Les marchés obligataires sont-ils allés trop loin, trop vite ?

Analyse
Perspectives

Les attentes grandissantes de baisses des taux ont dynamisé les marchés obligataires. Cependant, une hausse de l’inflation pourrait-elle compromettre la situation en ce début d’année?

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11 janvier 2024

Thomas Garretson, CFA
Premier stratégiste, Portefeuilles
Stratégies des titres à revenu fixe
Services-conseils en gestion de portefeuille – États-Unis

La remontée du quatrième trimestre de 2023 semble avoir pris la plupart des investisseurs au dépourvu, en particulier sur les marchés des titres à revenu fixe. Le taux des obligations du Trésor américain à 10 ans a atteint un sommet de près de 5,0 % le 19 octobre, avant de redescendre à environ 3,9 % à la fin de 2023. Une telle baisse sur une période aussi courte n’est survenue qu’environ cinq fois depuis 1990. La situation a été semblable ailleurs dans le monde. Le taux des obligations d’État allemandes à 10 ans ont atteint un pic jamais vu en une décennie, à près de 3,0 % en octobre, avant de retomber sous les 2,0 % à la fin de l’année. La baisse du taux de rendement des obligations souveraines a contribué au fameux rebond des actifs risqués, et la plupart des grands indices boursiers mondiaux ont également réalisé des remontées historiquement fortes.

Tout cela a découlé essentiellement de l’idée que non seulement les taux directeurs des banques centrales avaient atteint leur apogée, mais que si les progrès pour mater l’inflation surpassaient les attentes des marchés, les banques pourraient réduire légèrement les taux, et peut-être même plus tôt qu’anticipé par les intervenants du marché.

Comme c’est habituellement le cas, la voie qu’emprunteront les taux directeurs des banques centrales et les taux de rendement des obligations souveraines dictera probablement la trajectoire des rendements des différentes catégories d’actifs cette année, et c’est là que réside le risque à court terme – les marchés obligataires sont-ils allés trop loin, trop vite?

Un voleur dans la nuit

Dans nos Perspectives mondiales – Panorama 2024 , nous avions prévu un scénario de base où la plupart des secteurs obligataires américains offriraient un rendement de 10 % à 14 %, avec un potentiel de rendement encore plus élevé si le taux de l’obligation du Trésor à 10 ans descendait sous la barre des 4,0 % d’ici la fin de l’année.

Malheureusement, le quatrième trimestre de l’année dernière a peut-être volé à 2024 une partie de ces rendements. Comme le montre le graphique, l’indice Bloomberg U.S. Aggregate Bond a progressé de 6,8 % en raison de la baisse des taux de rendement, le meilleur rendement trimestriel depuis au moins 30 ans. Par conséquent, les cours des obligations, qui évoluent à l’inverse des taux, ont bondi. Le cours moyen des obligations de l’indice est passé de 86 $ à 92 $ au quatrième trimestre.

L’indice Bloomberg US Aggregate Bond a inscrit un rendement trimestriel record

Rendements totaux trimestriels

Rendements totaux trimestriels de l’indice Bloomberg US Aggregate Bond

Le graphique à barres montre les rendements totaux trimestriels de l’indice Bloomberg US Aggregate Bond depuis le premier trimestre de 1991. L’indice a inscrit son gain le plus important de la période au quatrième trimestre de 2023, soit un rendement de 6,8 %.

Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg; données trimestrielles jusqu’en décembre 2023.

Aux États-Unis, alors que la Réserve fédérale américaine a prévu trois réductions de taux de 25 points de base cette année à sa réunion de décembre sur la politique monétaire, pour aller se situer dans une fourchette cible implicite de 4,50 % à 4,75 %, le marché, pour sa part, intègre actuellement des réductions de taux nettement supérieures, atteignant une fourchette cible implicite de 3,75 % à 4,00 % d’ici la fin de l’année, et une première réduction d’ici la réunion de mars, mais ce n’est pas encore notre scénario de base.

Compte tenu de la divergence entre les prévisions de la Fed et celles du marché relativement aux réductions de taux, la volatilité générale devrait rester élevée, car chaque donnée économique clé pourrait provoquer des fluctuations du marché d’une façon ou d’une autre, alors que les négociateurs tenteront d’évaluer le moment et l’ampleur des réductions de taux par les banques centrales cette année.

Stratégie obligataire

Malgré la récente remontée du marché des obligations, nous nous attendons toujours à de bons rendements obligataires en 2024. Toutefois, nous devrions faire preuve d’une certaine prudence à court terme. Alors que nous avons fortement privilégié une stratégie consistant à échanger les liquidités et les titres à court terme contre les obligations à long terme dans la seconde moitié de 2023 afin de sécuriser les taux de rendement historiquement élevés, les liquidités ou les fonds du marché monétaire, qui offrent toujours des taux annualisés supérieurs à 5 %, pourraient constituer une solution de rechange intéressante sur le plan tactique en attendant des points d’entrée plus rentables dans les obligations à plus longue échéance. Bien entendu, les investisseurs doivent être conscients du fait que les taux à court terme commenceront à diminuer lorsque la Fed commencera à réduire les taux.

