci porté à l’Ukraine par la Russie a opposé la sécurité énergétique à la transition vers les énergies vertes. Les gouvernements s’en remettent de nouveau aux combustibles fossiles à court terme, faisant craindre que la transition soit reléguée au second plan.

À notre avis, cependant, le fait que l’accent soit mis sur la sécurité énergétique n’est pas une menace irrévocable pour les objectifs climatiques. Si la transition ralentira pendant un moment à certains égards, elle devrait fort probablement s’accélérer ailleurs, surtout en Europe. Penchons-nous sur les occasions de placement qui découlent des frictions entre sécurité énergétique et objectifs climatiques.

Une dépendance risquée

La guerre entre la Russie et l’Ukraine a transformé la sécurité énergétique en priorité de l’heure. D’abord, il y a un problème moral à régler, celui de remplacer un fournisseur malhonnête qui utilise les profits de l’énergie pour financer une guerre sans avoir été provoqué. Mais aussi, les gouvernements du monde veulent mettre les citoyens et l’économie à l’abri des envolées néfastes des prix de l’énergie. L’invasion russe a intensifié une tendance déjà à la hausse : en effet, les prix du pétrole et du gaz ont grimpé respectivement de 30 % et de 150 % avant de rebaisser.

Exposition à l’énergie russe

L’Europe est la région la plus exposée à l’énergie russe

Pays/région Pourcentage de toutes les importations produites par la Russie
Pétrole Gaz naturel
Nota :
(1) Données de 2020.
(2) Données de 2019. Conformément à un accord signé en 2022, la Russie devrait livrer 48 milliards de mètres cubes de GNL à la Chine d’ici 2026. Gazprom estime que cette quantité représentera environ le tiers des importations de gaz totales de la Chine cette année-là.
(3) Pétrole total, y compris le pétrole brut, pour 2021.
(4) Le Canada n’a pas importé de pétrole brut de la Russie depuis 2019.
Europe 25 % 40 %
R.-U. (1) 17 % 5 %
Chine (2) 15 % 3 %
Japon 4 % 9 %
É.-U (3) 3 % 0 %
Canada (4) 0 % 0 %

Sources : Agence internationale de l’énergie, Energy Information Administration des États-Unis, GOV.UK, Eurostat, Canada.ca.

Nombre de pays sont en train de réorienter leurs politiques énergétiques, en particulier (mais pas seulement) ceux qui dépendent fortement du pétrole et du gaz russes.

  • Peu de temps après l’invasion, l’Union européenne a fait part de son nouveau plan énergétique, « REPowerEU », dans lequel elle prévoit de réduire les importations de gaz naturel russe de deux tiers d’ici la fin de 2022 et d’éliminer complètement les combustibles russes d’ici la fin de la décennie. Ce sera surtout aux États membres du bloc de voir à la mise en œuvre de ce plan. La plupart sont à la recherche de fournisseurs remplaçants et comptent étirer la durée de vie de leurs centrales thermiques au charbon pour combler l’écart à court terme. Parallèlement, le mouvement en faveur des énergies renouvelables est en plein essor.
  • Le Royaume-Uni, qui a carrément banni les importations d’énergie russes, a présenté en avril sa nouvelle stratégie en matière de sécurité énergétique. Le pays projette d’augmenter les activités de forage pétrolier et gazier à court terme et d’avoir recours à l’énergie nucléaire et éolienne en mer pour combler les besoins à long terme.

Même les pays qui dépendent peu de la Russie réévaluent actuellement leurs stratégies, à la recherche de moyens d’accroître la production pour faire baisser les prix et aider les pays qui s’efforcent de remplacer l’énergie russe.

