Par Jim Allworth
L’économie mondiale et le secteur financier ont connu plusieurs changements majeurs au cours du premier semestre de l’année. Voici les principaux.
Tout d’abord, la Réserve fédérale (Fed) et la Banque du Canada ont délaissé leur attitude tolérante par rapport à l’inflation élevée pour adopter une intransigeance résolue. Les relèvements de taux ont non seulement commencé, mais ils se sont également accentués au cours des 60 derniers jours, tout comme la rhétorique sur les hausses à venir.
Les banques centrales ne réduisent plus les rendements des obligations à l’aide de mesures d’assouplissement quantitatif, ce qui fait fortement grimper les taux des obligations à long terme.
La plupart des prévisionnistes (y compris nous-mêmes) s’attendaient à ce que l’augmentation graduelle de l’inflation l’an dernier entraîne une flambée des prix au premier semestre de l’année en cours, mais ils en ont sous-estimé l’ampleur. Le conflit entre l’Ukraine et la Russie a intensifié les pressions haussières sur les prix du pétrole, du gaz naturel et de la plupart des produits agricoles.
Les perturbations des chaînes logistiques se sont résorbées bien plus lentement que prévu, du fait des nouvelles fermetures de la Chine.
Alors que les dépenses de consommation se réorientent des biens vers les services, les stocks de biens invendus augmentent aux États-Unis et les nouvelles commandes s’affaiblissent, laissant entrevoir que le secteur manufacturier pourrait connaître un ralentissement au deuxième semestre.
Pendant ce temps, les pénuries actuelles de main-d’œuvre ont une incidence sur la reprise du secteur économique des services.
L’envolée de l’inflation et des rendements des obligations a exercé des pressions à la baisse sur les valorisations du marché boursier en réduisant la valeur actualisée des bénéfices futurs. (La hausse des rendements des obligations de 2 % à 3 % réduit de 9 % la valeur actualisée d’un dollar de bénéfice gagné après 10 ans.)
L’effet le plus marqué a été ressenti par les actions de croissance à mégacapitalisation et à ratio cours/bénéfice (C/B) élevé, dont les six titres les plus importants représentaient plus de 25 % de la valeur du S&P 500 au sommet du marché au début de janvier. Leur rendement a d’ailleurs souffert du dévoilement, au premier trimestre, d’une baisse des bénéfices de trois des plus grandes sociétés, soit Amazon, Meta (Facebook) et Alphabet (Google).
Cette pression baissière amplifiée engendrée par un petit nombre de titres à très grande capitalisation aide à comprendre pourquoi l’indice TSX du Canada (recul de 14 %), qui ne comprend aucun de ces six titres, s’est mieux comporté que l’indice américain (repli de 22 %).
Aux États-Unis, l’effet combiné des problèmes persistants des chaînes logistiques, des stocks démesurés et des pénuries de main-d’œuvre a réduit considérablement la confiance des entreprises, ce qui a également miné la confiance des investisseurs. Jusqu’à présent, les prévisions des résultats pour 2022 et 2023 n’ont subi aucun changement, mais elles seront sans doute revues à la baisse si certaines d’entre elles sont davantage empreintes de prudence au deuxième trimestre.
Les mesures de la confiance des investisseurs se sont révélées très négatives dernièrement. Ce pessimisme unanime ne se manifeste pas au sommet des marchés, mais s’observe souvent quand les cours frôlent ou atteignent des creux. Toutefois, même si les marchés devaient grimper à partir de maintenant, les points de vue sur l’ampleur et la durée de leur reprise sont nettement pessimistes. L’interprétation consensuelle des observateurs du marché américain est une « reprise sur fond de marché baissier ».
Peut-être, mais pas forcément. Il est intéressant d’examiner les résultats possibles du marché en tenant compte des deux écoles de pensée dominantes sur la trajectoire probable de l’inflation au cours des deux prochaines années. Selon l’un des points de vue, l’inflation deviendra un problème plus grave et plus inexorable que ne l’ont encore reconnu les banques centrales et le marché. Les attentes inflationnistes des consommateurs américains ont récemment bondi à 5,5 %, soit au-dessus de la fourchette de 2 % à 4,5 % prévalant depuis plus de deux décennies. Toujours d’après ce point de vue, pour contenir ces attentes, la Fed devra augmenter les taux de manière nettement supérieure aux prévisions et les maintenir ainsi plus longtemps.
Cette situation accentuerait considérablement les risques d’un dépassement du taux des fonds fédéraux, suscitant ainsi le genre de resserrement excessif des conditions de crédit qui rendraient inévitable une récession. Une récession serait sans aucun doute néfaste pour les bénéfices des sociétés et le cours des actions, et on l’associe généralement à un marché baissier pour les actions.
