Nouvelles de la Réserve fédérale : le dilemme du double mandat et l’indépendance menacée

Analyse
Perspectives

Malgré les inquiétudes exprimées dans les médias et la récente nomination de deux nouveaux candidats à la Réserve fédérale par Trump, il est peut-être prématuré de conclure que l’indépendance de la Fed a été compromise.

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Tasneem Azim-Khan
Vice-présidente et stratège en chef, placements

Le 17 septembre, la Réserve fédérale américaine (la Fed) a abaissé ses taux d’un quart de point, une décision qui était largement attendue. Plus important encore, les graphiques à points de la Fed, qui représentent la trajectoire future des taux selon les prévisions des membres du Comité fédéral de l’open market (FOMC), indiquent un virage accommodant, avec de nouvelles baisses d’un demi-point au total d’ici la fin de l’année (soit une fourchette de taux de 3,5 % à 3,75 %), et une autre baisse d’un quart de point l’an prochain. Ce début d’assouplissement ne reflète pas un ralentissement de l’économie (la croissance du PIB ayant remarquablement bondi de 3,8 % au deuxième trimestre), mais signale plutôt aux marchés que la Fed estime que, dans le cadre de son double mandat, le risque penche actuellement davantage du côté de l’emploi que de l’inflation. Ce changement dans l’équilibre des risques intervient à la suite d’une importante révision à la baisse des chiffres sur l’emploi au cours des derniers mois, tandis que le taux de chômage a progressé en août (tout en demeurant relativement bas à environ 4,3 %).

En d’autres termes, la récente décision de la Fed pourrait s’apparenter à une « baisse préventive », tandis que ses commentaires laissent entendre que la trajectoire future des taux d’intérêt demeure très incertaine. En l’occurrence, concernant la politique de taux d’intérêt, le président de la Réserve fédérale Jerome Powell a déclaré lors de la conférence de presse à l’issue de la réunion que la « situation sera réévaluée à chaque réunion ». 

Dans les faits, les deux volets du mandat de la Fed (plein emploi et stabilité des prix) évoluent dans des directions opposées, car les pressions stagflationnistes semblent s’accentuer au sein de l’économie, et l’argument de l’exceptionnalisme américain ne tient plus. En effet, les chiffres de l’inflation en août selon l’indice des prix à la consommation (IPC) confortent cette analyse. L’inflation globale a augmenté pour atteindre 2,9 % sur 12 mois (un taux largement conforme aux prévisions générales), mais la tendance plus préoccupante est l’accélération de l’inflation selon l’IPC de base (excluant les prix de l’énergie et des aliments) pour le troisième mois consécutif, avec une progression d’un peu plus de 3 % sur 12 mois en août.

En outre, la Fed doit avoir conscience qu’elle intervient sans disposer de toutes les informations concernant la stratégie des droits de douane de l’administration Trump (la renégociation de l’ACEUM et la décision de la Cour suprême des États-Unis ajoutant une autre dose d’incertitude). Jusqu’à présent, les entreprises américaines semblent globalement ne pas avoir répercuté les hausses de prix liées aux droits de douane sur les consommateurs, mais nul ne peut prédire combien de temps elles pourront soutenir la demande avant de devoir protéger leurs marges. Il convient également de garder à l’esprit que les importantes mesures de relance budgétaire en soutien à l’économie américaine, au travers de l’adoption de la loi « One Big Beautiful Bill » (dont les coûts s’élèveraient à environ 3 billions de dollars au cours des dix prochaines années selon le Bipartisan Policy Center), sont dans les faits comparables à au moins une ou deux baisses de taux, mais leurs effets sont plus immédiats (les changements de taux ayant tendance à se répercuter sur l’économie avec un certain décalage). L’équilibre des risques pourrait donc très bien pencher de nouveau du côté de l’inflation au cours des mois à venir, et la position accommodante évoquée plus haut pourrait redevenir restrictive, ce qui conduirait la Fed à maintenir ses taux inchangés lors de sa prochaine réunion à la fin d’octobre. Par conséquent, même si plusieurs autres baisses de taux semblent se profiler, nous n’envisageons pas un cycle complet d’assouplissement à moyen ou à long terme dans notre scénario de base.