  • Les États-Unis, quant à eux, ont changé de discours au sujet du climat et de l’énergie depuis l’invasion russe en raison des prix accablants. On ne voit plus les combustibles fossiles d’un œil aussi défavorable, étant d’avis qu’ils ont un rôle important à jouer pour atténuer la crise énergétique. Le président Joe Biden, qui vient de signer un accord pour fournir du gaz naturel liquéfié (GNL) à l’Europe jusqu’à 2030 au moins, a demandé aux sociétés pétrolières d’effectuer plus de fracturation, envisageant même d’imposer des amendes à celles qui n’utilisent pas leurs baux fédéraux pour le forage. Or, aucun changement à long terme aux politiques énergétiques du pays n’a encore été annoncé, quoique les principales dispositions sur le climat du projet de loi « Build Back Better » (Rebâtir en mieux) de M. Biden ont été mises sur pause.
  • Sans rapport avec l’invasion, le gouvernement du Canada a publié à la fin mars un document de 271 pages dans lequel il dit viser une réduction des émissions de 42 % dans le secteur pétrolier et gazier d’ici la fin de la décennie (par rapport au niveau de 2019) dans le cadre de son objectif de réduction des émissions de 2030. Il réitère en outre les engagements qu’a pris le Canada pour atténuer les changements climatiques et effectuer une transition énergétique.

À contre-courant ?

C’est avec un sentiment d’urgence, en vue de trouver une solution à court terme, que plusieurs stratégies ont été préconisées pour accroître l’approvisionnement en énergie : effectuer plus de forage, diversifier les fournisseurs de GNL, et étirer la durée de vie des centrales au charbon. Or, toutes ces stratégies auront pour effet de retarder l’atteinte de la carboneutralité pendant un moment et semblent être un pas en arrière dans la transition énergétique.

Effectuer plus de forage

La prise de conscience de l’importance de la sécurité énergétique et la réaction à la hausse des prix de l’énergie ont toutes deux incité les principaux pays producteurs de pétrole, comme les États-Unis, à augmenter leurs activités de forage.

En Europe, la Norvège et le Royaume-Uni – deux pays riches en pétrole et en gaz – envisagent eux aussi d’accroître leur production. RBC Marchés des Capitaux pense que le Royaume-Uni pourrait intensifier ses activités considérablement dans la mer du Nord en 2022, alors que les dépenses en immobilisations ont diminué sans cesse depuis 2013. Nombre de projets que l’on jugeait autrefois non rentables sont désormais attrayants en raison des prix élevés. C’est l’exploitation gazière qui devrait être privilégiée, puisque les prix du gaz devraient être fermes pendant encore quelques années en Europe et que la région demeure un grand importateur.

Fait intéressant, les activités de forage supplémentaires pourraient contribuer à la réduction des émissions de carbone même si elles feront baisser les importations de GNL. Dans son récent rapport intitulé The European Energy Trilemma (« Le trilemme énergétique européen »), RBC Marchés des Capitaux a calculé que l’intensité carbonique des importations de GNL est au moins trois fois plus élevée que celle de la production intérieure. Qui plus est, il est généralement moins coûteux de soutenir l’approvisionnement en énergie nationale que d’importer de l’énergie d’ailleurs.

Or, ce n’est pas parce que les activités de forage augmenteront qu’aucune limite ne sera imposée. Le gouvernement du Canada, par exemple, vient d’approuver un projet pétrolier de 12 milliards de dollars au large des côtes de Terre-Neuve-et-Labrador moyennant 137 conditions juridiquement contraignantes, dont l’une est l’atteinte de la carboneutralité d’ici 2050. De plus, en mars 2022, le Canada a publié un plan énergétique dans lequel il suggère l’implantation d’un crédit d’impôt pour le captage et le stockage du carbone, un processus pouvant réduire de 50 % à 70 % des émissions de carbone provenant des procédés industriels. On s’attend à ce que cette mesure soit déployée à grande échelle pour réduire les émissions.

Malgré les circonstances atténuantes, et même si l’intensification des activités de forage pourrait ne pas freiner les objectifs climatiques autant qu’on le pense, le monde risque de ne pas pouvoir se sortir de sa dépendance aux combustibles.

Diversifier le bassin de fournisseurs de GNL

Pour remplacer l’énergie russe à court terme, de nombreux pays européens misent sur la diversification de leurs fournisseurs avant l’hiver prochain. Or, cette stratégie pourrait avoir un effet secondaire non voulu : celui de faire augmenter les émissions de dioxyde de carbone.

