Comment les BRICS voient le monde

Analyse
Perspectives

Alors que l’ordre géopolitique change, l’association des BRICS tente de tracer une nouvelle voie. On explique dans le présent article pourquoi les pays membres – notamment la troïka eurasiatique que forment la Chine, la Russie et l’Inde – croient qu’un nouvel ordre mondial multipolaire est inévitable.

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2 octobre 2025

Kelly Bogdanova
Vice-présidente et analyste de portefeuille
Services-conseils en gestion de portefeuille – États-Unis

Le texte qui suit est un résumé du rapport complet intitulé « Comment les BRICS voient le monde  », qui fait partie de la série « Un monde fragmenté » de RBC qui explore la fragmentation du commerce et les risques liés à la démondialisation, ainsi que leurs conséquences pour les économies et les investisseurs.

Un monde en transition

Certains signes montrent que le monde est en train de passer d’un ordre unipolaire occidental mené par les États-Unis, qui a caractérisé une grande partie de la période suivant la guerre froide, à un nouveau cadre multipolaire où non seulement les États-Unis et leurs alliés occidentaux déterminent les affaires mondiales, mais d’autres pays à l’extérieur de l’Occident ont également une influence importante.

L’intensification des partenariats stratégiques entre les pays du BRICS est une conséquence naturelle et prévisible des changements qui ont lieu en ce moment dans les ordres géopolitique et géoéconomique.

Nul ne sait si l’ordre international fondé sur des règles qui a été établi après la guerre froide pourra se maintenir dans ce contexte changeant et on comprend que la question est un sujet controversé à Washington. Les analystes des principaux groupes de réflexion sur la politique étrangère qui favorisent les interventions occidentales s’opposent au scénario multipolaire et affirment que les États-Unis conservent leur rôle dominant et leur primauté (ou leur hégémonie).

Néanmoins, certains éminents Américains, dont le général à la retraite et chef d’état-major adjoint Mark Milley, reconnaissent depuis au moins 2023 que le monde multipolaire est déjà là.

L’association des BRICS et sa cousine l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), qui comprend aussi la grande troïka eurasiatique composée de la Chine, de la Russie et de l’Inde, tentent de tracer une nouvelle voie multipolaire.

Un BRICS plus grand

Le groupe des BRICS a pris de l’expansion dans la foulée des changements géopolitiques. Il est passé de cinq membres en 2023 à 10 membres et 10 partenaires en 2025.

Les membres sont le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud, l’Égypte, l’Éthiopie, l’Indonésie, l’Iran et les Émirats arabes unis (EAU).

Les BRICS n’ont pas été formés pour être un bloc économique et politique officiel comme l’Union européenne (UE). D’ailleurs, ses membres rejettent catégoriquement le terme de « bloc ».

Les BRICS ne sont pas non plus conçus pour être une alliance officielle de sécurité militaire comme l’OTAN ou comme ce qui est en train d’émerger dans l’UE. Il n’y a absolument aucune composante militaire.

Les déclarations publiques ont clairement indiqué que les pays du BRICS souhaitent resserrer leurs liens commerciaux, financiers, stratégiques, diplomatiques et culturels, et qu’ils veulent tirer parti des réalisations économiques déjà accomplies et de celles qui pourraient suivre.

Nous estimons que l’association ne fait que commencer et qu’elle pourrait intégrer d’autres membres et prendre de l’expansion.

Qui dit poids économique, dit influence géopolitique

En dollars américains, les membres BRICS représentent cinq des 20 plus grandes économies du monde.

Toutefois, lorsque le PIB est calculé en parité du pouvoir d’achat (PPA), qui tente de tenir compte du coût de la vie, les pays membres BRICS grimpent dans le classement, représentant cinq des huit principales économies.

En 2025, les 10 pays membres du groupe des BRICS devraient compter pour près de 40 % du PIB mondial, comparativement à 28 % pour les pays du G7, selon les calculs en PPA du Fonds monétaire international (FMI). L’on s’attend à ce que cet écart s’élargisse jusqu’en 2030.

Nous estimons que les BRICS sont trop gros pour être ignorés.

Le poids économique des BRICS devrait encore augmenter

Part du PIB mondial en fonction de la parité des pouvoirs d’achat en dollars internationaux

Part du PIB mondial en fonction de la parité des pouvoirs d’achat en dollars internationaux
  • Pays du G7
  • 10 membres des BRICS

Le PIB des 10 membres des BRICS a dépassé celui du G7 en 2015, et le FMI s’attend à ce que l’écart se creuse davantage. Même avant l’expansion des BRICS en 2024 et 2025, les cinq membres précédents des BRICS avaient surpassé le G7 en 2019.

