BRICS : Pourquoi tant d’histoires ?

Analyse
Perspectives

Alors que l’association informelle de pays en développement se prépare à accueillir de nouveaux membres, nous examinons comment ces nouvelles relations pourraient façonner l’avenir.

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31 août 2023

Kelly Bogdanova
Vice-présidente et analyste de portefeuille
Services-conseils en gestion de portefeuille – États-Unis

Les sommets regroupant plusieurs pays sont courants, mais la récente assemblée annuelle des pays des BRICS a attiré beaucoup d’attention. Aux États-Unis et dans d’autres pays occidentaux, les analyses des médias d’affaires et grand public et celles des groupes de réflexion sur la politique étrangère étaient surtout empreintes de condescendance, de critiques ou même de moqueries. À notre avis, la plupart de ces analyses sont passées à côté de l’essentiel.

Il existe encore beaucoup de confusion à propos de ce que sont les BRICS (une association de pays souhaitant avoir leur mot à dire dans la conduite des affaires mondiales et approfondir leurs relations commerciales et stratégiques), mais aussi de ce qu’ils ne sont pas (un bloc formel comme le G7, l’OTAN ou l’AUKUS, qui confronte directement des pays rivaux).

En outre, l’objectif des BRICS n’est pas forcément clair : la réforme d’institutions internationales, comme le Conseil de sécurité de l’ONU, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, qui sont toutes dominées par les pays occidentaux développés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et l’instauration du système monétaire de Bretton Woods.

Il est également difficile de déterminer en quoi ces objectifs sont liés aux changements géopolitiques et géoéconomiques actuels qui, à notre avis, sont les plus importants depuis la fin de la Guerre froide.

Bienvenue au club

Le groupe des BRICS devient de plus en plus éclectique. Ses cinq membres (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) ont invité six autres pays à se joindre à eux : l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Iran, l’Égypte, l’Éthiopie et l’Argentine.

L’entrée de quatre pays du Moyen-Orient pourrait être le signe que l’influence des États-Unis recule dans la région. Des pays qui considéraient autrefois les États-Unis comme leur principal allié, tels que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, ne voient plus le monde de cette manière, selon l’experte du Moyen-Orient Helima Croft, cheffe mondiale, Stratégie marchandise, à RBC Capital Markets, LLC. Désormais, les États-Unis ne sont pour eux que l’un des partenaires importants avec lesquels ils collaborent.

Les quatre pays du Moyen-Orient entretiennent déjà des relations actives et constructives avec la Chine, la Russie et l’Inde, et les ont renforcées au fil des ans.

Pour l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Égypte, nous croyons que l’adhésion au groupe des BRICS est un moyen efficace de siéger à plusieurs organismes, au lieu de rester dans l’ombre des États-Unis et d’autres pays occidentaux. Les pays invités ne délaissent pas leurs relations avec les États-Unis et l’Occident ; leur décision de se joindre aux pays des BRICS est plutôt un moyen d’officialiser leurs liens déjà étroits et de plus en plus forts avec d’autres puissances.

Leur intérêt pour le groupe des BRICS montre de manière subtile (ou peut-être pas si subtile) aux puissances occidentales que les sanctions économiques et les gels et saisies d’actifs imposés de façon unilatérale, comme ceux visant la Russie dans la foulée de son intervention militaire en Ukraine, nuisent à l’économie mondiale et à l’ensemble de la chaîne logistique de la planète.

Tous les pays des BRICS s’opposent à de telles mesures unilatérales et ils ne sont pas disposés à s’en imposer mutuellement. Les six pays invités s’entendent sur ce point, selon le ministère russe des Affaires étrangères. Fait intéressant, il s’agit là de l’un des rares critères d’adhésion au groupe des BRICS.

Il semble donc presque certain, selon nous, que les pays du Moyen-Orient et de l’Afrique accepteront l’invitation des BRICS, puisque cela leur ouvrira des horizons économiques et commerciaux, et qu’ils gagneront en influence géopolitique et stratégique. Leur adhésion entrera en vigueur le 1er janvier 2024.

L’adhésion de l’Argentine est moins certaine, puisque la décision dépendra du résultat des prochaines élections présidentielles en octobre. Deux des principaux candidats ont indiqué qu’ils ne voulaient pas se joindre au groupe des BRICS.

Les pays des BRICS ont déclaré qu’au cours de la prochaine année, ils chercheraient à élaborer des mécanismes visant à accroître les échanges commerciaux en monnaies locales et à trouver une solution de rechange au système de paiement électronique occidental SWIFT. La Nouvelle Banque de développement du groupe redoublera d’efforts afin d’amasser et de fournir des capitaux pour les projets d’infrastructure.

Nous prévoyons qu’en 2024, le groupe élargi des BRICS invitera d’autres pays à devenir membres de plein droit ou qu’il créera un cadre de partenariat, peut-être sur le modèle de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), qui partage les mêmes vues.

Les pays des BRICS représentent trois des cinq premières économies et quatre des dix économies les plus importantes

Produit intérieur brut en 2022 selon la parité des pouvoirs d’achat

Classement Économie GPIB (millions de dollars internationaux)*
1 Chine 30 327 320
2 États-Unis 25 462 700
3 Inde 11 874 583
4 Japon 5 702 287
5 Russie 5 326 855
6 Allemagne 5 309 606
7 Indonésie 4 036 901
8 Brésil 3 837 261
9 France 3 769 924
10 Royaume-Uni 3 656 809
11 Turquie 3 180 984
12 Italie 3 052 609
13 Mexique 2 742 903
14 Corée du Sud 2 585 011
15 Canada 2 273 489
16 Espagne 2 181 968
17 Arabie saoudite 2 150 487
18 Égypte 1 674 951
19 Australie 1 626 940
20 Pologne 1 625 236
21 Iran 1 600 556
22 Pakistan 1 518 043
23 Thaïlande 1 482 098
24 Vietnam 1 321 256
25 Nigeria 1 280 716
  • Membres actuels et potentiels des BRICS

* Les dollars internationaux représentent l’équivalent du pouvoir d’achat d’un dollar américain lors de la comparaison d’économies nationales.