Les États-Unis, par exemple, ont commencé à expédier plus de GNL à la région, tandis que le Canada a promis d’accroître ses exportations. De son côté, l’Allemagne a demandé au Qatar (le plus grand exportateur de gaz naturel, avec 15 % des exportations mondiales) de lui fournir plus de gaz pour combler ses besoins. L’Italie effectuera plus d’importations elle aussi, ayant récemment conclu un accord avec l’Algérie, son deuxième fournisseur en importance après la Russie.

Ce n’est pas le seul fait de changer de fournisseur de GNL qui fera augmenter les émissions de carbone. Toutefois, RBC Marchés des Capitaux fait remarquer dans son rapport que la diversification des importations par l’Europe se fera probablement au détriment des pays asiatiques, les laissant peut-être sans autre choix que d’utiliser plus de charbon pour répondre à leurs besoins en énergie. Le charbon est économique, mais il pollue plus que le gaz naturel et produit 50 % plus d’émissions.

C’est pourquoi le recours à d’autres sources de GNL pourrait avoir des répercussions indésirables sur la transition énergétique.

Prolongement de la durée de vie des centrales thermiques au charbon

Certains pays, dont le Royaume-Uni et l’Allemagne, envisagent de maintenir des centrales thermiques au charbon dont la fermeture était prévue.

Bloomberg estime que le fait de brûler davantage de charbon plutôt que du gaz naturel en provenance de Russie augmentera les émissions de carbone de l’UE d’environ 8 %. Par contre, l’agence souligne que, puisque l’Europe n’envisage pas de construire de nouvelles centrales au charbon en réaction à la crise, la pollution créée par les nouvelles importations de charbon et de pétrole pourrait être contrebalancée par l’accroissement de la production des énergies vertes.

Énergie nucléaire : l’enfant prodigue ?

Certains gouvernements sont tentés par l’énergie nucléaire parce que sa production ne donne pas lieu à des émissions.

Entre 2005 et 2020, la production mondiale d’électricité issue de l’énergie nucléaire est passée de 17,5 % à environ 10 %. Les accidents et les fuites liées au nucléaire font partie des raisons de cette baisse. La production d’énergie nucléaire est lente et plus coûteuse que les autres. De plus, les coûts associés à celle-ci n’ont cessé de grimper, contrairement à ceux de la plupart des autres sources d’énergie. Par ailleurs, l’élimination des déchets nucléaires représente un problème épineux. Enfin, les matériaux utilisés, comme l’acier nécessaire pour la construction des centrales électriques et le minerai d’uranium, ne sont pas renouvelables, bien que la production d’énergie nucléaire ne libère pas en soi de gaz à effet de serre.

Pour toutes ces raisons, la décision de l’UE de qualifier l’énergie nucléaire de durable au début de l’année a suscité la controverse.

Malgré les inconvénients de cette énergie, plusieurs gouvernements et sociétés envisagent de se tourner vers le nucléaire. Le Royaume-Uni, qui est aux prises avec des pénuries de carburant et un manque de vent, a récemment annoncé qu’il envisageait d’accroître la proportion de cette source d’énergie. Plus de 70 % de l’électricité produite en France provient de l’énergie nucléaire, soit plus que tout autre pays. Le gouvernement français a récemment annoncé la « renaissance » de l’industrie nucléaire et prévoit construire jusqu’à 14 nouveaux réacteurs nucléaires d’ici 2050. Les deux pays songent également à prolonger la durée de vie des centrales nucléaires existantes.

Les petits réacteurs modulaires, qui représentent la prochaine génération de réacteurs nucléaires, sont très prometteurs : ils sont moins chers et se construisent plus rapidement. Quatre provinces canadiennes ont publié un plan d’implantation de la nouvelle mouture de petits réacteurs.

Les sociétés énergivores en Pologne, où 70 % de la production d’électricité provient du charbon, sont à la tête du mouvement en faveur d’une plus grande utilisation de l’énergie nucléaire. Elles sont déterminées à réduire les émissions de dioxyde de carbone, dont le coût n’a cessé d’augmenter au cours des dernières années.

Pour autant que la sécurité énergétique soit synonyme d’un recours à divers types d’énergie, le nucléaire a bel et bien un rôle à jouer dans la transition énergétique parce que de nombreuses sources d’énergie renouvelables sont intermittentes. La Chine prévoit s’équiper d’au moins 150 nouveaux réacteurs au cours des quinze prochaines années, soit plus que ce que l’ensemble des autres pays a construit depuis trois décennies.