Pour définir les perspectives à court terme, nous nous tournons vers le taux de rendement des obligations du Trésor américain à 10 ans, qui se situe actuellement autour de 4,0 %, le plafond pouvant potentiellement se situer à environ 4,3 %, selon nous, et vers les pans du marché susceptibles d’être rentables si le marché revoit ses prévisions de réduction de taux à la baisse. En revanche, nous pensons que le plancher des obligations du Trésor américain à 10 ans se situera à environ 3,50 % cette année.

L’optimisme à l’égard de l’économie et des marchés a poussé les valorisations des obligations municipales américaines et des obligations de sociétés américaines à des niveaux historiquement élevés par rapport aux obligations du Trésor comparables. Par conséquent, nous abordons également ces secteurs avec prudence pour l’instant.

Pas vraiment une douche froide

La première information concrète pour les marchés en 2024 est venue du rapport sur l’indice des prix à la consommation aux États-Unis publié cette semaine. À première vue, les pressions inflationnistes ont augmenté davantage que prévu par la majorité des analystes de Bloomberg, mais la réaction des marchés a été relativement modérée. Comme Jerome Powell, le président de la Fed, l’a souvent dit, le retour à une inflation annuelle de 2 % ne va pas se faire sans heurts, et les données sur l’inflation de décembre en ont peut-être été la meilleure preuve, car l’inflation globale a augmenté à 3,4 % sur 12 mois, contre 3,2 % en novembre, mais l’inflation des prix de base annuelle (excluant les aliments et l’énergie) a encore baissé, à 3,9 %.

Malgré une légère hausse de l’inflation, les salaires réels – ajustés en fonction de l’inflation – ont augmenté de 0,8 % au cours de la dernière année, soit le huitième mois où les revenus ont dépassé l’inflation. Par conséquent, les consommateurs sont toujours bien placés pour consommer, ce qui explique probablement pourquoi Services économiques RBC a révisé à la hausse ses perspectives économiques à court terme pour les États-Unis, estimant que la croissance du PIB au premier trimestre fera du surplace, alors qu’elle tablait sur une croissance du PIB de -1,0 % auparavant, et estimant que l’économie américaine évitera probablement la récession encore cette année.

La modération a bien meilleur goût

Bien entendu, comme le taux de chômage demeure bien en deçà de 4 % et que l’inflation est supérieure à la cible de 2 % de la Fed, il peut être normal de se demander pourquoi le marché envisage plusieurs baisses de taux, voire une seule.

Comme le montre le graphique, il s’agit simplement d’une question de calibrage de la politique. Même si l’inflation est remontée le mois dernier, sa tendance à la baisse devrait se maintenir, et RBC Marchés des capitaux s’attend toujours à ce qu’elle poursuive sa descente cette année et à ce que le taux directeur de la Fed soient abaissés dans une même mesure.

Le retour à la normale de l’inflation devrait entraîner un retour à la normale des taux directeurs

Évolution de l’inflation et les décisions relatives aux taux directeurs la Réserve fédérale américaine.

Le graphique linéaire montre l’évolution de l’inflation et les décisions relatives aux taux directeurs que la Réserve fédérale américaine (Fed) a prises en conséquence, et ce, depuis décembre 2020. Selon les prévisions de RBC Marchés des Capitaux, la Fed abaissera graduellement ses taux directeurs, à mesure que l’inflation poursuivra son déclin pour se rapprocher de la cible de 2 % de la Fed vers la fin de 2025.

  • Taux des fonds fédéraux
  • Inflation de base aux États-Unis (hors alimentation et énergie)

Sources : RBC Gestion de patrimoine, Bloomberg; les lignes pointillées indiquent les prévisions trimestrielles de RBC Marchés des Capitaux.

L’écart entre le taux directeur de la Fed et le taux d’inflation est le taux « réel », et c’est ce taux qui a des répercussions sur l’économie, selon nous. Le point essentiel est que même si la Fed réduit les taux plusieurs fois cette année, la politique monétaire pourrait ne pas être en train de devenir expansionniste, mais plutôt rester stable et ainsi éviter des dommages indus à l’économie, selon nous, si les taux directeurs réels augmentent trop et pendant trop longtemps.

Tout compte fait, nous voyons toujours des baisses de taux à l’horizon, mais le trajet ne se fera probablement pas sans heurts, et les marchés obligataires pourraient être une source de volatilité à court terme.


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