Dette des États-Unis : Les faits changent, nos opinions aussi

Analyse
Perspectives

Les perspectives budgétaires du gouvernement américain ne peuvent plus être ignorées.

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18 juin 2025

Par Atul Bhatia, CFA

Points importants

  • Nous pensons que les investisseurs doivent être conscients du caractère fondamentalement insoutenable de la dynamique budgétaire aux États-Unis et de la forte probabilité, selon nous, que ce sont les marchés, et non les politiciens ni même les électeurs, qui seront les catalyseurs du changement.
  • Nous pensons que la diversification mondiale et la gestion de la volatilité constituent la meilleure réponse à la hausse des niveaux d’endettement.
  • À notre avis, le plus tôt les marchés rejetteront la dynamique actuelle, le mieux ce sera. Nous pensons que plus les marchés retarderont ce rejet, plus les coûts de l’intervention et de la correction augmenteront.

Nous croyons que notre opinion précédente était objectivement juste. La dette fédérale actuelle atteint une valeur record, mais les actions américaines se situent à des sommets inégalés ou presque et le cœur de la courbe des taux des obligations du Trésor (titres arrivant à échéance dans trois à dix ans) figure parmi les segments les plus performants du marché obligataire américain. De toute évidence, un portefeuille positionné en vue d’un effondrement des prix des actifs aux États-Unis en raison d’emprunts records aurait fait piètre figure.

Pourquoi maintenant?

Les faits ont toutefois changé, tout comme notre opinion. Nous ne croyons plus que les investisseurs devraient complètement ignorer la dette américaine lorsqu’ils constituent un portefeuille. Nous pensons plutôt qu’ils doivent tenir compte de l’effet des emprunts gouvernementaux à un rythme insoutenable sur le marché.

Une constante qui demeure toutefois est que nous ne croyons pas que la politique budgétaire devrait devenir le seul facteur à considérer. Nous demeurons par ailleurs fermement convaincus que toute discussion entourant un défaut de paiement potentiel de la dette américaine est hautement spéculative.

Bref, nous pensons que le luxe d’ignorer l’endettement du Trésor est chose du passé, mais que fuir aveuglément les actifs américains demeure une grave erreur.

Notre préoccupation croissante à l’égard du niveau d’endettement des États-Unis découle de l’interaction entre diverses dynamiques budgétaires, mais se résume à l’ampleur de la dette actuelle, au rythme des emprunts aux États-Unis et à un changement défavorable potentiel des incitatifs aux prêteurs. Ces tendances précipitent le moment où les États-Unis devront s’attaquer à leur dette et l’absence totale de réponse des électeurs et des politiciens nous porte à croire que les marchés devront jouer un rôle clé dans le changement.

Voici nos principales préoccupations décrites de façon plus détaillée :