Toutefois, selon ce scénario, avant l’avènement d’un tel repli douloureux de l’économie et du marché, l’économie américaine traverserait probablement une longue période durant laquelle la Fed chercherait à stimuler une économie en surchauffe pendant beaucoup plus longtemps que prévu, peut-être jusqu’en 2023 et même en 2024. Durant cette période prolongée, il pourrait survenir une hausse plus rapide que prévu des ventes et des bénéfices stimulés par l’inflation. Il serait étonnant que les nouveaux sommets des ventes et des bénéfices ne s’accompagnent pas de nouveaux sommets pour le cours des actions.
Quelle ampleur aura ce nouveau sommet ? Le passé pourrait s’avérer intéressant à cet égard. Voilà exactement ce qu’a fait la Fed du début de 1977 à la fin de 1979, c’est-à-dire qu’elle a cherché à stimuler une économie en surchauffe, ce qui a fait augmenter le taux des fonds fédéraux de 5 % à 15 %. L’économie a connu une croissance et les bénéfices par action du S&P 500 ont progressé de 40 % durant cette période de trois ans, ce qui s’est avéré très satisfaisant. L’indice est toutefois demeuré stable, soit à environ 100, du début à la fin. Les rendements des obligations sont passés de 7 % à près de 11 % au cours de la même période, ce qui a réduit les rations C/B et limité les investisseurs détenant des fonds indiciels à des rendements ne dépassant pas ceux des dividendes.
À notre avis, la même dynamique produirait sans doute des résultats similaires si le scénario de la Fed comportant des hausses plus rapides sur une plus longue période devait se concrétiser au cours des deux prochaines années. Il se peut donc que les moyennes remontent à d’anciens sommets et qu’elles les dépassent même, mais tout porte à croire que le potentiel d’appréciation serait fortement limité par la hausse des rendements des obligations.
Comme on l’a vu durant la période de 1977 à 1979, évoquée précédemment, l’indice S&P/TSX devrait faire mieux que ses homologues américains étant donné sa plus grande exposition aux marchandises. Toutefois, les secteurs de la foresterie, des métaux et de l’exploitation minière sont tous des composantes beaucoup moins importantes de l’économie et du marché qu’ils ne l’étaient en 1977. Pendant ce temps, le secteur de l’énergie, qui profite de la hausse des prix, demeure contraint par l’incapacité de déployer les produits, une situation qui ne devrait pas s’améliorer sensiblement durant l’année et plus tard.
L’autre point de vue prévalant – et celui auquel nous souscrivons – prévoit une certaine atténuation de l’inflation au second semestre et une poursuite de ce recul l’année prochaine. À mesure que s’estompe le boom des dépenses consommées à la maison et que les budgets des ménages sont restreints par la hausse des coûts de l’alimentation et du carburant, la part de l’économie liée aux biens devra réduire les stocks démesurés de bien invendus. Il devrait en découler une certaine diminution des prix des biens non essentiels, ce qui permettrait un recul du taux d’inflation de base, un plafonnement du taux global et un fléchissement de l’inflation.
Tout cela, combiné à un ralentissement soutenu de la production de biens dans l’économie, pourrait inciter la Fed à revoir l’ampleur et le rythme de la hausse des taux. Tout signe portant à croire que la Réserve fédérale ferait marche arrière au sujet d’un resserrement supplémentaire pourrait ramener la possibilité d’un « atterrissage en douceur » pour l’économie américaine, ce qui favoriserait les perspectives de croissance marquée des bénéfices et de hausse des cours boursiers.
Toutefois, pour faire grimper fermement le marché boursier, où l’atteinte de nouveaux sommets devient plausible, il faut généralement l’avènement d’un catalyseur ravivant l’optimisme des investisseurs, comme une baisse des taux de la Fed, un net ralentissement des prix de l’énergie ou des rapports révélant une inflation beaucoup plus faible que prévu. Aucun de ces éléments ne semble probable pour le moment.
En revanche, les données actuelles sur le pessimisme inhabituellement profond des investisseurs laissent entrevoir un risque de baisse limité à partir de maintenant. Nous nous attendons à ce que la trajectoire la plus probable pour les cours boursiers jusqu’à la fin de l’année soit la stagnation, jusqu’à ce que certaines circonstances revigorent les arguments en faveur d’une croissance soutenue des bénéfices de l’économie et des sociétés ou révèlent à l’inverse l’approche rapide d’une récession.
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Jim Allworth est coprésident du Comité consultatif sur la gestion mondiale de portefeuille de RBC.
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