La Fed demeurera probablement dépendante des données, mais qu’en est-il de son indépendance ?

Alors que la Fed fait face à un contexte mouvant et incertain où les deux volets de son double mandat lui opposent une résistance, son indépendance même a récemment fait l’objet d’une grande attention.

Le président Donald Trump n’a pas hésité à réclamer que la Fed non seulement abaisse ses taux, mais également qu’elle les réduise de façon significative. À plusieurs reprises, le président a publiquement critiqué M. Powell pour son approche en matière de baisse des taux d’intérêt qu’il juge trop prudente, et l’a surnommé « Trop tard Powell ».  Lors de son premier mandat, le président Trump a envisagé de révoquer le président de la Fed (qu’il avait lui-même nommé), mais il s’est rapidement ravisé après l’opposition des marchés. Au cours de son deuxième mandat, il a de nouveau envisagé cette possibilité et a même partagé son opinion avec les autres élus républicains, qui semblaient globalement lui donner raison.

Si M. Powell reste néanmoins en poste, c’est probablement parce que les motifs sont insuffisants pour le destituer, ou sont au mieux fallacieux. Plus tôt cette année, la décision de la Cour suprême des États-Unis a permis de statuer que la loi protégeait le président Powell d’une éventuelle révocation par le président Trump, au motif que la relation entre le général en chef et la Fed était différente de celle avec les autres agences fédérales indépendantes. M. Trump s’est probablement résigné à attendre que le mandat de président de la Fed de M. Powell expire en mai de l’année prochaine, date à partir de laquelle celui-ci pourrait soit se retirer, soit demeurer gouverneur de la Réserve fédérale (son mandat expirant en janvier 2028).

En août, M. Trump a intensifié ses attaques contre la Fed en tentant de renvoyer la gouverneure de la Réserve fédérale Lisa Cook, sur la base d’allégations de fraude hypothécaire concernant des demandes de prêt déposées pour deux résidences dont elle est propriétaire. Mme Cook a depuis poursuivi M. Trump en saisissant la Cour de district de Washington D.C. Le juge président a interdit à M. Trump de limoger Mme Cook au début du mois de septembre, le temps que le recours que celle-ci a déposé soit examiné. L’affaire opposant M. Trump à Mme Cook est désormais entre les mains de la Cour suprême des États-Unis, qui a récemment statué que Mme Cook était pour le moment autorisée à demeurer à son poste de gouverneure de la Réserve fédérale. En d’autres termes, la Cour suprême a rejeté la demande de M. Trump de la destituer immédiatement, mais elle entendra les plaidoiries sur le limogeage de Mme Cook en janvier prochain.

M. Trump a tout de même remporté une petite victoire en nommant Stephen Miran, le président du Comité des conseillers économiques (CEA), en remplacement de l’ancienne gouverneure Adriana Kugler, qui a démissionné au début du mois d’août. M. Miran exercera ses fonctions jusqu’à l’expiration du mandat de Mme Kugler en janvier prochain, date à partir de laquelle il pourrait être reconduit. Il convient de noter que M. Trump a également nommé les gouverneurs de la Fed Christopher Waller et Andrea Bowman, respectivement au cours de son premier mandat et de son deuxième mandat.

En dépit de toute l’agitation dans les médias et de la nomination par M. Trump de deux nouveaux gouverneurs à la Fed au cours de son mandat actuel, nous pensons qu’il serait prématuré d’affirmer que l’indépendance de la Fed est compromise. La possible dissidence de plusieurs membres du Comité avait alimenté les débats à l’approche de la dernière réunion du FOMC, mais M. Miran a finalement été le seul à voter en faveur d’une baisse d’un demi-point plutôt que d’un quart de point. Il n’a pas été rejoint par M. Waller ou Mme Bowman, qui avaient pourtant plaidé en faveur d’un abaissement des taux et s’étaient opposés aux décisions relatives aux taux d’intérêt lors des réunions précédentes.