Coût de l’électricité selon les différentes sources d’énergie

Les coûts de la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables ont diminué à mesure que la capacité a augmenté, ce qui n’a pas été le cas pour le nucléaire et le charbon.

Coût de l’électricité selon les différentes sources d’énergie

Coût de l’électricité selon les différentes sources d’énergie

Source Prix par mégawatt-heure (MWh) en 2010 Prix par mégawatt-heure (MWh) en 2019 Taux d’apprentissage (dimunition de coût chaque fois que la capacité a doublé)
Énergie solaire photovoltaïque 378 $ 68 $ 36 %
Énergie éolienne: turbines en mer 162 $ 115 $ 10 %
Énergie éolienne: turbines sur terre 86 $ 53 $ 23 %
Énergie nucléaire 96 $ 155 $ Aucun taux d’apprentissage – Les coûts de l’énergie nucléaire ont augmenté
Charbon 111 $ 109 $ Aucun taux d’apprentissage – Les coûts du charbon ont peu diminué

Énergie solaire photovoltaïque

2010: 378 $ 2019: 68 $

Les coûts de production d’électricité à partir de l’énergie solaire ont diminué de 36 % chaque fois que la capacité solaire installée a doublé. Le taux d’apprentissage pour l’énergie solaire photovoltaïque est de 36 %.

Énergie éolienne: turbines en mer

2010: 162 $ 2019: 115 $

Taux d’apprentissage : 10 %

Énergie éolienne: turbines sur terre

2010: 86 $ 2019: 53 $

Taux d’apprentissage : 23 %

Énergie nucléaire

2010: 96 $ 2019: 155 $

Aucun taux d’apprentissage – Les coûts de l’énergie nucléaire ont augmenté.

Charbon

2010: 111 $ 2019: 109 $

Aucun taux d’apprentissage – Les coûts du charbon ont peu diminué.

Nota : Le prix par mégawattheure représente la moyenne mondiale pondérée du coût de production d’électricité d’une centrale au cours de sa durée de vie, sans subventions. Les prix ont été ajustés en fonction de l’inflation. La capacité cumulée installée est présentée sur une échelle logarithmique pour faciliter l’analyse du large éventail.

Sources : Our World in Data, IRENA 2020 (pour toutes les données sur les sources d’énergie renouvelables) ; Lazard (pour le prix de l’électricité produite à partir du nucléaire et du charbon) ; Agence internationale de l’énergie atomique (pour la capacité nucléaire) ; Global Energy Monitor (pour la capacité du charbon) ; adaptation du travail en vertu d’une licence CC-BY accordé par l’auteur Max Roser.

Redoublement d’efforts en faveur des énergies vertes

En plus de prôner l’exploitation des énergies fossiles à court terme et de prendre des décisions difficiles et parfois controversées à l’égard de leurs plans relatifs à l’énergie nucléaire, bon nombre de gouvernements redoublent d’efforts en vue de renforcer l’efficacité énergétique. La mise en place d’une économie à faibles émissions de carbone pourrait s’avérer une stratégie fort efficace pour assurer la sécurité énergétique, tant en Europe qu’aux États-Unis.

Recours accru à l’énergie éolienne et à l’énergie solaire

Selon le groupe de réflexion sur l’énergie Ember, 50 pays, dont les États-Unis, la Chine, le Japon, l’Allemagne et le Royaume-Uni, génèrent au moins 10 % de leur électricité à partir de l’énergie éolienne ou solaire. Produisant plus de 50 % de son énergie à partir de ces sources, le Danemark demeure le chef de file.

La proportion des énergies renouvelables devrait continuer à croître : RBC Marchés des Capitaux observe que leur progression en Europe s’est accélérée au cours des derniers mois en raison du désir urgent et croissant d’abandonner le gaz naturel.

