Baisse des taux aux États-Unis : un sursis, mais pas une solution rapide au problème de la dette

Analyse
Perspectives

La baisse de 25 pb des taux directeurs opérée par la Fed a offert un répit conjoncturel au Trésor américain, qui peut désormais refinancer sa dette arrivant à échéance à un coût moindre. Toutefois, une baisse des taux à elle seule ne suffira probablement pas à rendre la politique budgétaire soutenable à long terme.

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18 septembre 2025

Par Atul Bhatia, CFA

Des coûts de financement plus faibles peuvent ralentir la dynamique d’endettement, mais ils ne permettent pas à eux seuls de corriger les déséquilibres budgétaires structurels. Dans ce contexte, il devient de plus en plus probable que les États-Unis recourront à des mécanismes déjà éprouvés par d’autres États surendettés, tels que la dépréciation monétaire ou les interventions sur les marchés obligataires, afin d’atténuer les coûts associés à une politique budgétaire expansive non compensée par des hausses de recettes. Si nous écartons totalement l’hypothèse d’un défaut de paiement américain, nous anticipons néanmoins des répercussions sur de nombreuses catégories d’actifs, à mesure que le pays continue de refuser d’aligner son niveau de fiscalité sur celui de ses dépenses.

Un prêt constamment renouvelé n’enregistre pas de perte

La manière la plus courante de gérer les échéances de dette consiste à refinancer celle-ci par l’emprunt, un processus communément appelé « roulement » de la dette. Cette pratique n’est pas risquée en soi. Elle est d’ailleurs largement utilisée par des entreprises bien notées et disposant de liquidités importantes. Elles remboursent leurs obligations arrivant à échéance en en émettant de nouvelles.

Le principe est globalement le même pour les pays. Il serait irréaliste de prétendre que seule l’absence de dette garantit une gestion saine des finances publiques. La véritable question est de déterminer le niveau d’endettement qu’une économie peut raisonnablement supporter et reconduire sur le long terme. Il n’existe pas de réponse empirique ou théorique unique à cette question. Cela dit, nous estimons qu’un ratio dette/PIB de l’ordre de 60 % — soit environ la moitié du niveau actuel des États-Unis — constitue un repère approximatif, certes conservateur, mais utile pour évaluer la soutenabilité budgétaire.

Et si le roulement ne se fait pas ?

Certaines approches peu contraignantes peuvent être envisagées pour atténuer le surendettement des États-Unis :

  • Croissance comme levier d’ajustement : si le taux de croissance de l’économie américaine dépasse le taux d’intérêt moyen sur la dette, et que le solde budgétaire primaire reste proche de l’équilibre, alors le ratio dette/PIB peut progressivement diminuer. La croissance, en tant que telle, ne réduit pas directement la dette, mais en amortit les effets. Cette stratégie graduelle présente l’avantage d’éviter les ajustements politiques brutaux exigés par d’autres approches.
  • Excédents budgétaires : Le moyen le plus rapide de réduire la dette consiste à gérer le budget fédéral de manière rigoureuse : augmenter les impôts — qu’il s’agisse de l’impôt sur le revenu, de l’impôt sur les sociétés ou des droits de douane — ou réduire les dépenses, jusqu’à ce que le revenu dépasse les dépenses. Le problème économique de cette approche est son caractère restrictif : elle tend à freiner la croissance en mobilisant les ressources actuelles pour rembourser les excès passés. Le problème politique est tout aussi clair : les hausses d’impôts sont impopulaires, tandis que les transferts publics sont bien accueillis. La rigueur budgétaire plaît sur le papier, mais pas dans les urnes.

Le privilège de la souveraineté

Contrairement aux ménages ou aux entreprises, dont les choix se résument à un ajustement graduel ou à une restructuration brutale. À la différence des acteurs privés, les individus et les sociétés ne peuvent ni créer leur propre monnaie ni fixer les conditions de leur endettement. Les gouvernements — en particulier le gouvernement américain — ont ce pouvoir. Ils peuvent émettre leur propre monnaie et définir les termes de leur financement.