  • Ampleur de la dette et du déficit : pendant les années qui ont précédé la pandémie de COVID-19, les déficits budgétaires aux États-Unis se situaient entre 2,6 % et 4,7 % du PIB, et les titres de créance détenus par le public en représentaient moins de 80 %. Historiquement, lorsqu’une crise survenait, le déficit budgétaire gonflait considérablement, mais une fois la crise passée, il fondait, souvent à moins de 2,5 % du PIB. Ce n’était pas idéal, mais c’était gérable. En revanche, la nouvelle approche « normale » depuis la pandémie, qui consiste à ajouter des déficits représentant 6,5 % du PIB à un endettement déjà équivalent ou supérieur au PIB, n’est ni idéale ni gérable, selon nous.
  • Solution politique apparemment impossible : aucun politicien n’admet qu’il est en faveur de déficits financés par la dette, mais les actes sont plus éloquents que les paroles. Sous les présidences démocrate et républicaine, avec un Congrès diversement composé, nous avons vu des programmes extrêmement coûteux (qu’il s’agisse de projets d’infrastructures ou de réductions d’impôt non financées) avoir priorité sur un retour à des niveaux de déficit gérables.
  • En ce qui concerne l’équilibre budgétaire, l’administration actuelle présentait deux avantages potentiels. Le premier était le Department of Government Efficiency (DOGE) (département de l’efficacité gouvernementale). Le second était l’infime majorité au Congrès qui donnait un important pouvoir de négociation aux conservateurs prônant la rigueur budgétaire. Malgré ce contexte prometteur, l’administration a soumis un projet de loi qui augmentera la dette de milliers de milliards de dollars au cours de la prochaine décennie. Nous avions des doutes au départ, mais à ce stade-ci, nous croyons qu’il est impossible de soutenir en toute crédibilité que les politiciens pourront atteindre l’équilibre budgétaire en l’absence de pressions externes.
  • Les pressions externes pourraient venir du marché : les pressions externes proviennent à notre avis des électeurs ou des marchés. L’idéal serait que la pression provienne des électeurs, car cela permettrait une approche pluriannuelle bien planifiée pour ralentir, puis inverser les tendances budgétaires. Mais comme pour la plupart des solutions idéales, nous craignons qu’elle ne soit hors de portée. Nous pensons plutôt que ce sont les pressions du marché, sous la forme de taux obligataires plus élevés, de cours boursiers inférieurs ou d’un dollar plus faible, qui réussiront à faire renverser les tendances actuelles. Pour que ces pressions fonctionnent, nous croyons qu’elles devront être marquées et importantes.
  • La diminution de l’intérêt pour les États-Unis entraînera-t-elle une hausse des taux d’intérêt? Les investisseurs étrangers détiennent environ le tiers de tous les titres de créance du Trésor. L’une des conséquences de la réduction du déficit commercial des États-Unis sera la réduction des sommes qui sont recyclées dans les obligations d’État, ce qui limitera l’un des acheteurs de titres du Trésor essentiel et largement insensible aux prix. Les investisseurs étrangers pourraient également être inquiets au sujet de l’article 899, une modification proposée aux lois américaines qui permettrait à un président d’imposer des surtaxes aux investisseurs provenant de pays dont les politiques fiscales sont considérées comme discriminatoires. En l’absence d’une base solide d’emprunteurs internationaux, les coûts de financement du gouvernement devraient augmenter, ce qui fait craindre des problèmes de viabilité de la dette. Comme le montre le graphique ci-dessous, des taux d’intérêt plus élevés se traduisent par une accumulation plus rapide de la dette, car il faut vendre de plus en plus de titres de créance pour pouvoir financer les déficits précédents.

En termes simples, les États-Unis sont aux prises avec plus de dettes, des déficits plus importants et des perspectives budgétaires pires qu’il y a seulement cinq ou dix ans. En ajoutant à cela un bassin de prêteurs marginalisés et des politiciens myopes, nous croyons que les investisseurs doivent tenir compte de la dynamique de la dette dans leur processus de placement.

Les taux d’intérêt élevés confèrent moins de souplesse budgétaire aux États-Unis

Les coûts de financement de la dette existante entraînent de plus en plus des déficits

Les coûts de financement de la dette existante entraînent de plus en plus
      des déficits

Le graphique montre le déficit ou l’excédent budgétaire annuel des États-Unis, les dépenses autres que d’intérêts par rapport aux revenus, et les frais d’intérêt par année depuis 1962, avec des projections jusqu’en 2055. Les frais d’intérêts nets devraient augmenter de façon constante, même si le déficit d’exploitation diminue.

  • Déficit d’exploitation
  • Intérêt net
  • Déficit total

Sources : RBC Gestion de patrimoine, Congressional Budget Office

Les obligations sont un incontournable

Dans ce contexte, les investisseurs devraient-ils fuir les titres du Trésor américain? Absolument pas, selon nous. Nous nous attendons toujours à ce que les obligations procurent une importante protection contre les baisses en cas de récession ou à mesure que la Fed réduira le taux directeur pour stimuler la croissance économique. Nous ne croyons pas non plus que les investisseurs devraient être particulièrement préoccupés par le risque de défaillance. En fin de compte, les États-Unis empruntent en dollars et peuvent émettre des dollars comme bon leur semble. Par conséquent, nous croyons que la probabilité de remboursement des titres du Trésor dans les délais impartis demeure incroyablement élevée.