Sources : RBC Gestion de patrimoine, Fonds monétaire international; données prises en compte jusqu’au 11 septembre 2025; les données de 2025 à 2030 sont des projections du FMI

Le graphique linéaire montre la part du PIB mondial fournie par le groupe des pays du G7 et par les 10 pays membre des BRICS chaque année de 1995 à 2030 en fonction de la parité du pouvoir d’achat. Les données de 2025 à 2030 sont fondées sur les projections du Fonds monétaire international (FMI). En 1995, un écart très important séparait les deux groupes, la part du G7 étant à 46 % et celle des pays BRICS, à 20,5 %. Le PIB du G7 par rapport au PIB mondial a considérablement diminué depuis, tandis que le PIB des pays BRICS a augmenté de façon constante par rapport au PIB mondial. Le FMI prévoit que cette tendance se poursuivra tout au long de sa période prévisionnelle, qui s’étend jusqu’en 2030. La part des 10 pays des BRICS du PIB mondial a dépassé celle des pays du G7 en 2015, alors que les BRICS avaient atteint 33,4 %. En 2024, la part du G7 avait reculé à 28,9 % et celle des BRICS avait augmenté à 39,2 %. D’ici 2030, le FMI prévoit que la part du G7 reculera et totalisera 26,3 %, tandis que celle des pays BRICS augmentera pour s’élever à 41,8 %.

Une monnaie BRICS est une diversion pour l’instant, mais les autres initiatives liées aux devises ne le sont pas

Malgré toute l’attention qu’ont accordée les médias et les blogues à la création éventuelle d’une monnaie unique pour les BRICS au fil des années, cela n’est toujours pas officiellement envisagé.

Toutefois, trois initiatives liées aux devises des BRICS pourraient réduire davantage la proportion du commerce mondial qui se fait en dollars américains et au sein du réseau de paiements SWIFT adossé à des monnaies occidentales.

  • Commerce en monnaies nationales : Les membres veulent accroître les échanges commerciaux bilatéraux dans leurs propres monnaies (« monnaies locales ») et améliorer le fonctionnement des systèmes financiers et bancaires pour rendre ces échanges plus faciles et plus efficaces. Cette tendance s’est accélérée parmi les pays du BRICS et dans d’autres pays à la suite des sanctions économiques imposées à la Russie en marge de la crise ukrainienne.
  • Initiative de système de paiements transfrontaliers des BRICS : Les membres cherchent à renforcer et à améliorer leurs propres systèmes de communication interbancaires et à offrir une solution de rechange au système SWIFT qui ne peut être perturbée par les sanctions des gouvernements occidentaux.
  • Bourse des céréales des BRICS : Les membres créent une nouvelle bourse des marchandises pour le commerce des céréales et cherchent à étendre leurs activités à d’autres produits agricoles et produits de base. Le commerce des marchandises agricoles est dominé depuis des décennies par les bourses américaines et occidentales, qui fixent de fait les prix à l’échelle mondiale, et une grande partie des marchandises se négocient en dollars américains. La bourse des céréales des pays du BRICS serait une solution de rechange et permettrait de commercer en monnaies locales.

Les pays du BRICS répètent avec insistance qu’ils s’opposent fermement à l’utilisation des monnaies, en particulier le dollar américain, comme arme de politique étrangère, ce qui façonne leurs initiatives liées aux devises.

La raison d’être des BRICS : commerce, investissement et coopération bilatéraux

Les BRICS ne sont pas une panacée pour les pays concernés.

Or, en participant à l’association, les pays ont beaucoup plus d’occasions de prendre part à des discussions bilatérales sur les investissements, le commerce et la diplomatie, et d’échanger en personne, que si l’association n’existait pas.

À titre d’exemple, les récentes avancées entre la Chine et l’Inde pour résoudre leur différend frontalier de longue date et améliorer leurs relations ont été facilités par la participation des pays du BRICS et de l’OCS.

L’entrée de pays du Moyen-Orient et de l’Asie du Sud-Est dans l’association élargie des BRICS en 2024 et 2025 – en particulier les Émirats arabes unis, l’Indonésie et la Malaisie – a renforcé le groupe et a créer de nombreuses autres occasions économiques, selon nous.

La participation des pays de ces régions, ainsi que ceux d’Afrique et d’Amérique latine et du Sud, permet d’intégrer davantage les BRICS au sein de ce qu’on appelle la « majorité mondiale ».

L’association des BRICS et l’OCS sont en train de devenir des plateformes de premier plan pour que la voix des « pays du Sud » se fasse entendre encore plus dans les affaires mondiales. Cette question sera probablement au centre des discussions lorsque l’Inde assumera la présidence tournante des BRICS en 2026.

