Incidence de la sortie du Royaume-Uni sur l’UE

Analyse
Perspectives

L’aube se lève sur une nouvelle Europe, et la détermination de l’UE sera mise à l’épreuve. Nous examinons ce qui attend le continent et ce que cela signifie pour la stratégie de placement.

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Frédérique Carrier
Première directrice générale et chef, Stratégies
de placement - RBC Europe Limited

Par Frédérique Carrier

  • La sortie d’un pays influent comme le Royaume-Uni représente un premier revers pour le bloc d’intégration expérimentale qu’est l’UE. Paradoxalement, cet événement semble toutefois avoir avivé le soutien à l’UE au sein des 27 pays restants.
  • Même si elle est malheureuse, la perte de l’apport du Royaume-Uni au sein de l’économie et du budget de l’UE devrait être gérable.
  • Les pressions se poursuivent pour accroître le rôle des politiques budgétaires. La rigueur budgétaire demeure la règle, mais plus le temps avance, plus ce modèle semble désuet. Il pourrait donc y avoir des changements.

D’une part, l’UE sentira les effets de la sortie d’un pays influent comme le Royaume-Uni. D’autre part, cet événement semble avoir renforcé la détermination d’une union qui, à notre avis, s’adaptera à sa nouvelle réalité. Au début de 2020, l’UE semblait avoir tourné la page sur une année 2019 difficile, mais les interruptions dans les usines chinoises provoquées par l’éclosion de coronavirus pourraient repousser la reprise de son économie au second semestre. Certaines mesures de relance budgétaire sont actuellement prévues et pourraient améliorer la situation sur le continent. Aussi, nous continuons de noter quelques possibilités de placement intéressantes.

Un premier revers

Lors de sa création en 1951, l’UE était un bloc axé sur le commerce du charbon et de l’acier, dont les membres étaient l’Allemagne de l’Ouest, la Belgique, la France, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas. Au départ, l’Allemagne de l’Ouest souhaitait réparer les torts qu’elle avait causés pendant la Seconde Guerre mondiale. Le pays espérait se réhabiliter en renonçant à une partie de sa souveraineté nationale et en intégrant un vaste groupe commercial et démilitarisé doté de procédures strictes.

Les cinq autres membres fondateurs y voyaient pour leur part une possibilité de se réconcilier et de compter sur la force du nombre. Par ailleurs, la France considérait le groupe comme un contrepoids potentiel à l’influence britannique et américaine. Depuis sa formation, le bloc est entré dans une période de paix et de prospérité inédite dans l’histoire du continent.

Le Royaume-Uni est le premier pays à quitter le groupe, qui comptait 28 membres. Malgré son arrivée tardive, en 1973, il était devenu un membre influent de l’UE, compte tenu de son économie (la deuxième en importance après celle de l’Allemagne) et de son penchant pour des pratiques de libre marché. De concert avec les Pays-Bas, la Suède, le Danemark, la Finlande et l’Irlande, le Royaume-Uni avait formé l’« alliance nordique » pour contrebalancer les politiques interventionnistes de la France. Le vide laissé par le Royaume-Uni devrait être comblé par les Pays-Bas, qui avaient tendance à rester discrets malgré le fait qu’ils représentent la cinquième économie en importance de l’UE. Cela dit, une alliance nordique sans Royaume-Uni pourrait perdre de son influence.

Depuis le vote sur le Brexit, le soutien à l’UE au sein de ses États membres est en hausse
Pourcentage de répondants au sondage, répartis selon leur avis sur l’adhésion de leur pays à l’UE :
Pourcentage de répondants au sondage, répartis selon leur avis sur l’adhésion de leur pays à l’UE chart

Une bonne chose

Une mauvaise chose

Une chose ni bonne, ni mauvaise

Ne sait pas

Source – RBC Gestion de patrimoine, Parlemètre 2019 (92.2), QB12

Fait étonnant, le Brexit semble avoir avivé le soutien à l’UE au sein des États membres restants, et pour cause : après le référendum de juin 2016, le Royaume-Uni a sombré dans un chaos politique qui n’est pas passé inaperçu.

