Les risques qui pèsent sur le transport maritime sont-ils sous-estimés ?

Analyse
Perspectives

Étant donné que le canal de Suez et le canal de Panama fonctionnent en deçà de leur capacité, les coûts d’expédition mondiaux augmentent. Nous évaluons les avantages et les inconvénients de la situation pour les entreprises et tentons de déterminer qui pourrait en profiter ou en pâtir.

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25 janvier 2024

Frédérique Carrier
Première directrice générale et chef, Stratégies
de placement - RBC Europe Limited

Le trafic sur le canal de Suez, la voie navigable en Égypte qui relie la mer Rouge à la mer Méditerranée, a chuté. Les militants houthis soutenus par l’Iran ont attaqué des navires commerciaux sur cette route commerciale cruciale qui relie la Chine à l’Europe et à la côte est des États-Unis. Les militants ont indiqué que leurs attaques visent à riposter à la guerre que livre Israël au Hamas à Gaza.

Helima Croft, stratège en chef pour les marchandises à l’échelle mondiale à RBC Capital Markets, LLC, estime qu’environ 12 % du commerce mondial (soit l’équivalent de 10 % de la production pétrolière de l’OPEP) transitent habituellement par la mer Rouge, la majeure partie du trafic étant en route vers le canal de Suez ou en provenance de celui-ci.

Les données compilées par le Fonds monétaire international et l’Université Oxford indiquent une baisse de 40 % des passages quotidiens sur le canal de Suez par rapport aux sommets de 2023.

Étant donné les attaques des houthis, la plupart des porte-conteneurs sont redirigés, et bon nombre d’entre eux optent pour la route qui passe par le cap de Bonne Espérance, à la pointe sud de l’Afrique. Eric Lascelles, économiste en chef à RBC Gestion mondiale d’actifs, a indiqué que ce détournement peut augmenter le temps des déplacements de 25 %, ce qui fait grimper le coût des marchandises expédiées.

Sécheresse dans le canal de Panama

Ironie du sort, l’une des autres voies navigables artificielles sur la planète, le canal de Panama, route importante pour les marchandises en provenance d’Asie et à destination des États-Unis qui relie les océans Atlantique et Pacifique, éprouve également des difficultés, mais pas pour des raisons géopolitiques.

Selon Bloomberg, des marchandises d’une valeur de 270 milliards de dollars passent par le canal de Panama chaque année et 40 % de tous les conteneurs américains y transitent. Dernièrement, le niveau de l’eau exceptionnellement bas a limité le nombre de navires traversant le canal, tandis que l’expansion mal gérée du canal terminée en 2016 exacerbe le problème.

À mesure que l’embouteillage s’est aggravé, les autorités ont dû limiter l’accès à la voie navigable. Désormais, de 22 à 24 navires seulement passent par le canal chaque jour, en baisse par rapport à 36 à 38. De plus, dans certains cas, les navires sont forcés de réduire leur cargaison afin de diminuer leur poids. Par conséquent, les marchandises mettent plus de temps à atteindre leur destination.

Selon M. Lascelles, la réduction du nombre de navires et de leur cargaison devrait demeurer à peine la moitié du niveau normal jusqu’en février 2024 au moins, et les répercussions devraient persister tout au long de l’année.

Hausse des prix des cargaisons

En raison de ces perturbations, en particulier les attaques dans la région du canal de Suez, les coûts d’expédition au comptant sont en augmentation cette année. L’indice mondial des conteneurs de Drewry, un baromètre des prix au comptant pour le transport d’un conteneur de 40 pieds (12 mètres) sur les principales routes commerciales est-ouest, a augmenté de plus de 139 % depuis le début de l’année, même s’il est bien en deçà du sommet atteint durant la crise de COVID-19.

Les tarifs pour le transport d’un conteneur de 40 pieds ont monté en flèche et sont à présent deux fois plus élevés que la moyenne de 2023

Prix du transport de référence selon l’indice composé mondial des conteneurs de Drewry (tarif au comptant par conteneur de 40 pieds en $ US)

Prix du transport de référence selon l’indice composé mondial des conteneurs de Drewry

Le graphique linéaire montre l’indice composé mondial des conteneurs de Drewry, qui représente le coût moyen en dollars américains de l’expédition d’un conteneur de 40 pieds sur les huit principales routes est-ouest. Le coût a augmenté d’environ 139 % depuis le début de l’année et est maintenant plus du double du coût moyen en 2023, qui était de 1 674 $. Le graphique montre que l’indice a culminé au-dessus des 10 000 $ US au plus fort de la pandémie de COVID-19 en 2021 et qu’il se situe actuellement à 3 964 $.