Sources : Banque mondiale, RBC Gestion de patrimoine

Le pouvoir d’une politique pragmatique

D’après nous, la presse occidentale et les groupes de réflexion sur la politique étrangère ont exagéré les prétendus désaccords entre la Chine et l’Inde et déformé la façon dont ces deux pays perçoivent les pays des BRICS, l’augmentation du nombre de membres et leurs rôles au sein de ce groupe.

À l’approche du sommet, bien des manchettes ont trompeté que l’Inde s’opposait à l’expansion du groupe des BRICS. Or, le premier ministre de l’Inde, Narendra Modi, et son ministre des Affaires étrangères ont catégoriquement rejeté cette idée lors du sommet, et ont joint le geste à la parole en faveur de l’élargissement du groupe.

Soulignons que les relations entre la Chine et l’Inde ont plus de chances de s’améliorer que de se détériorer, à notre avis.

Une semaine avant le sommet des BRICS, les médias ont révélé que les dirigeants militaires chinois et indiens avaient convenu de résoudre rapidement le conflit de longue date qui oppose les deux pays à la frontière himalayenne. Depuis 1962, cinq échauffourées ont éclaté le long de cette frontière d’environ 3 400 km, la dernière datant de 2020.

Xi Jinping, le président chinois, et Narendra Modi se sont entretenus durant le sommet des BRICS, notamment sur la façon d’accroître leurs efforts pour mettre un terme à ce différend.

Outre l’expansion du groupe des BRICS, le rapprochement possible entre la Chine et l’Inde a représenté la plus grande nouvelle du sommet. La résolution du conflit frontalier constituerait sur le plan géopolitique et géoéconomique un progrès tout aussi remarquable que la récente réconciliation de l’Arabie saoudite et de l’Iran.

Il est dans l’intérêt de la Chine et de l’Inde d’élargir leurs liens économiques et d’apaiser les tensions de voisinage. En 2022, d’après la Banque mondiale, la Chine et l’Inde se sont classées respectivement aux premier et troisième rangs pour la taille du produit intérieur brut (PIB) selon la parité des pouvoirs d’achat. Le total des échanges commerciaux entre les deux pays a augmenté de 444 % de 2006 à 2022, passant de 25 milliards de dollars à près de 136 milliards de dollars par an. La Chine est le principal partenaire commercial de l’Inde pour les biens.

À en juger par la couverture médiatique, Washington et certains de ses alliés semblent craindre un éloignement de l’Inde, comme si ce pays ne pouvait pas à la fois avoir des relations amicales avec l’Occident et entretenir de solides liens avec d’autres pays. La mentalité « nous ou eux », de plus en plus prévalente, est malavisée à notre avis, surtout du point de vue économique.

L’Inde mène une politique étrangère résolument et fièrement indépendante depuis la fin de la domination britannique en 1947. Les hauts responsables des gouvernements qui se sont succédé depuis lors, y compris celui de Narendra Modi, ont clairement indiqué que le pays chercherait à maintenir des liens étroits avec les États-Unis et d’autres partenaires occidentaux, tout en se rapprochant de pays situés à l’extérieur de la sphère d’influence de l’Occident, dont certains sont considérés comme des rivaux – ou pire – par les États-Unis. L’Inde suit cette voie depuis des décennies et elle ne s’en écartera pas de sitôt, selon nous.

De nombreux pays en développement entretenant des liens constructifs avec l’Occident cherchent à imiter l’approche équilibrée de l’Inde en matière de politique étrangère et économique, d’où leur intérêt pour les BRICS et l’OCS.

Un modèle plus axé sur le consensus

Nous pensons que les BRICS, au lieu d’être à l’origine des problèmes qui fragilisent l’ordre géopolitique et géoéconomique actuel, sont plutôt le résultat de l’évolution de ce dernier. Grâce à leur poids économique croissant et à leurs ressources naturelles essentielles, les pays en développement peuvent exiger d’avoir leur mot à dire sur la conduite des affaires mondiales.

Les États-Unis dirigent la plupart des institutions internationales d’influence occidentale, soit directement, soit dans les faits, et en général, leurs proches alliés suivent leur exemple.

Toutefois, les nouvelles organisations non occidentales, comme le groupe des BRICS et l’OCS, prônent le consensus ; elles n’ont pas de chef officiel ou de fait. Les pays membres s’entendent et coopèrent lorsqu’il est avantageux de le faire. Ils ne s’offusquent pas lorsqu’ils sont en désaccord et n’exercent aucune pression les uns sur les autres. Ils permettent des opinions diverses sur des questions importantes. Ils considèrent également qu’il est important de ne pas se mêler des affaires des autres quand il est sensé d’agir de la sorte.

Cette structure informelle et souple permet aux pays en développement d’affirmer leur souveraineté et de profiter d’avantages économiques, commerciaux et géostratégiques. Voilà les principales raisons pour lesquelles nous pensons qu’un groupe diversifié de pays en développement s’intéresse aux BRICS.

Pour de plus amples renseignements sur les BRICS et les bouleversements spectaculaires de l’ordre économique mondial, veuillez consulter notre rapport intitulé « Un monde fragmenté : risques et occasions à l’aube de la démondialisation. 


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Kelly Bogdanova

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