En UE, de nombreux partis populistes contestataires ont même adouci leurs discours eurosceptiques, préférant se concentrer sur la lutte contre l’immigration pour séduire les électeurs. Les partis populistes de l’Italie, de l’Autriche et de la Hongrie ont tous essuyé des revers aux élections de 2019, mais cette tendance pourrait s’inverser si les inquiétudes sur l’immigration revenaient à l’avant-scène. Signe que les dangers liés à un gouvernement populiste en Italie semblent s’être dissipés, les écarts entre les taux des obligations d’État italiennes et allemandes sont récemment passés d’un sommet de 324 points de base (pb) à seulement 135 pb, un creux atteint en mars 2018.

Des conséquences économiques minimes

Fort de ses 27 États membres, l’UE demeurera l’une des trois plus importantes économies du monde, quoique, selon le Fonds monétaire international, sa part du PIB nominal mondial passera de 16 % à 14 %.

Même si l’UE perdait tout accès au marché britannique en raison de l’échec des pourparlers entourant un nouvel accord commercial, les effets seraient selon nous minimes, puisque le Royaume-Uni ne représente que 3 % du PIB de l’UE. De plus, les dégâts seraient compensés en partie par le déplacement du commerce, des investissements et des immigrants qualifiés du Royaume-Uni vers l’UE.

De même, il ne faut pas surestimer les effets de l’absence du Royaume-Uni sur le budget européen. Premièrement, ce budget représente à peine 1 % de la valeur totale de l’économie de l’UE. Aux fins de comparaison, le budget fédéral des États-Unis représente quelque 20 % du PIB national, et le Royaume-Uni consacre près de 40 % de son PIB aux dépenses publiques. Autrement dit, la majeure partie des dépenses sont engagées par les gouvernements nationaux.

Deuxièmement, la perte de l’apport net du Royaume-Uni au budget de l’UE, qui s’élevait à quelque 9 G£ (11,5 G$) en 2018, se fera certes sentir à Bruxelles, mais progressivement. En effet, conformément à l’accord sur le Brexit, le Royaume-Uni s’acquittera de ses obligations financières existantes, qui sont de l’ordre de plus de 30 G£ (43 G$).

Évidemment, le Royaume-Uni n’étant plus à la table, les négociations entourant les sept prochains exercices de l’UE (de 2021 à 2027) seront particulièrement épineuses, puisque les États membres devront se partager le reste de la note.

Défis à court terme

Pour l’instant, l’UE doit relever d’autres défis. Au terme d’une année 2019 difficile, l’activité économique au début de 2020 laissait présager une solide reprise de la croissance – une perspective maintenant compromise par l’éclosion de coronavirus. Les interruptions dans les usines chinoises nuisent non seulement à la demande d’exportation de l’UE, mais aussi aux chaînes d’approvisionnement de certaines sociétés européennes. Selon les estimations d’Eric Lascelles, économiste en chef, RBC Gestion mondiale d’actifs Inc., l’éclosion pourrait réduire l’activité économique de l’UE de quelque 0,2 %, mais l’ampleur des effets dépendra vraisemblablement de la durée et de la gravité des interruptions. RBC Marchés des Capitaux prévoit que la croissance du PIB pour 2020 s’établira à 1 %.

Les gouvernements nationaux sont pressés d’instaurer plus de mesures de relance budgétaires, notamment par la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, qui sait qu’il y a peu de place pour des interventions de politique monétaire lorsque les taux d’intérêt sont déjà négatifs. Cela dit, comme la région dispose d’une grande marge de manœuvre financière et que les coûts d’emprunt sont faibles, toute mesure de relance éventuelle pourrait être à la fois abordable et appropriée. Parmi les pays qui ont puisé dans leurs coffres en 2019, mentionnons la France, pour apaiser l’opposition des gilets jaunes aux hausses de taxes sur le carburant, mais aussi l’Italie et les Pays-Bas.