Dans le cadre du plan REPowerEU, les investissements visant à réduire les émissions de 55 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990 seront concentrés dans les premières années, ce qui aura pour effet d’accélérer la transition de 20 %. Une autre cible de 80 gigawatts (GW) supplémentaires issus d’énergies renouvelables d’ici 2030 a également été fixée afin d’accroître la production d’hydrogène. L’Allemagne a devancé la réalisation de son objectif de recourir à 100 % aux énergies propres. Elle prévoit y parvenir d’ici 2035, soit 15 ans plus tôt que prévu. De nombreux pays dont les réserves de combustibles fossiles sont limitées emboîteront le pas. Après tout, il vente et il fait soleil partout.

Ces ambitions devraient permettre d’atteindre d’ici 2030 l’objectif fixé par la Commission européenne, c’est-à-dire que la part de l’électricité produite par l’UE soit issue à 40 % de sources renouvelables, soit le double du niveau de 2020.

L’un des principaux objectifs du Royaume-Uni énoncé dans la British Energy Security Strategy est de miser sur les turbines en mer. Le gouvernement a fait passer sa cible de production issue de cette source de 40 à 50 GW d’ici 2030, et en a établi une nouvelle de 5 GW provenant d’éoliennes flottantes.

L’élimination des obstacles, par exemple en simplifiant les exigences lourdes et rigoureuses relatives aux autorisations de projets d’énergie renouvelable, pourrait sans doute s’avérer encore plus efficace que la hausse des cibles. L’UE publiera en mai une recommandation sur l’accélération de la délivrance de permis pour de tels projets. Le gouvernement britannique a également promis de mettre en œuvre des réformes pour réduire de moitié les délais d’approbation.

Il va sans dire que les technologies liées aux énergies éolienne et solaire ne constituent guère une solution magique : elles exigent la construction de nouvelles infrastructures, comme des lignes de transport d’électricité, des batteries et des bornes de recharge pour les véhicules électriques. Une grande partie de ces projets passe par l’extraction de minéraux essentiels au développement d’une économie verte, dont l’aluminium, le cobalt, le cuivre, le lithium, le nickel, l’argent et le zinc. De telles activités minières risquent de dégrader l’environnement local. Elles prennent souvent place dans des pays où le risque politique est élevé.

Déclenchement de la révolution de l’hydrogène

Les prix élevés du pétrole accroissent également l’intérêt pour l’hydrogène. La production de l’« hydrogène vert », c’est-à-dire l’hydrogène généré par des électrolyseurs alimentés par l’énergie solaire ou éolienne, a longtemps été considérée comme trop chère. En effet, les coûts pouvaient atteindre jusqu’à quatre fois ceux de l’« hydrogène gris », qui est d’origine fossile. On pensait que l’« hydrogène bleu », dont le processus de production implique la capture d’une bonne partie du dioxyde de carbone émis pour le produire, serait le type d’hydrogène le plus susceptible d’être utilisé à court terme pour favoriser la transition vers les énergies vertes.

Cela dit, vu la hausse des prix du gaz naturel, le coût lié à l’hydrogène vert est maintenant nettement moindre. Le cabinet d’experts-conseils en énergie BloombergNEF a récemment calculé que l’hydrogène vert peut de nos jours être rentable. On ne s’attendait pourtant pas à une parité des coûts avant la fin de la décennie.

Cette parité arrive au moment opportun. L’UE a mis en place à la fin de l’année 2021 un partenariat de deux milliards d’euros avec l’industrie dans le but d’accélérer la recherche et le développement visant l’hydrogène vert. Afin de réduire davantage les coûts, la production d’hydrogène vert par les électrolyseurs devra passer de l’échelle des mégawatts à celle des gigawatts. L’objectif de l’UE consistant à combler au moins 10 % de ses besoins par l’hydrogène vert d’ici 2050 devient ainsi plus réalisable.

La société allemande fermée H2 Mobility Deutschland en a récemment profité pour investir 120 millions de dollars afin de tripler le nombre de ses stations d’hydrogène d’ici la fin de la décennie pour le porter à 300. Elle vise ainsi à répondre à la demande de véhicules lourds et de transport longue distance en Europe. Pour ce faire, Bloomberg estime qu’il faudra étendre les réseaux d’hydrogène à plusieurs couloirs de transport achalandés, ainsi que collaborer avec les autorités publiques et les exploitants de parcs automobiles afin d’assurer l’accessibilité de ces stations.