Source – RBC Wealth Management, Bloomberg; weekly data through 1/25/24

Or dans les faits, peu d’entreprises ressentiront l’effet total de la hausse des prix au comptant. Les coûts d’expédition font généralement l’objet de contrats à long terme; ils sont donc moins volatils que les prix au comptant. Cela dit, les entreprises qui ont des contrats à long terme pourraient tout de même devoir composer avec des coûts plus élevés en raison des détournements et de la hausse des frais d’assurance.

Les bonnes et les mauvaises nouvelles pour les entreprises

D’un côté, les entreprises mondiales de transport maritime profiteront probablement de la hausse du prix des cargaisons. Les entreprises de logistique et les entreprises de cargaison aérienne pourraient également tirer parti de la situation, alors que certains clients choisiront le transport de cargaison par voie aérienne.

D’un autre côté, des entreprises pourraient être aux prises avec des coûts de transport plus élevés ou des retards de livraison. Certaines tenteront de refiler la hausse des coûts aux consommateurs en augmentant les prix. Mais celles dont le pouvoir de fixation des prix s’est détérioré en 2023 devront peut-être absorber ces coûts plus élevés, ce qui grugera les marges.

De plus, les retards d’expédition pourraient entraîner des pénuries temporaires. Pour les industries qui fonctionnent selon le système « juste-à-temps », comme les constructeurs automobiles, une telle situation peut devenir problématique très rapidement, car les stocks de composantes sont maintenus au strict minimum dans ce système. Tesla vient d’annoncer une interruption de production de deux semaines à son usine allemande en attendant la livraison de composantes.

En revanche, les entreprises qui conservent d’importants stocks dans leurs entrepôts, comme le font de nombreux détaillants, seront peut-être en meilleure posture dans ce contexte. Toutefois, si les perturbations et les pénuries persistent, l’épuisement des stocks pourrait entraîner des pertes de ventes.

Pressions inflationnistes?

Étant donné que certaines entreprises sont réticentes à refiler la hausse des coûts aux consommateurs, le risque direct d’inflation découlant de la hausse des coûts de transport pourrait être moins élevé. L’Europe étant la région la plus touchée par les attaques sur la mer Rouge, Eric Lascelles estime que la hausse des coûts d’expédition pourrait ajouter jusqu’à un demi-point de pourcentage à l’inflation en Europe au cours des prochains mois si les perturbations persistent.

Cependant, nous pensons toujours que le principal risque pour l’inflation est la possible escalade du conflit au Moyen-Orient avec une intervention accrue de l’Iran. Si tel était le cas, Mme Croft estime que l’offre énergétique régionale pourrait être compromise, car l’Iran possède d’importants actifs énergétiques. Le pays pourrait aussi, comme il l’a fait lors de conflits antérieurs, mettre en péril le trafic maritime qui passe par le détroit d’Ormuz, passage essentiel entre le golfe Persique et la mer libre pour l’offre énergétique mondiale. Si l’offre énergétique régionale était compromise, les prix du pétrole pourraient grimper, ce qui alimenterait l’inflation.

Nouveaux risques

Jusqu’à maintenant, les récentes perturbations dans le canal de Suez ont eu peu d’incidence sur les marchés financiers dans leur ensemble. Les marchés semblent croire que les attaques des houthis diminueront maintenant que les États-Unis et le Royaume-Uni envoient des navires de guerre dans la mer Rouge pour protéger les navires de charge et qu’ils lancent des attaques ciblées contre le Yémen.

Cela dit, la perturbation des deux principales voies de navigation pourrait éventuellement entraîner une hausse de l’inflation et avoir une incidence sur les chaînes d’approvisionnement mondiales. La récente résilience des marchés boursiers, alors que les idées d’atterrissage en douceur et de baisse de l’inflation ont gagné en popularité, pourrait être mise à l’épreuve.


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