Pour sa part, l’Allemagne a résisté à l’appel. En vertu de sa constitution, elle ne peut accumuler de déficit structurel supérieur à 0,35 % de son PIB. Par conséquent, depuis 2014, elle enregistre un excédent budgétaire, qui a atteint un sommet en 2018, soit 1,9 % du PIB. Les autorités allemandes ont déclaré qu’elles élimineraient cette règle constitutionnelle si les circonstances l’exigeaient. Cependant, l’économie est en situation de plein emploi, et le gouvernement de la chancelière Angela Merkel estime que le ralentissement actuel n’est pas assez prononcé pour justifier d’importantes mesures de relance budgétaire ponctuelles.

En revanche, l’Allemagne pourrait mettre en œuvre des stratégies pour contourner les règles, par exemple au moyen d’instruments hors bilan émis par des organismes publics, qui permettraient de tirer profit des marchés financiers sans influer sur les livres du gouvernement central. De tels instruments ont d’ailleurs financé une partie des initiatives récentes visant à accélérer la transition vers des énergies propres et pourraient atténuer les effets du ralentissement.

Les dépenses devraient augmenter légèrement en 2020
Surplus ou déficit budgétaire des États membres de l’UE, en pourcentage du PIB de la région
Surplus ou déficit budgétaire des États membres de l’UE, en pourcentage du PIB de la région chart

Les dépenses budgétaires pourraient être plus généreuses, sous réserve de modifications au cadre budgétaire

Source : RBC Marchés des Capitaux ; exclut les versements d’intérêts

Pour l’instant, RBC Marchés des Capitaux anticipe des mesures de relance budgétaire de l’ordre de 0,4 % du PIB de l’UE pour 2020.

Mme Lagarde tente également de convaincre la Commission européenne, pouvoir exécutif de l’UE, de modifier sa politique budgétaire. La Commission envisage d’assouplir le cadre budgétaire de l’UE, qui vise un ratio dette-PIB de 60 % et un déficit d’au plus 3 % du PIB. Ces règles simples, qui datent d’une autre époque, sont devenues trop restrictives, dans un contexte où les taux d’emprunt ont atteint des creux historiques et où la croissance est atone. La Commission européenne entend proposer des modifications d’ici la fin de l’année.

Stratégie de placement

Nous sommes d’avis que l’UE, maintenant composée de 27 membres, saura s’adapter du fait de la culture axée sur le consensus qui lui a permis d’obtenir ce qu’elle voulait lors des négociations sur le Brexit. De plus, nous prévoyons que grâce à sa demande intérieure solide et jouissant de soutiens financiers, l’économie de la zone euro profitera d’une croissance suffisante, qui permettra aux sociétés de faire croître leurs bénéfices de quelque 5 % à 10 %.

Selon les prévisions générales pour 2021, l’indice STOXX Europe 600 hors Royaume-Uni devrait afficher un ratio cours-bénéfices peu élevé de 12,9x et un rendement en dividendes supérieur à 3 % ; dans ce contexte, nous croyons qu’une portion des portefeuilles peut être allouée à des sociétés européennes bien gérées, dotées de modèles d’affaires solides et jouissant d’une position de chef de file sur leurs marchés. Nous sommes par exemple d’avis que les investisseurs pourraient trouver des débouchés dans les secteurs de la consommation ou des produits industriels, notamment chez les sociétés capables de profiter des tendances structurelles (augmentation des dépenses en infrastructures, urbanisation, virage numérique).


Déclaration sur les analystes qui ne sont pas américains : Frédérique Carrier, une employée de RBC Europe Ltd., société affiliée de RBC Gestion de patrimoine – États-Unis, a participé à la préparation de la présente publication. Cette personne n’est ni inscrite ni qualifiée en tant qu’analyste de recherche auprès de l’organisme américain Financial Industry Regulatory Authority (« FINRA ») et, comme elle n’est pas associée à RBC Gestion de patrimoine, elle ne peut être assujettie au règlement 2241 du FINRA régissant les communications avec les entreprises visées, les apparitions publiques et les opérations sur valeurs mobilières dans les comptes des analystes de recherche.

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