En bref, l’industrie de l’hydrogène, qui éprouvait il n’y a pas si longtemps des difficultés, tout comme l’industrie éolienne il y a dix ans avant la chute des coûts et la multiplication des infrastructures, devrait selon nous bientôt connaître une forte croissance, à l’instar de l’industrie éolienne lorsque l’équation des coûts a penché en sa faveur.

Pleins feux sur l’efficacité énergétique

De nombreux efforts sont déployés pour accroître l’approvisionnement en énergie. La demande ne doit pas être ignorée pour autant. Nous prévoyons que l’efficacité énergétique fera l’objet d’une attention croissante à l’avenir. Des mesures telles que l’installation de pompes à chaleur et l’amélioration de l’isolation des demeures peuvent également diminuer la demande d’énergie et, par le fait même, la dépendance envers le gaz naturel. Le gouvernement britannique en a déçu plus d’un en omettant ces initiatives dans la British Energy Security Strategy. Cela dit, il a été annoncé lors du dernier budget déposé par Rishi Sunak, le chancelier de l’Échiquier, que les taxes sur les mesures favorisant l’efficacité énergétique, comme les travaux d’isolation et les panneaux solaires, seraient abolies. La nouvelle Feuille de route sur l’énergie du Canada prévoit un montant supplémentaire de 500 millions de dollars canadiens affecté à la Subvention canadienne pour des maisons plus vertes, qui couvre une partie des coûts des rénovations visant à rendre les habitations plus écoénergétiques.

Conséquences pour les portefeuilles

Les enjeux de la transition énergétique et de la sécurité énergétique ne sont pas incompatibles. La mise en place d’une économie à faibles émissions de carbone pourrait s’avérer une stratégie fort efficace pour assurer la sécurité énergétique, Comme celle des années 1970, la crise de l’énergie actuelle pourrait offrir l’occasion de promouvoir l’innovation énergétique dans divers domaines, dont les technologies à faible émission de carbone telles que l’hydrogène vert, le nucléaire et le captage et le stockage du carbone, ainsi que la capture directe du dioxyde de carbone, technologie prometteuse mais onéreuse. En ce qui concerne la demande, il faudrait redoubler d’ardeur pour la réduire en renforçant l’efficacité énergétique.

Si la transition énergétique est devenue plus complexe et multidimensionnelle, elle connaît un nouvel élan dans certains secteurs en raison de la nécessité d’accroître la sécurité énergétique. Nous continuons de percevoir de nombreuses occasions favorables à l’égard de la technologie durable, en particulier des technologies vertes, car de nombreux moteurs de la sécurité énergétique jouent un rôle essentiel dans la lutte contre les changements climatiques.

Industries susceptibles de tirer profit de la sécurité énergétique

Un large éventail d’industries pourrait tirer profit de la quête de la sécurité énergétique.

Categorie Mesure de sécurité énergétique Industrie
Combustibles fossiles Effectuer plus de forage Sociétés pétrolières et gazières
Diversifier le bassin de fournisseurs de GNL Sociétés pétrolières et gazières
Prolongement de la durée de vie des centrales thermiques au charbon Captage et stockage du carbone
Zone grise Recourir davantage au nucléaire
Constructeurs de centrales électriques et de composants de générateurs d’électricité
Sociétés minières
Technologies vertes Accroître la production d’énergie éolienne et d’énergie solaire
Exploitants indépendants de parcs éoliens
Fabricants d’éoliennes
Sociétés de services publics ayant une expertise en énergie renouvelable
Fabricants d’équipement pour panneaux solaires
Fabricants de semi-conducteurs
Logiciels
Systèmes de surveillance
Exploitants de systèmes de batteries
Fabricants de batteries
Révolution de l’hydrogène
Fabricants d’électrolyseurs
Producteurs de gaz industriels
Transformation des systèmes de transport
Gestionnaires de systèmes de transport
Fabricants de câbles électriques
Fabricants d’équipement énergétique (p. ex. sous-stations, transformateurs)
Sociétés de distribution d’électricité
Véhicules électriques
Fabricants et exploitants d’infrastructures de recharge
Fabricants de pièces
Efficacité énergétique
Conglomérats industriels
Entreprises de matériaux de construction

Source : RBC Gestion de patrimoine


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