S’agissant des conditions d’emprunt, c’est précisément ce que la Réserve fédérale a fait hier. Dans le cadre de la mise en œuvre de son nouvel objectif de taux d’intérêt au jour le jour, fixé entre 4,00 % et 4,25 %, la Fed offrira un financement moins onéreux à certaines entités privées pour l’achat de titres d’État, fixant ainsi un plafond effectif plus bas pour ce que la dette à court terme nouvellement émise peut coûter aux États-Unis.

La dette publique à plus long terme, c’est-à-dire celle qui arrive à échéance dans 10 ans ou plus, est moins directement influencée par les actions de la Réserve fédérale. En raison de la volatilité plus élevée des prix de ces obligations et des incertitudes macroéconomiques à moyen et long terme, il est plus risqué pour les investisseurs privés de compter sur le financement à court terme de la Fed pour acheter des obligations à plus long terme.

C’est là que le Trésor intervient. En plus d’accélérer le rythme des rachats d’obligations à plus long terme, le Trésor s’est de plus en plus appuyé sur des emprunts arrivant à échéance en un an ou moins pour financer ses opérations. Les avis peuvent diverger sur le moment où un simple ajustement des modalités d’émission cesse d’être une gestion proactive du passif pour devenir une manipulation de la courbe des taux, mais nous jugeons cette distinction peu utile dans ce contexte. Ce qui est certain, à notre sens, c’est que cette dépendance accrue aux bons du Trésor à court terme introduit un risque plus élevé pour les finances publiques américaines, en rendant les coûts de financement plus difficiles à prévoir. Cette situation renforce la pression sur la Fed qui sera davantage portée à maintenir les taux à court terme à de faibles niveaux pour limiter les effets économiques adverses liés à une hausse brusque des coûts d’emprunt.

Le Trésor, seul ou avec l’aide de la Fed, pourrait aussi utiliser d’autres outils, comme limiter les mouvements de capitaux ou obliger les institutions réglementées à acheter davantage d’obligations d’État. Pour l’instant, rien ne laisse penser que ces mesures soient sur la table, mais elles restent disponibles en cas de besoin.

Choisissez un prix, n’importe quel prix

La dernière façon pour un État souverain de gérer sa dette consiste à laisser l’inflation faire le travail. Qu’il s’agisse d’un objectif assumé ou simplement de la conséquence d’un compromis politiquement plus acceptable, à savoir des dépenses élevées, une fiscalité faible et des taux directeurs bas —, la question reste ouverte, mais surtout théorique. Au final, que l’inflation soit voulue ou subie, le résultat est le même : les prix montent.

Les économistes abordent traditionnellement l’inflation sous l’angle des prix à la consommation, mais il nous semble tout à fait légitime de considérer que la prodigalité budgétaire des gouvernements peut aussi se refléter dans les prix des actifs, en fonction de la manière dont les gains sont répartis entre les ménages. Les ménages à faible revenu ont tendance à dépenser un plus grand pourcentage de tout revenu supplémentaire, tandis que les ménages plus aisés affichent une propension plus forte à l’épargne et à l’investissement. Dans un contexte où les déficits publics bénéficient surtout aux ménages les plus riches, on peut s’attendre à une hausse de la demande pour des actifs d’investissement tels que l’or, les actions ou l’immobilier. Ce n’est sûrement pas un hasard si ces actifs atteignent aujourd’hui des records historiques.

Une autre manière d’aborder l’inflation des prix d’actifs liée aux déficits et à l’endettement des États-Unis est de passer par la question monétaire. À notre avis, le maintien artificiel de taux d’intérêt bas, l’instabilité des politiques économiques et les inquiétudes entourant les niveaux d’endettement ont contribué à la dépréciation du dollar de 10 % depuis le début de l’année par rapport aux autres principales devises. Une telle dépréciation de la monnaie de référence a pour effet d’abaisser la référence de valeur pour les actifs libellés en dollars, gonflant mécaniquement les rendements nominaux exprimés dans cette devise.

Un parcours aisé, une issue ardue ?

Il ne faut pas s’étonner si les hommes politiques optent pour la solution la plus facile et la plus populaire. Malheureusement pour les détenteurs de titres d’emprunt américains, cela veut dire des taux bas artificiels, des rendements relativement moindres par rapport à d’autres placements, et un risque de dépréciation des gains nominaux sous l’effet d’une inflation accrue.


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