Nous pensons toutefois qu’il serait prudent pour les investisseurs de réfléchir jusqu’à quelle échéance ils peuvent se rendre sur la courbe des taux des obligations du Trésor ainsi qu’au rendement supplémentaire qu’ils obtiennent en contrepartie du risque de volatilité. Après tout, le processus par lequel les marchés « forcent » le gouvernement à se soucier de la dette pourrait causer des baisses de prix en montagnes russes susceptibles de donner la nausée. Accepter un rendement supplémentaire léger et éviter ou réduire l’exposition aux titres du Trésor à 30 ans pourrait constituer une bonne dose de médecine préventive.

Ne pas s’enfuir, mais diversifier

En ce qui concerne les actions, nous croyons que l’argument en faveur de l’exposition aux États-Unis est encore plus évident. Les États-Unis demeurent une économie importante et dynamique, riche en ressources naturelles, dotée d’une main-d’œuvre créative et talentueuse et bénéficiant de technologies de pointe. Rien ne justifie selon nous le retrait d’une économie présentant de telles caractéristiques, d’autant plus que la plupart des autres grandes économies souffrent de leurs propres préoccupations à l’égard de la dette et du déficit.

Toutefois, conserver ses actions américaines ne signifie absolument pas de conserver exclusivement des actions américaines. Notre autre article Panorama de mi-année, « Un monde de possibilités? » indique clairement qu’il existe de solides arguments en faveur de la diversification internationale d’un portefeuille d’actions. La volatilité potentielle des actifs américains liée à la dette n’est qu’un autre incitatif.

Nous pensons qu’il est tout aussi important pour les investisseurs de tenir compte de la façon dont la contraction du déficit budgétaire fédéral, lorsqu’elle surviendra, pourrait influencer les cours des actions américains. Le niveau actuel élevé des bénéfices des sociétés s’explique en partie par l’incidence des dépenses publiques galopantes. Une grande partie du déficit financé par la dette de 6,5 % finit par se retrouver dans les états des résultats des sociétés. Une transition vers un meilleur équilibre budgétaire, si elle n’est pas bien planifiée, pourrait nuire aux bénéfices de certaines sociétés.

Inévitable, mais peut-être pas imminente

Nous sommes d’avis qu’une certaine forme de réaction du marché aux déficits et à la dette est en train de devenir inévitable, si elle ne l’est pas déjà devenue. Mais il y a un monde de différence entre l’inévitable et l’imminent. Les gens s’insurgent contre le danger de la dette américaine depuis près d’un demi-siècle, sans que cela soit traduit par des succès en matière d’investissements à ce jour. Nous sommes très conscients que le Japon affiche un ratio de la dette au PIB de près du double de celui des États-Unis et que les titres du Trésor sont émis en monnaie américaine en vertu des lois américaines, de puissants avantages.

Il est difficile de prévoir la fin d’une dynamique qui existe depuis 50 ans et il pourrait facilement s’écouler des mois, des années, voire des décennies avant que les investisseurs ne décident de reculer quant aux emprunts aux États-Unis. Nous sommes toutefois convaincus que plus les États-Unis attendront avant de régler leur problème de dette, plus le coût sera élevé pour les investisseurs et les contribuables.

Si ce n’est pas le début de la fin, c’est peut-être la fin du commencement

Pour les investisseurs, le risque repose généralement sur un continuum. À un certain niveau, un risque théorique n’a que peu d’incidence sur la formation des prix. À l’autre extrême, un résultat négatif est considéré comme tellement probable qu’il domine la pensée des investisseurs. Le monde compliqué de la formation des prix se situe entre ces deux extrêmes.

Jusqu’à présent, nous pensions généralement que la dette fédérale se situait du bon côté de l’éventail du risque; c’était une préoccupation théorique sans grandes conséquences pratiques. Nous croyons maintenant que nous sommes entrés en territoire plus glissant et qu’il faut réfléchir au moment et à la façon dont le rythme de la création de dettes aux États-Unis doit être freiné.


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