Les pays BRICS représentent plus de la moitié de la population mondiale

Pourcentage de la population mondiale selon les estimations des Nations Unies pour 2025

Pourcentage de la population mondiale selon les estimations des Nations Unies pour 2025

Les pays alignés sur l’Occident sont les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, l’Union européenne (27 pays), le Japon, la Corée du Sud, les Philippines, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Les groupes des BRICS sont composés de 10 pays membres et de 10 pays partenaires.

Source : RBC Gestion de patrimoine; données prises en compte jusqu’u 2 juillet 2025 fondées sur les estimations de la Division des populations des Nations Unies pour tous les pays, sauf pour les pays de l’UE, selon les prévisions de Trading Economics

Le graphique en aires présente les groupes de population suivants en pourcentage de la population mondiale : Membres des BRICS, 47,9 %; partenaires des BRICS, 7,1 %; pays alignés sur l’Occident, 15,0 %; autres pays, 30,0 %.

L’essence des BRICS : souveraineté

Les membres et les partenaires des BRICS ont des programmes de développement intérieur précis dans plusieurs domaines afin de renforcer leur propre souveraineté et sécurité nationale, dont certains sont soutenus par d’importantes dépenses budgétaires. Il s’agit notamment d’initiatives visant les technologies, l’énergie, l’agriculture, la santé, les métaux/minéraux et la sécurité financière. Ironiquement, les États-Unis, sous Trump 2.0, tentent également de consolider leur propre souveraineté dans bon nombre des mêmes domaines.

La priorité qu’accorde les pays du BRICS à la souveraineté a récemment été démontrée par le degré de coordination le plus élevé et intense jamais vu entre les membres.

Cela s’est produit après que l’administration Trump a menacé d’imposer et a imposer des droits de douane supplémentaires au Brésil en raison de désaccords au sujet des affaires politiques et judiciaires nationales du pays; et à l’Inde pour des raisons géopolitiques en raison de ses relations avec la Russie et de ses achats de pétrole brut russe pendant la crise ukrainienne.

L’Inde et le Brésil se sont fortement opposés à ces tarifs, invoquant des violations de leur souveraineté. La Chine a également déclaré à plusieurs reprises qu’elle ne succomberait pas aux pressions concernant ses relations commerciales avec la Russie ou tout autre pays.

Ces événements et les autres menaces tarifaires pesant sur l’ensemble de l’association ont provoqué beaucoup d’agitation au sein des pays de BRICS et entre eux, car ils sont considérés comme des sanctions économiques de fait.

Nous pensons que toute utilisation de tarifs douaniers comme sanctions – que ce soit par les États-Unis, les pays européens ou d’autres pays occidentaux – pourrait continuer d’être contre-productive.

Les conséquences de ces différends et taux tarifaires élevés en général accélèrent l’intégration de pays dans les BRICS et l’OCS, et nous sommes d’avis que ces enjeux inciteront ultimement plus de pays à redoubler d’efforts pour obtenir un ordre mondial multipolaire, et ce, plus tôt que tard.

Investir dans la transition vers un monde multipolaire

La poursuite de l’intégration de nouveaux membres et du développement des BRICS, combinée à l’intensification du protectionnisme commercial des États-Unis depuis 2018, renforcent notre conviction que le virage éventuel vers un ordre mondial multipolaire et plus fragmenté justifie une nouvelle façon de penser.

La répartition des portefeuilles de placement doit être considérée sous un angle différent. La répartition parmi les sous-catégories d’actifs en actions et en titres à revenu fixe ne devrait plus être évaluée du point de vue de la mondialisation coopérative qui a existé au cours des dernières décennies, car nous ne pensons pas que cette ère reviendra de sitôt.

Cela se traduit par trois mises en œuvre pratiques dans les portefeuilles de placement :

  • À notre avis, une gestion plus active des expositions aux pays, aux secteurs et aux entreprises s’impose en cette nouvelle ère.
  • Nous recommandons aux investisseurs de diversifier leurs placements sur le plan géographique. Aux investisseurs en Amérique du Nord, nous recommandons une pondération moins axée sur le marché intérieur dans les portefeuilles d’actions et de titres à revenu fixe qu’au cours des dernières années et d’envisager d’augmenter la pondération des actions et des obligations internationales. Nous croyons que tous les investisseurs devraient examiner de près les placements en Asie et dans les marchés émergents pour déterminer s’ils sont de taille appropriée, jusqu’à au moins le niveau de répartition stratégique à long terme recommandé.
  • Du côté des actions, peu importe la région, nous recommandons toujours d’inclure les industries boursières axées sur le développement souverain.

Pour l’information détaillée, y compris la liste des industries qui pourraient être favorisées, veuillez consulter le rapport complet : Comment les BRICS voient le monde.


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