Livrons-nous à un exercice simplifié qui implique un jeu de chaises musicales à la Fed : si M. Miran est reconduit, que Mme Cook est évincée et que M. Powell décide de se retirer, trois nouveaux membres dont les positions seraient davantage en phase avec la stratégie de taux d’intérêt prônée par M. Trump pourraient siéger au FOMC, sur un total de 12 membres. Si M. Waller et Mme Bowman sont également inclus dans le camp des gouverneurs favorables à un abaissement des taux, M. Trump aurait le soutien de cinq membres sur douze, ce qui est loin de représenter la majorité. Enfin, d’ici que ces changements se produisent (sous réserve qu’ils soient confirmés), nous devrions arriver au printemps ou à l’été 2026 et les taux pourraient être déjà plus bas, ce qui ferait retomber les pressions politiques sur la Fed à un niveau plus modéré. 

Nous pensons que la réaction défavorable que pourrait susciter une nouvelle atteinte à l’indépendance de la Fed devrait tempérer la rhétorique belliqueuse de l’administration Trump. La poursuite des attaques contre l’indépendance de la Fed pourrait rendre les prochaines décisions de la banque centrale encore plus opaques et entamer la crédibilité de ses futures interventions aux yeux des investisseurs. Comme le président Powell l’a formulé avec justesse lors de sa dernière conférence de presse, il n’existe pas de « chemin sans risque à présent et il n’est vraiment pas évident de déterminer la voie à suivre ». Nous ne pouvons pas être plus d’accord. 

La Banque du Canada réduit son taux directeur et se laisse une marge de manœuvre pour ses décisions à venir

Lors de sa réunion de septembre, la Banque du Canada (BdC) a également abaissé son taux directeur d’un quart de point, le ramenant à 2,5 % en raison de la faiblesse du marché de l’emploi (le taux de chômage a récemment atteint son plus haut niveau en neuf ans, si l’on exclut la période de la pandémie), d’une contraction de 1,6 % du PIB au deuxième trimestre et d’une relative atténuation des risques de hausse de l’inflation.

Il s’agissait de sa première baisse de taux depuis mars dernier, et la BdC s’est dite prête à réduire davantage ses taux si les données économiques indiquent un ralentissement plus marqué au cours des prochains mois. Comme on pouvait s’y attendre, le gouverneur de la BdC Tiff Macklem a souligné que le niveau d’incertitude liée aux droits de douane américains demeurait élevé. La décélération de la croissance démographique attribuable à un recul significatif de l’immigration, conjuguée à la faiblesse persistante du marché de l’emploi, devrait freiner la consommation des ménages au cours des prochains mois.

La prochaine réunion de la BdC aura lieu le 29 octobre, avant la publication du budget fédéral qui est prévue le 4 novembre. M. Macklem a fourni très peu d’indications prospectives lors de la réunion de septembre, ce qui laisse à la banque centrale une marge de manœuvre importante face à un contexte économique instable.

D’ici cette date, les données de septembre sur l’inflation et l’emploi, ainsi que les résultats de l’Enquête sur les perspectives des entreprises réalisée par la BdC pour le troisième trimestre, devraient avoir été scrutés de près et intégrés dans la prochaine décision de la BdC. Nous sommes d’avis que la banque centrale pourrait vouloir procéder à une autre baisse de taux préventive avant la publication du budget, puis estimer qu’il serait prudent de marquer une pause, car l’augmentation des dépenses budgétaires du gouvernement fédéral pourrait avoir un effet inflationniste. Les taux s’établiraient alors autour de 2,25 % d’ici la fin de l’année (conformément aux prévisions générales).

Selon Services économiques RBC , la BdC devrait poursuivre sa politique d’assouplissement compte tenu des préoccupations économiques, à moins que le marché de l’emploi ne se redresse de façon significative ou que les pressions inflationnistes ne s’accentuent à nouveau.


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